AMÉLIA
La lumière du matin filtre à travers les rideaux lourds de velours, douce et pâle, caressant ma peau encore marquée par la nuit. Je m’éveille dans un souffle, mes membres engourdis, mon corps lourd et comblé, et la première chose que je sens, c’est son bras passé autour de ma taille, sa chaleur qui m’enserre, son souffle régulier dans mes cheveux.
Victor dort encore, je n’ose pas bouger, prisonnière volontaire de cette étreinte. Ma gorge est sèche, mes lèvres encore meurtries par ses baisers, mes cuisses douloureuses d’avoir tant cédé, et pourtant, un frisson d’ivresse me traverse quand je pense à la façon dont il m’a prise, encore et encore, comme si la nuit ne suffisait jamais.
Il entrouvre les yeux, un éclat noir qui me saisit aussitôt. Sa voix rauque me murmure :
— Bonjour, épouse.
Je baisse les yeux, incapable de soutenir ce regard qui m’engloutit. Mais déjà, il se lève, drapé d’une assurance nue, tirant à lui une chemise blanche qu’il enfile sans fermer les boutons. Ses ordres tombent avec douceur mais sans appel.
— Habille-toi, Amélia. On nous attend pour le petit déjeuner.
Je m’exécute, choisissant une robe de soie claire, presque candide, comme si j’espérais tromper mon reflet. Puis il me prend la main, m’entraîne hors de la chambre, et nous voilà bientôt assis dans une salle à demi déserte, une table dressée pour deux, couverte d’argent, de porcelaines fines et de fruits éclatants.
Le café fume dans les tasses, les viennoiseries croustillent sous nos doigts, et je sens sur moi son regard constant, lourd comme une caresse invisible. Nous parlons peu, quelques phrases polies échangées, mais tout est déjà dit dans ses yeux : je lui appartiens. Pourtant, malgré la cage dorée, je sens une étrange ivresse m’envahir, comme si chaque bouchée, chaque gorgée de champagne matinal m’ancrait plus profondément dans ce rôle d’épouse offerte.
À midi, il m’emmène à la terrasse de l’hôtel le plus haut de la ville. L’air est vif, chargé de parfums d’azur et de métal, la ville entière s’étale sous nos pieds, un océan de toits et de vitres étincelantes. Le soleil fait briller les couverts, les nappes blanches flottent dans le vent, et un violon discret accompagne notre repas.
Victor commande pour nous deux, son autorité s’étend jusque dans les assiettes, et je goûte, docile, aux plats raffinés qu’il choisit, mes lèvres s’humidifiant de vins corsés, de sauces épicées. Entre chaque bouchée, il frôle ma main, caresse mes doigts du bout de ses ongles, et je sens le feu renaître sous ma peau, une brûlure latente qui ne demande qu’à éclater.
— Tu es belle quand tu m’obéis, dit-il dans un souffle à peine audible, et je baisse la tête, honteuse de sentir mes joues rougir.
Le soir vient, et avec lui une nouvelle mise en scène. Dans une salle retirée, à l’écart des regards, une table pour deux nous attend, nappée de blanc, entourée de chandelles hautes dont la flamme vacille dans le silence. Des pétales de roses parsement la nappe, le vin rouge se verse comme du sang dans les verres, et je comprends que cette journée n’a été qu’un prélude, une attente avant la nuit qui approche.
Le dîner est lent, chaque plat s’attarde, chaque toast qu’il lève me fait trembler. Ses mots se font plus rares, mais ses regards m’enferment dans une promesse silencieuse : il me dévorera encore.
Et lorsque nous regagnons enfin notre suite, je sens déjà mes jambes faiblir, mon souffle se hâter, comme si mon corps avait devancé ma volonté. La chambre est plongée dans une lumière douce, les draps retendus, le lit immense nous attend, et sans un mot il m’attire contre lui, ses lèvres s’emparant des miennes avec cette faim insatiable.
La nuit s’ouvre, torride, dévorante, encore plus violente et tendre à la fois que la précédente. Ses mains parcourent chaque recoin de mon corps, ses baisers mordent, apaisent, consument, et je me débats en vain, car à chaque résistance naît un plaisir plus fort. Le satin des draps s’imprègne de notre sueur, mes gémissements emplissent l’air, et je me perds dans cet orage de chair et de désir, incapable de discerner où commence ma haine et où finit mon abandon.
Victor me soulève, me tourne, me jette sur le lit avec cette même force qui m’avait fait frissonner la veille, et je m’abandonne, haletante, mes mains cherchant son corps, mes doigts accrochant ses épaules. Il m’étreint, me possède, et je sens chaque muscle de mon corps répondre à son rythme, une danse primitive où plaisir et lutte se mêlent.
Il change de position, me fait tourner, m’étreint debout, agenouillée, allongée, chaque mouvement m’emportant plus loin dans une torpeur où je n’ai plus aucune maîtrise, où mes gémissements deviennent des cris, mes soupirs des prières silencieuses. Ses lèvres mordent, sa langue joue, ses mains explorent et consument, et moi, je réponds, je supplie, je résiste, je me rends, je veux tout et je ne veux rien à la fois.
À un moment, il s’assoit au bord du lit, me tirant sur lui, mes jambes autour de sa taille, et il me domine avec une puissance qui me brûle, m’écrase, m’élève, et je sens mon corps s’abandonner, se tendre, se courber, se briser et renaître sous ses gestes. Chaque baiser, chaque morsure, chaque caresse me déchire et me reconstruit, me fait hurler et soupirer en même temps, et je découvre dans cette violence de désir une douceur inattendue, un plaisir qui naît dans la douleur et l’ivresse de la possession.
Nous tombons à terre, roulons, glissons, et il s’empare de moi encore et encore, jusqu’à ce que mes jambes flanchent, mes bras s’affaissent, mes cris deviennent gémissements haletants, et je comprends que je n’ai plus d’autre refuge que lui, que chaque fibre de mon corps, chaque parcelle de ma chair, chaque souffle que je prends est à lui, dévorée par sa présence, consumée par son désir.
Je m’offre.
Et dans le tumulte des chandelles qui s’éteignent une à une, je comprends que Victor ne me laisse pas respirer pour me punir, mais pour me faire renaître, à chaque fois, dans le feu de ses bras, dans l’abandon, dans le vertige, dans cette nuit où nous sommes seuls au monde, liés par le désir, la possession et un plaisir si intense qu’il en devient presque insoutenable.
AMÉLIAIl y a dans sa manière de me prendre une précision qui ressemble à de la haine, et dans ma manière de hurler une certitude qui ressemble à du métal, nous sommes deux machines qui se cognent et qui s’échangent des éclats, je sens ses doigts comme des serres sous mon bras, je sens ses muscles se tendre sous sa veste, et malgré la boue qui colle à mes escarpins et la fureur qui me dévore de l’intérieur je refuse de m’éteindre, je refuse de me fondre dans la capitulation qu’il attend, je le regarde, je cherche dans ses yeux le moindre tremblement qui trahirait un regret, et il n’y a que la dureté, la froideur d’un homme qui n’accepte pas d’être rabaissé, qui refuse de perdre même la façade d’une autorité que la ruine a fissurée mais pas encore brisée— Tu vas te calmer, me dit-il d’une voix basse et dure comme du sable, sans lever la main, mais la menace est là, lourde, tangible, « tu vas comprendre ce que je veux dire par rester »Je crache un mot que je voudrais garder pour moi m
AMÉLIATrois jours seulement. Trois jours suspendus dans un luxe éphémère, trois jours à brûler dans ses bras entre draps de soie et coupes de champagne, trois jours où je me suis laissée dévorer par ce mari que je hais et que je désire dans la même pulsation, persuadée que c’était le prélude à une vie de faste, d’opulence, de domination partagée.Et puis le rêve se déchire.La limousine glisse à travers Manhattan et déjà je trouve le trajet trop long, trop sinueux. Les avenues larges et éclatantes laissent place à des rues plus étroites, des façades fatiguées, des échoppes ternes où la poussière remplace le cristal. Je me penche vers la vitre teintée, incrédule.— Victor… où allons-nous ?Il reste muet. Son profil est taillé dans le marbre, ses yeux fixés droit devant, impassibles.La voiture ralentit.Je tourne la tête et mon cœur s’arrête.Une villa décrépite se dresse devant nous, lézardée par le temps, rongée par l’humidité, un jardin en friche où les herbes folles s’entrelacent
AMÉLIALa lumière du matin filtre à travers les rideaux lourds de velours, douce et pâle, caressant ma peau encore marquée par la nuit. Je m’éveille dans un souffle, mes membres engourdis, mon corps lourd et comblé, et la première chose que je sens, c’est son bras passé autour de ma taille, sa chaleur qui m’enserre, son souffle régulier dans mes cheveux.Victor dort encore, je n’ose pas bouger, prisonnière volontaire de cette étreinte. Ma gorge est sèche, mes lèvres encore meurtries par ses baisers, mes cuisses douloureuses d’avoir tant cédé, et pourtant, un frisson d’ivresse me traverse quand je pense à la façon dont il m’a prise, encore et encore, comme si la nuit ne suffisait jamais.Il entrouvre les yeux, un éclat noir qui me saisit aussitôt. Sa voix rauque me murmure :— Bonjour, épouse.Je baisse les yeux, incapable de soutenir ce regard qui m’engloutit. Mais déjà, il se lève, drapé d’une assurance nue, tirant à lui une chemise blanche qu’il enfile sans fermer les boutons. Ses o
AMÉLIALa réception s’achève dans un tumulte de rires forcés et de verres vides, les derniers accords de l’orchestre résonnent comme un soupir fatigué sous les lustres du Plaza, et quand les invités commencent à se retirer, leurs manteaux glissant sur leurs épaules parfumées, je sens mon cœur battre plus vite, plus fort, comme si chaque adieu nous rapprochait inexorablement du moment où il n’y aura plus que lui et moi.Victor ne lâche pas ma main. Ses doigts sont serrés, presque cruels, comme s’il voulait m’imprimer sa force dans la peau, et chaque pression de sa paume me rappelle que, malgré mes sourires de façade, malgré ma posture impeccable d’épouse modèle, je suis prisonnière de son regard depuis l’instant où j’ai dit « oui ».Le silence tombe peu à peu derrière nous, absorbé par les couloirs feutrés du Plaza, et nos pas résonnent dans l’intimité d’un ascenseur doré qui nous emporte vers la suite nuptiale. Les murs capitonnés semblent retenir notre souffle, et l’air devient plus
AMÉLIALe carillon s’éteint et déjà les portes de la cathédrale s’ouvrent sur un monde de faste et de murmures, Manhattan bruisse de rumeurs et d’applaudissements, les caméras crépitent, les flashs éclatent comme des éclairs d’orage, et Victor serre ma main d’une poigne ferme, m’entraînant dans cette lumière aveuglante où nous sommes désormais des époux, des souverains d’un jour que l’Amérique entière observe avec un mélange de fascination et d’envie.La réception se tient dans l’immense ballroom du Plaza Hotel, drapé de tentures blanches et or, illuminé par des lustres de cristal dont les mille éclats se reflètent sur les coupes de champagne. Des orchestres alternent valses et airs modernes, des serveurs en gants blancs se déplacent comme des ombres silencieuses, et partout, l’élite se rassemble, échangeant des sourires mesurés, des regards calculés, des mots lourds de sens cachés.Je reconnais les visages un à un les Rockefeller dans un coin, impassibles comme s’ils jugeaient chaque
AMÉLIALes cloches résonnent dans l’air limpide de Manhattan, longues, claires, solennelles, et je sens ce son vibrer jusque dans ma poitrine comme une promesse autant qu’une condamnation. La nef immense de la cathédrale Saint-Patrick est illuminée par des vitraux où le soleil de midi se brise en éclats de couleurs, et tout autour de moi, la haute société américaine a pris place, chuchotant, observant, jaugeant, comme si notre mariage n’était pas seulement une union, mais une bataille silencieuse entre deux lignées.Car ici, chaque nom est un empire.Mon nom d’abord, Amélia Vanderbilt, dernière héritière d’une fortune patiemment bâtie sur les rails, le charbon et les navires, un nom qui ouvre toutes les portes mais qui m’a toujours semblé peser comme une chaîne autour de mes poignets délicats.Et face à moi, lui, Victor Harrington, fils d’une dynastie ancrée dans la finance, réputée pour ses investissements audacieux, ses banques, ses gratte-ciel. Un nom qui résonne dans tous les cerc