Roxane
J’adore les défis. C’est ce qui me fait vibrer, ce qui m’anime. Je ne recule devant rien, et surtout pas devant un poste en or. Assistante du grand Elias Grayson ? Le PDG le plus redouté du milieu, celui qui broie ses employés comme des pions sur un échiquier ? Un homme aussi brillant que glacial, dont la seule présence fait trembler les murs de son empire ? Je le veux.
Alors, quand je pousse les portes du gratte-ciel imposant qui abrite Grayson Corporation, un frisson d’excitation me parcourt l’échine. J’ajuste ma veste en cuir sur mon chemisier immaculé, redresse le menton et entre dans le hall de marbre avec l’assurance d’une reine en territoire conquis.
— Roxane Belmont, j’ai rendez-vous.
La réceptionniste, une blonde tirée à quatre épingles, me jette un regard neutre avant d’annoncer mon arrivée par téléphone. Quelques secondes plus tard, une femme à la silhouette élancée apparaît. Cheveux impeccablement tirés en un chignon strict, tailleur cintré, regard perçant.
— Natalia Devereaux, directrice du marketing, annonce-t-elle en me tendant la main. Monsieur Grayson vous attend.
Je serre cette main avec fermeté. Son ton est poli, mais j’y perçois une pointe de mépris à peine dissimulée. Natalia. Ce nom résonne comme un avertissement silencieux. Elle a une présence qui en impose, un air de maîtrise absolue. Le genre de femme qui ne laisse rien au hasard. Mais je ne suis pas là pour elle.
Elle me conduit jusqu’à un ascenseur privé, qui m’emmène au dernier étage. L’antre du lion.
Quand les portes s’ouvrent, je découvre un bureau gigantesque, baigné de lumière, avec une vue imprenable sur la ville. Pas de décoration superflue, juste du verre, du métal et une froide élégance. Et, derrière un immense bureau de verre, l’homme que je m’apprête à affronter.
Elias Grayson.
Il ne lève même pas les yeux tout de suite. Il consulte un dossier, sa mâchoire crispée trahissant une concentration absolue. L’air de celui qui ne s’autorise aucune distraction. Pourtant, je prends le temps de l’observer. Costume taillé sur mesure, épaules larges, mains élégantes mais puissantes. Un visage anguleux, des traits ciselés, et ces yeux sombres qui, lorsqu’ils se relèvent enfin vers moi, m’analysent avec une intensité glaciale.
— Mademoiselle Belmont, commence-t-il d’une voix posée, presque indifférente. Vous avez trois minutes pour me convaincre.
Trois minutes.
Je souris. J’adore les défis.
— C’est tout ce dont j’ai besoin, réponds-je en avançant sans hésiter.
Je m’assieds avant même qu’il ne m’y invite, croise les jambes et plonge mon regard dans le sien.
— Vous cherchez une assistante qui n’a pas peur de vous, qui sait prendre des initiatives, gérer les crises, comprendre vos attentes avant même que vous ne les formuliez.
Un silence. Il se redresse légèrement. Intéressé ? Peut-être.
— Et vous prétendez être cette personne ?
— Je suis cette personne.
Je sors un dossier de mon sac et le pose devant lui.
— J’ai étudié vos besoins. J’ai dressé une liste des dix failles organisationnelles de votre emploi du temps et trouvé des solutions. Si vous voulez quelqu’un qui se contente de répondre au téléphone et de hocher la tête, ce n’est pas moi. Mais si vous voulez la meilleure… alors embauchez-moi.
Elias
Je repose lentement mon stylo et ouvre le dossier qu’elle vient de poser sous mon nez. L’assurance dont elle fait preuve m’agace autant qu’elle m’intrigue. Trop sûre d’elle. Trop effrontée. La plupart des candidats arrivent ici intimidés, récitent un discours fade et disparaissent. Elle, non. Elle me défie du regard comme si elle savait déjà qu’elle avait gagné.
J’effeuille rapidement les premières pages. Organisation détaillée, suggestions pertinentes. Rien que je ne puisse déjà anticiper, mais le fait qu’elle ait pris le temps d’étudier mon fonctionnement en dit long sur son ambition.
— Impressionnant, concédé-je finalement.
Elle ne bronche pas. Son regard est planté dans le mien, sans ciller. Elle sait qu’elle a marqué un point.
Un sourire infime effleure mes lèvres. Je repose le dossier et entrelace mes doigts sur la surface froide du bureau.
— Vous commencez lundi.
Aucune hésitation. Je la veux à l’essai.
Une lueur victorieuse traverse son regard, mais elle reste impassible. Elle se lève lentement, ajuste son sac sur son épaule et me lance un dernier regard avant de tourner les talons.
Quand la porte se referme derrière elle, je laisse échapper un soupir.
Natalia entre presque aussitôt.
— Tu viens de mettre un fauve dans ta cage, commente-t-elle en refermant la porte.
Je me penche en arrière, mes doigts tapotant distraitement mon bureau.
— Elle me plaît.
— C’est bien ce qui m’inquiète.
Je hausse un sourcil. Natalia me connaît mieux que la plupart de mes collaborateurs. Elle sait que je n’embauche jamais sur un coup de tête. Mais cette fille a quelque chose de différent. Elle est dangereuse. Pas comme un ennemi. Comme une tentation.
— Fais attention à ce que tu déclenches, Elias, murmure-t-elle avant de quitter la pièce.
Je reste seul
, mes pensées tournées vers Roxane Belmont.
Le jeu vient à peine de commencer.
ÉliasJ’erre.Pas vraiment ici, pas encore ailleurs.Je marche sans but, mais chaque pas m’écarte un peu plus de la maison. De ses murs trop pleins de fantômes.Les volets claquaient encore quand je suis parti. Il faisait déjà nuit. Le sac jeté sur mon épaule, je n’ai pas regardé en arrière. Même pas une seconde.J’ai pris un sac au hasard. Des vêtements. Un carnet. Une photo froissée. C’est tout.Roxane sur la balançoire, son rire figé dans le papier. Et Alma en arrière-plan, floue, presque absente. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris cette photo. Peut-être pour me souvenir que, malgré tout, j’ai aimé.Je passe la nuit dans une chambre d’hôtel impersonnelle.Pas d’odeur. Pas de chaleur. Juste le silence, coupant comme une lame mal aiguisée.Je n’allume pas la télévision. Je regarde le plafond, encore et encore.Les fissures y dessinent des chemins que je ne prends pas.Et je repense à Alma.À Roxane.À ce que j’ai détruit sans m’en rendre compte.Élias— Est-ce qu’on peut encore aimer,
ÉliasLe soleil perce à peine les rideaux. La lumière s’étale sur le parquet comme une gifle lente, une vérité douce-amère : elle n’est plus là.Je me lève, lentement, comme on sort d’un rêve trop lourd. Chaque mouvement est un effort, comme si mon corps refusait de fonctionner sans elle.Pas Alma. Roxane.Roxane.Ses rires contre les murs.Ses élans sans retenue.Ses bras lancés autour de mon cou sans prévenir.Son insolence tendre. Son refus de plier.Je cherche son odeur dans les draps, sa voix dans l’écho des pièces vides.Mais ce qui m’étrangle, c’est qu’elle ne reviendra pas. Qu’elle ne pourra jamais me pardonner.Et que même Alma, elle, m’a quitté.Je passe la main sur la table, là où le carnet d’Alma traînait parfois, là où elle griffonnait des pensées qu’elle ne me lisait jamais.Tout est vide. Rangé. Froid.Son absence n’a pas laissé de désordre. Juste un vide net. Un vide précis.Et cette netteté me brise plus que n’importe quel cri.Élias— Tu m’as aimé dans le chaos, Alma
SorenLa nuit est froide, mais elle ne tremble pas. Elle marche à mes côtés, le dos droit, le regard figé sur un point invisible à l’horizon. Elle s’est brisée tout à l’heure, et pourtant, elle avance. J’admire cette force autant que je la redoute. Parce qu’elle pourrait se relever même si je n’étais plus là. Et je ne suis pas sûr d’être prêt à ça.Je l’observe à la dérobée. Sa mâchoire est contractée, ses mains enfoncées dans les poches de son manteau. Aucun mot ne franchit ses lèvres, mais tout hurle à l’intérieur. Je le sens. Je le connais, ce silence-là. Il ne protège pas : il consume.Soren— Tu veux vraiment voir ce que je voulais te montrer ? On peut juste marcher. Ou rester là.Elle tourne lentement la tête vers moi. Ses yeux brillent, mais aucune larme ne tombe. Il y a quelque chose de neuf dans son regard. Une rupture. Une clarté nouvelle. Ça me glace plus que ça ne me rassure.Alma— Si je m’arrête, je m’écroule. Alors montre-moi.Je hoche la tête. Je ne pose pas de questio
AlmaJe marche seule dans les rues désertes, les mains enfoncées dans les poches, le cœur battant trop fort, trop vite. Les lampadaires projettent des ombres vacillantes sur l’asphalte, et chaque pas résonne comme un reproche dans le silence. J’ai quitté l’appartement sans un mot, sans un regard. J’avais besoin d’air. Besoin de m’éloigner d’Élias, de ses silences pesants, de ses absences trop pleines. Il ne me voit plus. Ou alors, il ne sait plus comment me regarder. Et moi, je ne sais plus comment exister à ses côtés sans me perdre un peu plus à chaque seconde.Et pourtant, même en m’éloignant, je le sens. Sa présence me hante. Ses mots, ses gestes, ce regard qu’il me lançait autrefois et qui s’est tari. Il y a une fracture entre nous, invisible mais tranchante. Une fracture que je ne sais plus comment réparer. J’ai beau retourner les souvenirs dans ma tête, chercher ce moment exact où tout a basculé, je ne le trouve pas. Peut-être qu’il n’existe pas. Peut-être que c’est la somme des
ÉliasJe reste allongé à côté de Roxane, le silence entre nous est lourd, presque palpable, chargé de mots tus, de douleurs partagées, d’espoirs aussi fragiles qu’un souffle au bord de la rupture. La confession que je lui ai faite a brisé un mur invisible qui s’était dressé entre nous, mais elle a aussi ouvert une faille — une fissure par laquelle la vérité, encore hésitante, peut enfin passer. Je sens son corps contre le mien, son souffle calme et régulier, un ancrage dans ce chaos intérieur qui me dévore, me tourmente.Élias— Roxane... Je sais que j’ai trahi ta confiance. Que mes actes ont creusé un fossé entre nous, un abîme que je ne sais pas encore comment franchir. Mais je veux essayer. Je veux me battre pour nous. Pas seulement par des mots, mais par des actes.Je dépose doucement ma main sur sa joue, ma paume épousant la douceur de sa peau. Je veux lui transmettre tout ce que mes mots ne peuvent dire, lui faire sentir que, malgré la douleur, je suis là, entier, même si brisé.
RoxaneJe me réveille à nouveau, mais cette fois la lumière est différente. Plus crue, plus directe. Le soleil d’un après-midi qui n’a pas attendu pour s’imposer. Mes paupières se plissent, irritées par la clarté, mais ce qui me réveille vraiment, c’est ce poids contre moi. Élias est là, son souffle chaud caresse ma peau, son corps immobile malgré la tension qui l’habite encore. Je sens ses muscles tendus sous ma main posée sur sa poitrine, comme s’il contenait une tempête prête à éclater.Je tourne lentement la tête vers lui. Son regard est fixe, chargé d’une intensité que je ne reconnais pas tout à fait. Il y a cette même vérité nue d’hier matin, mais maintenant, elle se teinte d’une urgence. Comme si les cendres de nos non-dits commençaient à s’embraser, à réclamer leur place dans notre réalité.Je sens mon cœur s’accélérer, ce mélange d’appréhension et de douleur qui s’installe. Parce que je sais, au fond, que cette journée ne sera pas comme les autres. Que ce poids qu’il porte ne
RoxaneQuand j’ouvre les yeux, la lumière filtre doucement à travers les rideaux.Elle est douce, presque timide, comme si elle avait peur de déranger ce moment fragile.Je ne sais pas quelle heure il est. Je ne cherche même pas à savoir.Ce qui compte, c’est qu’il est là. Contre moi.Ma jambe repose sur la sienne, lourde de tout ce qu’on n’a pas dit.Mon bras en travers de son torse, comme si je voulais l’ancrer, l’empêcher de s’échapper à nouveau.Il ne bouge pas.Il respire lentement, profondément, avec cette régularité apaisante.Je pourrais croire qu’il dort. Que tout est rentré dans l’ordre.Mais je sais. Je sais qu’il est réveillé.Je le sens.Sous mes doigts, son cœur bat un rythme que je veux apprendre par cœur.Je n’ose pas parler. Pas encore.J’ai peur que le son de ma voix brise ce silence fragile, comme un cristal qui se fend.Que la réalité, avec ses mots lourds, vienne tout gâcher.Alors je reste là, immobile, à compter chaque battement, à écouter ce souffle qui est dev
RoxaneOn ne rentre pas tout de suite.On reste là, adossés l’un à l’autre, le souffle mêlé à la nuit, les corps tendus, comme figés dans un instant qui ne veut pas finir. Et il y a quelque chose dans cette immobilité, dans cette étreinte silencieuse, qui me donne l’impression que le monde pourrait s’arrêter de tourner. Que tout pourrait s’effacer, sauf nous deux. Comme si le simple fait de respirer côte à côte suffisait à nous ancrer, à nous réparer.Je ferme les yeux. Je sens son dos contre le mien, la chaleur de sa présence, ce battement irrégulier que je devine sous sa cage thoracique. Et moi, je tremble. Pas de peur. De ce trop-plein d’émotion qui pulse dans mes veines.Il finit par se redresser. Lentement.Ses mains glissent le long de mes bras jusqu’à mes poignets, avec cette hésitation douce, comme s’il s’excusait de rompre le charme, de briser ce fragile équilibre.Quand il me regarde à nouveau, il n’y a plus de fuite dans ses yeux.Plus de peur.Seulement une certitude fébri
RoxaneLa voiture roule à nouveau.Silence dans l’habitacle.Mais ce n’est pas un silence vide.C’est un silence dense, chargé, électrique. Un silence après l’orage.Un silence où chaque battement de cœur devient une clameur.Et moi, je suis là, assise derrière Élias, à sentir mon cœur cogner contre mes côtes, comme un oiseau affolé qu’on aurait enfermé.Ma peau frissonne encore là où ses lèvres ont effleuré les miennes.Mon souffle est court, irrégulier.Et mes pensées sont un tumulte sans fin.Il ne dit rien.Moi non plus.Mais chaque seconde me brûle, m’écorche.Il m’a embrassée. Il m’a regardée comme si j’étais un danger, une promesse, une guerre.Et maintenant, il conduit, comme si rien ne s’était passé.Mais je sens.Ses épaules tendues, comme arquées par une tension invisible.Ses mains un peu plus crispées sur le volant.Son souffle, plus rapide à chaque feu, chaque virage.Il lutte. Il résiste. Il se retient.Et moi, je n’ai plus envie de résister.Je suis fatiguée de fuir, d