Se connecterSélèneLe jour se lève, gris et frileux, sans avoir effacé la nuit. La trace des lèvres d'Hugo sur les miennes est une marque de feu indélébile, un sceau gravé dans ma peau et ma mémoire. Je me suis réfugiée dans mon lit, recroquevillée, à écouter battre le silence. Le sommeil n'a été qu'un leurre, une brève absence peuplée du même vertige, du même goût d'interdit et de vérité.Si c'était une erreur... pourquoi cela ressemblait-il tant à la vérité ?La question tourne, obsédante, mais une autre, plus froide, plus impérieuse, finit par submerger le tourbillon de mes sentiments. Une question qui ne concerne pas Hugo, ni ce baiser qui nous a à la fois rapprochés et déchirés.Qui est-elle ?Cette femme. Celle qui porte mon visage, mon nom, ma vie. Celle qui a pris ma place dans le lit de mon mari, qui serre contre elle mon fils, qui respire mon air.La colère, cette fois, est plus forte que la confusion. Elle se lève en moi, non pas comme un feu dévorant, mais comme un glacier, déterminé
SélèneUn bruit m’arrache au sommeil.Un craquement léger, presque timide.Je ne sais pas s’il vient de la maison ou de moi.La nuit est épaisse, presque liquide.Je cligne des yeux, désorientée.Le silence a quelque chose d’irréel, comme s’il appartenait à un autre monde.Ma gorge est sèche, râpeuse.Je me redresse, hésitante. La chambre baigne dans une pâleur d’argent : la lune s’est posée sur les draps, comme une main glacée.Je passe mes doigts dans mes cheveux, chassant le reste du rêve.Je ne me souviens pas des images, mais je garde la sensation de sa voix.Sa voix, douce et grave, me disant encore : Attends-moi.Je me lève.Les draps glissent, me quittent comme une peau.Le parquet gémit sous mes pas nus.Chaque craquement semble résonner trop fort, comme si la maison me surveillait, complice et inquiète.Je pousse la porte, lentement.Le couloir m’accueille, long, étroit, presque vivant.L’air y est plus froid, plus dense.Une odeur de bois, de nuit et de souvenir flotte dans
SélèneJe referme la porte derrière moi.Le couloir est sombre. Le plancher craque sous mes pas, comme si la maison elle-même retenait son souffle.J’entends encore le timbre grave de sa voix.« Bonne nuit », avait-il dit.Bonne nuit…Comme si ces deux mots pouvaient suffire à contenir tout ce que je ressens.Je reste un instant immobile, dos à la porte, la main encore posée sur la poignée.Mon cœur bat trop fort.Chaque battement me semble déraisonnable, trop vivant pour un corps qui prétend au calme.Je sens encore sa présence, là-bas, dans le salon : son regard, son silence, cette manière de dire mon nom comme on effleure une cicatrice.Hugo.Mon Hugo.Et pourtant… pas tout à fait lui.Le couloir sent le bois et la poussière.Je monte lentement les marches.Sous mes pieds, la maison gémit, mais je la connais , je sais qu’elle ne s’effondrera pas.Pas encore.Dans la salle de bain, la lumière blanche me blesse les yeux.Elle tranche la nuit d’un coup sec.J’ouvre le robinet. L’eau c
HugoMilo dort. Enfin.Je l’ai entendu rire, tout à l’heure, juste avant que la maison ne s’éteigne peu à peu. Ce rire, clair et court, a résonné comme une étincelle dans la pénombre du couloir. Sélène venait de refermer la porte de sa chambre, doucement, avec cette délicatesse qui lui appartient.Et maintenant, il n’y a plus que le silence.Je reste un instant au bas des marches, indécis.Il est tard. Je pourrais monter, faire comme d’habitude : m’enfermer dans mon bureau, noyer mes pensées dans des chiffres, dans des dossiers, dans l’illusion d’un ordre. Mais mes pieds refusent d’obéir.Quelque chose m’attire vers le salon.Quand j’entre, elle est là.Assise au bord du canapé, les mains croisées sur ses genoux, la tête légèrement penchée. Ses cheveux glissent sur sa nuque en mèches sombres. La lampe diffuse une lumière ambrée, douce, qui effleure son visage sans jamais vraiment le dévoiler.Elle relève les yeux.Nos regards se croisent. Et le monde se tait.— Vous ne dormez pas non
HugoJe ne dors plus vraiment. Je somnole. Je m’effondre parfois de fatigue, mais je ne dors pas. Mes nuits sont des labyrinthes sans issue, des couloirs sombres où chaque souvenir attend au détour d’un rêve pour me poignarder dans le dos. Depuis des semaines, peut-être des mois, je vis dans ce flou anesthésiant. Une routine bien huilée, des gestes répétés, des conversations calibrées. Il ne faut pas gratter la surface. Il ne faut pas regarder en dessous.Et pourtant.Chaque matin, lorsque je passe dans ce salon où Milo joue, je ressens cette déchirure discrète, cette vibration sourde, incontrôlable. Elle est là. Toujours. Sélène. Son prénom claque doucement dans ma tête, comme une note suspendue. Trop familière pour n’être qu’un nom parmi d’autres. Trop douce pour ne pas déranger.Je la croise, brièvement. Et chaque fois, c’est la même chose. Une tension. Une impression étrange. Elle baisse les yeux, comme si elle portait un poids immense sur les épaules. Mais ce n’est pas de la soum
SélèneJe n’avais pas dormi cette nuit-là. Pas vraiment. À peine quelques minutes arrachées au flot de pensées qui me harcelaient, comme un ressac contre les parois de mon crâne. La clarté pâle de l’aube peinait à traverser les rideaux du petit appartement de fonction qu’on m’avait attribué, dans l’aile réservée au personnel. Il y faisait froid, non pas à cause de la température, mais à cause de l’absence. L’absence de mon fils. De mon mari. De ma vie d’avant.Je m’étais réveillée plusieurs fois, haletante, les draps collés à ma peau, hantée par les mots d’Éléa. « Elle est plus qu’une domestique. Elle est un lien fragile. » Un lien. Fragile. Voilà ce que j’étais devenue. Et moi, j’étais là, au milieu d’eux, invisible, docile, à jouer un rôle que je n’avais jamais souhaité jouer, spectatrice de ma propre histoire détournée.Chaque matin, je devais endosser ce masque d’humilité, ce sourire figé, cette voix douce qu’on attendait de moi. Dans la grande maison, tout était organisé, millimé







