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Chapitre 4 — La Réception

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-09-09 00:42:12

AMÉLIA

Le carillon s’éteint et déjà les portes de la cathédrale s’ouvrent sur un monde de faste et de murmures, Manhattan bruisse de rumeurs et d’applaudissements, les caméras crépitent, les flashs éclatent comme des éclairs d’orage, et Victor serre ma main d’une poigne ferme, m’entraînant dans cette lumière aveuglante où nous sommes désormais des époux, des souverains d’un jour que l’Amérique entière observe avec un mélange de fascination et d’envie.

La réception se tient dans l’immense ballroom du Plaza Hotel, drapé de tentures blanches et or, illuminé par des lustres de cristal dont les mille éclats se reflètent sur les coupes de champagne. Des orchestres alternent valses et airs modernes, des serveurs en gants blancs se déplacent comme des ombres silencieuses, et partout, l’élite se rassemble, échangeant des sourires mesurés, des regards calculés, des mots lourds de sens cachés.

Je reconnais les visages un à un les Rockefeller dans un coin, impassibles comme s’ils jugeaient chaque détail, les Morgan, dont les hommes parlent déjà affaires, les Astor qui rient trop fort, trop brillants, trop parfumés. Les Carnegie, les Whitney, les Du Pont : chacun est là, chacun observe, chacun attend de voir si cette union est un pacte ou une faille.

Et puis, parmi cette foule, un visage plus tendre, plus lumineux que tous les autres, attire mon regard et m’arrache un sourire fragile.

Élise : Ma petite sœur.

Elle n’a que vingt ans, mais déjà sa beauté éclate avec une insolence délicate, ses cheveux blonds tombant en cascade sur ses épaules, ses yeux clairs brillant d’une curiosité qu’elle ne parvient jamais à masquer. Contrairement à moi, Élise n’a pas encore connu le poids des intrigues, la morsure des mensonges, la brûlure des passions interdites. Elle me regarde avec une admiration naïve, une fierté sincère, et son sourire me bouleverse plus que tout le faste qui m’entoure.

— Tu es magnifique, Amélia, souffle-t-elle quand elle me rejoint pour m’embrasser, sa voix encore vibrante d’émotion.

— Et toi, petite sœur, tu es l’éclat du soleil dans cette salle trop lourde, murmuré-je en caressant ses cheveux.

Son rire clair résonne, contraste avec les conversations feutrées des grands de ce monde, et je sens le regard de Victor glisser vers elle, rapide, indéchiffrable, comme une ombre furtive. Un frisson me parcourt mais je détourne les yeux, refusant de céder à cette paranoïa qui m’envahit toujours face à lui.

La valse commence.

Victor m’attire dans ses bras, sa main se pose sur ma taille, sa chaleur traverse le satin de ma robe, et je ferme les yeux une seconde pour ne pas me laisser dévorer par cette intensité qui me brise à chaque contact. Nous tournons, lentement, au centre de la piste, et autour de nous les regards se fixent, certains envieux, d’autres admiratifs, d’autres encore empoisonnés par la jalousie.

— Souris, Amélia, murmure Victor à mon oreille d’une voix basse, rauque. Ce soir, nous sommes un spectacle.

— Tu adores ça, n’est-ce pas ? dis-je dans un souffle amer. Être au centre du monde.

— Seulement quand c’est avec toi, réplique-t-il en me serrant plus fort.

Je veux lui résister, mais ses lèvres frôlent ma tempe, ses doigts pressent mes hanches avec une autorité douce et brutale, et malgré moi je sens ma poitrine se soulever, ma respiration s’accélérer. Ce jeu est sans fin : haine et désir, rage et abandon, une danse plus dangereuse que toutes celles de cette soirée.

Les heures s’étirent, faites de toasts, de discours, de sourires de façade. Le champagne coule, les alliances tacites s’échangent dans des poignées de main, et derrière chaque rire se cache une rivalité, un calcul, une stratégie. J’entends déjà les murmures : les Harrington et les Vanderbilt, l’empire de la finance uni à l’empire industriel, le mariage du siècle. Mais personne ne voit la vérité nue : derrière le faste, ce mariage n’est pas une paix, c’est une guerre silencieuse.

Et moi, je brûle.

Je brûle sous les regards, je brûle sous le poids de mon nom, je brûle surtout sous le contact de Victor qui ne me lâche jamais vraiment, ses doigts frôlant toujours les miens, sa main se posant sur le creux de mon dos, son souffle se perdant parfois dans mes cheveux. Je devrais me sentir prisonnière, mais je découvre une part de moi qui se nourrit de cette captivité.

Élise me rejoint encore, riante, légère, inconsciente de l’orage qui couve sous mes sourires figés. Elle danse avec des fils d’amis de la famille, insouciante, gracieuse, et je la regarde comme si elle était mon reflet d’autrefois, avant Victor, avant la brûlure, avant la chute.

Je ferme les yeux.

Car bientôt, la fête s’achèvera. Bientôt, les invités quitteront la salle dans un tourbillon de parfums et de soie. Bientôt, il n’y aura plus que lui et moi.

Et cette fois, rien ni personne ne pourra nous retenir.

Car la nuit de noces approche.

Et je sais déjà qu’elle sera une bataille plus torride, plus sauvage, plus dangereuse que toutes celles qui nous attendent dans l’ombre des années à venir.

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