Chapitre 3

Le jour de ma sortie de l'infirmerie coïncidait avec l'anniversaire de Berthe, la mère de Justin et Luna actuelle de la meute.

Je ne tenais pas à m'y rendre. Mon seul désir était de m'éloigner le plus possible de Justin et des siens.

Mais Berthe elle-même m'avait envoyé l'invitation, affirmant que la fête serait incomplète sans sa future Luna.

Je n'avais pas oublié sa main dans la mienne, après la mort de ma mère en couches, quand elle m'avait assurée que je pouvais toujours compte sur elle comme sur une mère.

De plus, quelqu'un devait lui annoncer la rupture entre son fils et moi.

J'ai accepté finalement.

La célébration se tenait à la Maison de l'Alpha. Sous les étoiles, la musique enveloppait les convives évoluant entre les colonnes de pierre et les totems lupins, dans une atmosphère à la fois solennelle et vibrante.

Dès mon entrée dans le domaine, je les ai vus : Marissa blottie contre Justin, la joue nichée à son cou. Même si son étreinte ralentissait sa marche, il ne la repoussait pas.

« Tu as risqué ta vie pour moi », a-t-elle murmuré, levant les yeux pour croiser mon regard, « Comment te remercier ?… Flora est pourtant ta compagne destinée. Tu ne crains pas de lui briser le cœur ? »

Les membres de la meute affichaient des expressions gênées, leurs regards circulant entre nous trois.

Justin m'a aperçue alors. Il a écarté Marissa d'un geste machinal et s'est avancé vers moi : « Flora, tu es là. Viens. »

Je ne lui ai accordé qu'un regard glacé, poursuivant sans ralentir vers un coin tranquille.

Alors qu'il restait figé sur place, Marissa s'est collée de nouveau à lui.

C'était un ami qui a rompu le silence, d'une voix grave : « Votre cérémonie d'union approche, Justin. Tu es le futur Alpha. Que signifie cette comédie ? Que représente Flora à tes yeux ? »

Justin m'a jeté un coup d'œil distrait avant de ricaner : « La cérémonie ? Flora a choisi de rompre notre lien. Il n'y aura aucune union. »

Un souffle collectif a parcouru l'assistance. Dans une meute aussi attachée à la tradition, une rupture de lien condamnait des générations entières au scandale !

Les anciens m'ont entourée aussitôt :

« Que se passe-t-il entre vous deux ?

« Vous avez grandi ensemble, vous êtes âmes sœurs ! »

« N'as-tu pas gravi le Temple de la Déesse Lunaire à six mille mètres pour prier pour Justin ? Si c'est un malentendu, parlons-en ! »

Mon regard s'est posé sur le bracelet lunaire au poignet de Marissa.

Quand Justin gisait entre la vie et la mort, j'avais escaladé la montagne jusqu'au temple pour implorer cette protection.

Mes mains avaient mis trois mois à guérir.

Sous le surprise, Justin avait pleuré devant moi pour la première fois, jurant de chérir ce bracelet et moi pour l'éternité.

Et maintenant ? Le talisman sacré ornait le bras d'une autre...

Refoulant la douleur qui me lacérait la poitrine, j'ai étouffé un cri derrière un rire amer.

Justin avait tout offert à Marissa, jusqu'au bracelet béni par la Déesse.

Notre passé, si profondément gravé, avait cédé devant son présent avec elle.

Dans le cercle des anciens insistants, j'ai coupé court : « Aucun malentendu. Tout est fini entre nous. Les gages d'amour sont rendus. »

Berthe est arrivée, alertée. En voyant mon visage, son regard s'est voilé d'inquiétude. Elle a attrapé le bras de Justin, le traînant devant moi.

« Présente tes excuses à Flora. Immédiatement », a-t-elle ordonné.

Mais Justin s'est contenté de me défier en silence, entêté.

Ne supportant plus cette comédie, j'ai soulevé les pans de ma robe et me suis réfugiée sur la terrasse dans l'ombre. L'air froid de la nuit m'y paraissait plus respirable que l'atmosphère étouffante à l'intérieur.

Marissa m'a suivie peu après. S'accoudant à la balustrade, elle a fait scintiller la pierre lunaire démesurée à son doigt.

J'ai tenté de m'éloigner, refusant sa compagnie, mais elle a agrippé mon poignet.

Son regard ne cachait plus son hostilité : « Te voilà bien satisfaite, avec Berthe dans ton camp ? »

J'ai froncé les sourcils en tentant de dégager ma main. Elle a serré plus fort, ses ongles s'enfonçant dans ma peau : « Ne te berce pas d'illusions. Si Berthe est si attentionnée, c'est à cause de ta mère, morte en couches. Trop faible, ta mère… Attends. Et si c'était la malédiction de ton sang qui l'avait tuée ? »

Son rire a éclaté, cruel : « Quand j'aurai Justin entièrement à moi, crois-tu qu'elle te soutiendra encore, toi, la métisse, contre son propre fils ? »

Certaines lignes ne devraient jamais être franchies. Celle de l'honneur de mes parents en était une.

Mes poings se sont serrés. Un tremblement furieux m'a parcourue.

« Lâche-moi ! »

Au moment où j'allais la repousser, une lueur triomphante a brillé dans son regard. Au lieu de résister, elle s'est laissée choir avec théâtre, portant même une gifle à sa joue.

Le claquement sec a fendu la nuit, suivi de sanglots exagérés :

« Justin, à l'aide ! Je ne voulais pas la mettre en colère, mais elle m'a frappée… Elle a dit que tu ne valais rien à ses yeux ! » a-t-elle gémi en s'effondrant au sol.

Justin est arrivé en courant. Il a empoigné mon bras, le visage sombre : « Présente tes excuses, Flora. »

Un ricanement m'a échappé.

Autrefois, il aurait tenu tête au monde entier pour me protéger. Maintenant, il me menaçait.

Le loup qui ne voyait que moi n'existait plus.

« Je ne l'ai pas frappée. Mais sur un point, elle a raison », ai-je déclaré avec un calme glaçant.

Justin a eu un mouvement de surprise : « Lequel ? »

« Tu ne représentes plus rien pour moi », ai-je soutenu son regard, chaque mot ciselé comme une lame.

Puis, j'ai dénoué ses doigts autour de mon bras et suis partie sans me retourner. Lorsque je descendais les marches, une larme indocile a glissé le long de ma joue...