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GabrielLe téléphone vibre.Une secousse sèche contre le bureau, qui déchire le silence dans lequel il s’était enseveli.Au début, il ne regarde même pas l’écran. Il n’a pas l’énergie. Son esprit est encore noyé dans l’odeur d’Élise, dans la mémoire brûlante de sa peau. Puis, par habitude, par réflexe professionnel qui refuse de mourir, ses yeux se posent sur l’afficheur.DR MENDELSON : PRIVÉSon sang se glace.Il sent son thorax se contracter, une douleur aiguë juste sous le sternum. Le nom suffit à faire remonter un monde englouti : une salle blanche, des machines, une lumière trop forte, et ce mot qui avait été une sentence, un couvercle scellé sur son avenir : stérile.Un souffle court traverse sa gorge.Il décroche.— Gabriel ?La voix est tendue, rapide, étranglée.— Oui.Un murmure.— Je… il faut que vous veniez. Immédiatement. C’est… c’est extrêmement important.L’air s’effrite autour de lui.— Qu’est-ce que… ?Il sent sa voix se fendre.— Je ne peux pas expliquer au téléphone
ÉliseLe couloir est un tunnel de regards. Mes pas sonnent faux sur le carrelage, chaque impact un éclat de verre dans le silence soudain. Les rires se sont éteints net, remplacés par un bourdonnement bas, une rumeur de mouches avant l'orage. Je fixe un point droit devant moi, la porte des toilettes, mon seul horizon possible. Un sourire mécanique fend mes lèvres, un réflexe de cobra face au danger. Leurs visages en retour sont des masques lisses, mais leurs yeux dévorent chaque parcelle de ma peau, traquent la faille, la trace. Je passe. Je sens leurs pupilles me suivre, pesantes, accrochées à mon dos.La porte lourde des toilettes cède, l'espace frais et carrelé m'aspire. Je m'enferme dans un cabinet, pousse le loquet d'un geste sec. L'obscurité relative. Le ronronnement blanc du ventilateur. Et là, enfin, mon corps peut se briser. Un tremblement remonte de mes entrailles, un séisme contenu trop longtemps. Je m'effondre sur la cuvette, les jambes liquides. Mes doigts se portent à me
ÉliseLa matinée s’étire dans une lenteur étrange.Les minutes s’accrochent les unes aux autres, lourdes et hésitantes.Les visages autour de moi semblent flous, comme dans un rêve dont je n’arrive pas à sortir.À chaque fois qu’il passe dans le couloir, je sens mon corps se raidir.Même sans le regarder, je sais.Je reconnais la manière dont son ombre glisse sur les vitres, le rythme de ses pas, ce léger froissement de tissu quand il tourne.Les rumeurs, elles, vont bon train.Des chuchotements, des sourires à demi étouffés.On parle bas, mais pas assez.Un prénom murmuré, un rire vite coupé, une phrase suspendue.Tout cela tisse une toile autour de moi.Je garde la tête baissée, concentrée sur des chiffres qui n’ont plus aucun sens.Mais à l’intérieur, tout brûle encore.La nuit, la mer, le vent , tout est revenu.À midi, alors que les autres s’apprêtent à sortir, un message s’affiche sur mon écran : De : DirectionPeux-tu passer me voir avant de déjeuner ?Mon cœur se serre.Je re
ÉliseLe lendemain, le bureau semble plus froid que d’habitude.Pas un vrai froid, pas celui qu’on sent sur la peau, mais celui qui vient de l’intérieur.Comme si la veille avait laissé sur moi une pellicule invisible, un voile de sel et de silence.Peut-être est-ce moi qui ai changé.Ou peut-être la lumière.Cette lumière blanche, impitoyable, qui glisse sur les vitres et s’infiltre partout.Elle ne réchauffe rien. Elle expose.Je traverse le couloir en silence.Chaque pas résonne un peu trop fort.Les conversations s’interrompent à demi, les rires s’étouffent.Ou peut-être que j’imagine.Peut-être que tout vient de moi.Je souris, je salue, je m’assois.Mais mon corps ne m’écoute plus.Mes gestes sont automatiques, creux, comme si je jouais encore à être quelqu’un d’autre.Le clavier claque sous mes doigts sans que je voie vraiment les mots.Quand il entre, je n’ai pas besoin de lever les yeux.Je le sens.Un frisson traverse l’air, minuscule, électrique.Le murmure des voix baisse
ÉliseLe repas s’est déroulé dans un calme feutré.Ma mère parlait par petites phrases, comme pour combler les silences.Ma grand-mère, elle, observait, attentive, comme si elle lisait en moi ce que je n’osais pas dire.Je picorais dans mon assiette sans vraiment manger. Le goût ne passait plus.Les mots, non plus.Quand je me lève pour débarrasser la table, un bruit sec retentit : trois coups frappés à la porte.Ma mère sursaute.— À cette heure-ci ? murmure-t-elle.Je vais ouvrir.Et je reste figée.Là, sur le palier, dans la lumière pâle du couloir, se tient mon patron . Son manteau sombre est humide, ses yeux brillent d’une tension que je n’ai jamais vue.— Bonsoir, Élise. Excuse-moi de venir si tard…Sa voix est basse, contenue.Je balbutie :— Tout va bien ?— J’aimerais te parler. Seul à seule, si possible.Derrière moi, ma mère s’avance, confuse.— C’est ton patron ?Je hoche la tête, puis je dis :— Je reviens tout de suite, maman.Elle n’insiste pas.Elle sait que certaines
ÉliseLe lendemain, tout le monde sait.Ou fait semblant de ne pas savoir.Ce qui revient au même.Les visages ont changé de lumière.Un rien.Une ombre dans le regard, un sourire retenu, un silence trop long.Je le sens dès que j’entre.Les bruits du matin , les claviers, les rires, les salutations , semblent s’être accordés sur une même fausse note.Tout sonne creux.Tout sonne contre moi.Je dépose mon sac, j’allume mon ordinateur.Les gestes sont mécaniques, mais mes mains tremblent légèrement.Le café refroidit à côté, oublié.À la machine, deux collègues chuchotent.Je m’approche : elles s’interrompent net.Un instant suspendu.Puis un sourire, trop rapide, trop poli.— Tu as l’air fatiguée, Élise. Tout va bien ?— Oui, merci.Leur voix reprend quand je tourne le dos.Un rire étouffé.Un mot que je ne saisis pas ou que je préfère ne pas saisir.Je respire lentement.Le pire, ce n’est pas la méchanceté.C’est la curiosité.Cette façon qu’ont les gens de s’approcher du désastre sa








