L'après-midi, je me rends chez mon tailleur pour récupérer un nouveau costume. Puis chez le fleuriste pour choisir des roses. Pas rouges, trop vulgaires. Blanches, pureté, innocence. Exactement l'image que je veux projeter.
— Pour une occasion spéciale ? » demande Jasmine, la fleuriste.
— On peut dire ça. Une première fois.
Elle sourit, complice. Jasmine me connaît depuis des années, elle a préparé des bouquets pour toutes mes conquêtes. Elle ne pose jamais de questions indiscrètes.
— Roses blanches, alors. Pour l'innocence de l'amour naissant.
Si elle savait...
De retour au manoir, je prends une douche et m'habille avec soin. Costume bleu marine, chemise blanche, cravate de soie. Parfum discret mais efficace. Je me regarde dans le miroir de ma chambre et souris. Aucune femme ne peut résister à Tristan Johnson quand il met le paquet.
À dix-neuf heures trente, Franck m'accompagne au restaurant. En route, je repense à ma stratégie. Avec Maeve, il faut y aller doucement. Pas d'approche frontale comme avec Ashley ou les autres. Cette fille a de la classe malgré sa situation, elle ne tombera pas dans le panneau si facilement.
Le secret, c'est de jouer sur ses faiblesses. Sa situation précaire, sa responsabilité envers son frère, ses rêves brisés. Je vais lui offrir l'espoir d'une vie meilleure, l'illusion d'être sauvée. C'est imparable.
Après les nombreux embouteillages, je suis enfin devant le restaurant. Quand j'entre, Diego se précipite vers moi.
— Monsieur Johnson ! Votre table vous attend. Maeve va s'occuper de vous dans un instant.
Je m'installe à ma table habituelle et observe discrètement la salle. Maeve est en service près du bar, ses cheveux attachés en chignon élégant, sa robe noire mettant en valeur sa silhouette fine mais féminine. Elle n'a pas encore remarqué ma présence.
Quand elle se retourne et m'aperçoit, je vois la surprise passer sur son visage, suivie d'une rougeur délicate. Elle hésite une seconde, puis s'avance vers ma table d'un pas mal assuré.
— Bonsoir, monsieur Johnson. Vous... vous dînez seul ce soir ?
— En effet. J'attendais quelqu'un, mais elle m'a fait faux bond. » Je mens avec un sourire désarmant. « Heureusement, votre présence compense largement son absence.
Elle rougit encore plus fort. Trop facile.
— Qu'est-ce que je peux vous servir ?
— D'abord, asseyez-vous une minute. Vous avez l'air fatiguée.
— Je ne peux pas, je suis en service.
— Diego ! » J'appelle le maître d'hôtel d'un geste de la main. « Mademoiselle D'Almeida peut-elle s'asseoir quelques minutes ? Elle semble épuisée.
— Bien sûr, bien sûr ! Maeve, asseyez-vous. Prenez votre temps.
Elle s'assoit timidement sur le bord de la chaise face à moi. Je sors le bouquet de roses blanches de son emballage et le pose devant elle.
— Pour vous.
— Je... je ne peux pas accepter.
— Pourquoi ? Elles ne vous plaisent pas ?
— Elles sont magnifiques, mais...
— Alors c'est parfait. » Je me penche vers elle. « Maeve, puis-je vous poser une question personnelle ?
Elle hoche la tête, méfiante.
— Qu'est-ce qui vous rend heureuse ?
La question la déstabilise complètement. Je vois qu'elle cherche une réponse, mais qu'elle n'en trouve pas. Parfait. C'est exactement l'effet recherché.
— Je... je ne sais pas.
— Vous ne savez pas ce qui vous rend heureuse ?
— Les petites choses, j'imagine. Voir mon frère sourire. Avoir assez d'argent pour payer les factures. Ne pas s'inquiéter pour demain.
Sa voix se brise légèrement sur les derniers mots. Mon cœur devrait se serrer, mais au contraire, je ressens une excitation particulière. Elle se livre, elle s'ouvre. Le plus dur est fait.
— Et vos rêves ? Vos vraies aspirations ?
— Je n'ai plus le temps de rêver.
— Tout le monde a le droit de rêver, Maeve. Même vous. Surtout vous.
Je tends la main et effleure la sienne sur la table. Elle ne la retire pas. Excellent.
— Vous savez ce que je pense ? Je pense que vous méritez plus que cette vie. Beaucoup plus.
Ses yeux se remplissent de larmes qu'elle s'efforce de retenir. Je touche dans le mille.
— Accepteriez-vous de dîner avec moi demain soir ? Quelque part de spécial. Loin d'ici.
— Monsieur Johnson...
— Tristan.
— Tristan. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Nous ne... nous ne vivons pas dans le même monde.
— Justement. C'est pour ça que c'est intéressant.
Elle hésite. Je vois qu'elle en a envie, mais sa raison lui dit de refuser. C'est le moment de porter l'estocade finale.
— Maeve, quand avez-vous pris du plaisir pour la dernière fois ? Quand avez-vous fait quelque chose uniquement pour vous ?
Le silence qui suit me donne ma réponse. Jamais. Cette fille se sacrifie complètement pour son frère.
— Une soirée » dis-je doucement. « Une seule soirée où vous n'aurez à penser à personne d'autre qu'à vous. Où vous pourrez redevenir Maeve, pas seulement la grande sœur responsable.
Ses défenses s'effritent. Je le vois dans ses yeux.
— D'accord » murmure-t-elle finalement. « Une soirée.
— Parfait. » Je souris, triomphant. « Je passerai vous prendre à dix-neuf heures.
— Non ! Je... je préfère vous retrouver quelque part.
Méfiante jusqu'au bout. Mais ce n'est pas grave. J'ai franchi le plus difficile.
— Comme vous voulez. Le restaurant La Colombe à Constantia. Vous connaissez ?
— De réputation.
— Parfait. Dix-neuf heures trente.
Je règle l'addition avec un généreux pourboire et me lève. Avant de partir, je prends sa main et y dépose un baiser, comme hier soir.
— À demain, Maeve. J'ai hâte.
Dans la voiture qui me ramène au manoir, je savoure ma victoire. Phase un, terminée avec succès. Demain soir, je passerai à la phase deux, la séduction physique.
Maeve D'Almeida ne sait pas encore qu'elle vient de tomber dans la toile de l'araignée. Mais bientôt, très bientôt, elle sera à moi. Complètement. Et après... eh bien, après, on verra. Pour l'instant, je veux juste la conquérir. Le reste m'importe peu. C'est ça, l'art de la séduction selon Tristan Johnson.
Nous remontons l'allée sous une pluie de pétales de roses, main dans la main, rayonnants de bonheur. Au passage, je croise le regard de chaque personne qui compte pour nous. Céleste qui applaudit comme une petite fille. Elias qui sourit de fierté. Martha qui pleure de joie. Grace qui crie « Vive les mariés ! » avec son accent du Township.La réception a lieu sur la terrasse et dans le jardin. Tables rondes dressées sous les chênes centenaires, guirlandes lumineuses qui commencent déjà à scintiller dans la lumière déclinante, orchestre de chambre qui joue du jazz en sourdine.Pendant le cocktail, Nicolas et moi circulons entre nos invités. Chaque poignée de main, chaque embrassade, chaque félicitation nous remplit de joie. Ces gens nous aiment, nous soutiennent, croient en notre bonheur.« Félicitations, ma chérie. » Clara, mon ancienne collègue du Jardin Secret, me serre dans ses bras. « Tu es rayonnante »« Merci d'être venue »« Tu plaisantes ? J'aurais raté ça pour rien au monde
•••Maeve Quelques mois plus tard…Je porte ma robe de mariée dans cette même bibliothèque où Nicolas et moi sommes tombés amoureux. Aujourd'hui, je vais épouser cet homme.Ma robe est magnifique, soie sauvage couleur ivoire, coupe empire qui flatte ma taille redevenue fine, dentelle de Calais héritée de ma mère que Céleste a fait intégrer par la couturière. Simple mais élégante, comme je l'espérais. Pas ostentatoire, pas criarde. Juste... moi.« Tu es éblouissante » murmure Elias depuis la porte.Mon petit frère. Qui n'est plus si petit. À dix-sept ans maintenant, il me dépasse d'une tête, ses épaules se sont élargies, sa voix a définitivement mué. Dans son costume gris anthracite, le même tissu que celui de Nicolas, il ressemble à un jeune homme distingué. Plus rien du gamin effrayé que j'élevais il y a deux ans.« Tu n'es pas mal non plus » dis-je en ajustant sa cravate. « Prêt à accompagner ta sœur à l'autel ? »« Prêt. » Il sourit, mais je vois l'émotion dans ses yeux. « Maeve ?
Je glisse l'alliance à son autre main, puis je me relève et la prends dans mes bras. Nous restons enlacés un long moment, savourant ce moment parfait. Autour de nous, les roses de maman embaument l'air du soir, la fontaine murmure sa mélodie éternelle, et les glycines de la tonnelle nous enveloppent de leur parfum sucré.« Pourquoi deux demandes ? » murmure-t-elle contre mon cou.« Parce que la première, c'était pour la famille. Pour qu'ils soient témoins de notre bonheur. Celle-ci, c'est pour nous. Pour que ce moment nous appartienne. »« Et l'alliance ? »« C'était celle de mon père. Maman me l'a donnée le jour où je suis rentré de Paris. Elle savait déjà que j'allais tomber amoureux de vous. »« Harold portait cette bague ? »« Pendant quarante-cinq ans. Jusqu'à sa mort. »Elle examine l'anneau avec émotion, comme si elle tenait un trésor sacré.« Pour l'éternité, lit-elle. « C'est ce qu'il avait fait graver pour Céleste ? »« Non. C'est ce que j'ai fait graver pour nous. »Ses lar
Nicolas bégaie comme un adolescent. C'est adorable.« Allez, grand frère », je l'encourage. « Maintenant que le secret est éventé... »« Elias ! »« Quoi ? Tu attends quoi ? L'autorisation du président ?»« J'attends le bon moment ! »« Quel meilleur moment que maintenant ? » demande Céleste. « En famille, dans cette maison qui vous a vus tomber amoureux ? »Nicolas nous regarde tour à tour, puis éclate de rire.« Vous êtes terribles. Tous »Il se lève et va vers Maeve. Mon cœur bat la chamade. C'est en train d'arriver. Vraiment.« Maeve D'Almeida », dit-il en prenant ses mains dans les siennes. « Ces sept mois avec toi ont été les plus beaux de ma vie. Tu m'as appris ce qu'était l'amour véritable. Tu m'as rendu meilleur. Plus humain. Plus heureux. »« Nicolas... »« Laisse-moi finir. » Il s'agenouille près de sa chaise. « Je sais que nous n'avons pas suivi le chemin traditionnel. Je sais que notre histoire a commencé dans la douleur. Mais regarde où nous en sommes maintenant. »Il so
•••Elias Université du Cap, six mois après le départ de TristanNicolas m'aide à préparer mon dossier universitaire.« Tu vas étudier l'ingénierie », me dit-il en relisant ma lettre de motivation pour la troisième fois. « Tu as le potentiel, Eli. Je le sais depuis le premier jour. »Nous sommes dans son bureau du manoir, entourés de plans d'architecture et de maquettes de bâtiments durables. Sur son ordinateur, des projets révolutionnaires pour les townships, des résidences étudiantes écologiques, des centres communautaires auto-suffisants. Nicolas ne se contente pas de construire des bâtiments, il construit l'avenir. Et maintenant, il m'aide à construire le mien.« University Davis dit que j'ai mes chances pour Stellenbosch et UCT » dis-je en consultant mes notes.« Tes chances ? » Nicolas rit. « Eli, tu es premier de ta promotion en maths et en sciences. Tu as été élu capitaine de l'équipe de rugby junior. Tes professeurs ne tarissent pas d'éloges. Tu n'as pas tes chances, tu es un
•••MaeveManoir Johnson, une semaine après le départ de Tristan. « Maeve... » Nicolas me fait face, ses yeux ambrés graves. « Tu as bon cœur. C'est une de tes plus belles qualités. Mais n'oublie jamais ce qu'il t'a fait. Ce qu'il nous a fait. Les mensonges de son enfance n'excusent pas la cruauté de l'homme qu'il est devenu. »Il a raison. Même si je comprends mieux maintenant la rage qui habitait Tristan, la souffrance inconsciente de se sentir étranger dans sa propre famille, rien ne justifie sa méchanceté. Rien ne justifie d'avoir essayé de tuer son frère adoptif par jalousie.Céleste nous rejoint sur la terrasse, vêtue d'un tailleur blanc qui la fait paraître plus jeune que ses cinquante-huit ans. Pour la première fois depuis que je la connais, elle semble vraiment détendue.« Comment tu te sens ? » demande-t-elle à Nicolas.« Vivant. Entier. Heureux. »« Et toi, ma chérie ? » Elle se tourne vers moi avec cette tendresse maternelle qui me bouleverse encore.« Libre » dis-je simpl