LOGINLe matin s’installa sur Reyford Corp avec cette lumière froide qui gomme les visages et rend les gestes mécaniques. Les ascenseurs crachèrent leur lot de corps pressés, les badges bipèrent, le café exhala une amertume collective. Pourtant, sous l’ordre apparent, quelque chose vibrait de travers, une note plus sourde, une ligne ténue de murmures qui s’étiraient d’open-space en verrières, de couloirs vitrés en salles réservées.
Mila le sentit avant de l’entendre. Dans l’air, une densité nouvelle. Les regards qui s’attardent une demi-seconde de trop. Les chuchotis qui se rabattent au passage d’un pas. Une phrase coupée, reprise plus bas. Elle posa sa main sur la poignée de son bureau et sut déjà que la journée n&rsqu
La journée avait commencé comme une gifle.Mila franchit le hall vitré de Reyford Corp, ses talons claquant contre le marbre poli. Chaque pas résonnait plus fort que d’habitude, comme si le bâtiment entier amplifiait sa présence. Le hall, vaste et lumineux, baignait dans une lumière d’hiver trop blanche, presque crue. L’air sentait le cuir neuf, les fleurs fraîches disposées dans les immenses vases à l’entrée, et cette odeur subtile de café qui filtrait des gobelets portés par les employés déjà pressés. Pourtant, malgré l’animation familière, Mila ressentait une lourdeur inhabituelle.Depuis l’aveu — son aveu —, chaque geste semblait peser double. Elle n’avait pas seulement révélé un secret à Alec ; elle avait brisé un équilibre précaire, et désormais tout ce qui l’entourait avait changé de couleur. Alec ne lui avait pas reparlé. Pas un mot, pas un regard direct. Il s’était enfermé dans son bureau, multipliant les réunions et les ordres rapides, comme s’il érigeait une muraille de gla
La nuit pesait sur la ville comme une chape de plomb. Les vitres immenses de la tour Reyford reflétaient des éclats de lumière, mais dans l’étage désert, tout semblait figé. Mila avançait dans le couloir désert, ses talons étouffés par la moquette. Son cœur battait trop vite, martelant dans sa poitrine comme un tambour désaccordé.Elle n’avait presque pas dormi depuis le vol du retour. Les mots d’Alec résonnaient encore : « La prochaine fois, j’attendrai une réponse. » Elle avait cru pouvoir temporiser, encore un peu. Mais la culpabilité la rongeait. Chaque fois qu’elle croisait son regard, chaque fois qu’elle l’entendait au téléphone avec la Voix, une douleur sourde la frappait : c’était elle. Elle, Mila. Et elle avait menti.Elle s’arrêta devant la porte de son bureau, mais ses doigts ne trouvèrent pas la force de tourner la poignée. Non. Pas ici. Pas dans ce petit espace impersonnel où chaque mur avait des oreilles. Elle inspira profondément et continua sa marche, son pas plus déci
La lumière grise du matin s’infiltrait dans la salle de conférence de l’hôtel, filtrée par de longs rideaux de velours. Mila avait pris place à l’une des extrémités de la table, un dossier ouvert devant elle, son stylo posé en travers de la page. Elle avait lu et relu les chiffres au point que les colonnes de pourcentages s’étaient brouillées dans ses yeux fatigués.Elle avait dormi deux heures à peine. Pourtant, son visage présentait une maîtrise parfaite : cheveux tirés en arrière, tailleur impeccablement ajusté, maquillage qui masquait l’ombre bleutée sous ses paupières. Elle ressemblait à la professionnelle idéale. Mais à l’intérieur, ses pensées brûlaient encore du baiser de la veille.Alec entra en dernier, comme toujours. Sa démarche, calculée, imposait une attention immédiate. Il salua brièvement, prit place en bout de table. Le silence fut total. Même les bruits de couverts venant de la salle attenante semblaient se taire pour lui céder l’espace.La réunion débuta. Discussion
La porte de sa chambre d’hôtel se referma dans un soupir feutré, mais le bruit claqua dans la tête de Mila comme une détonation. Elle resta immobile quelques secondes, le dos collé au bois vernis, les paumes à plat, comme si elle avait besoin de s’ancrer à quelque chose de solide pour ne pas s’effondrer.Elle avait fui. Oui, elle avait fui. Le couloir, l’ascenseur, les regards encore vibrants de ce qu’il s’était passé sur le balcon… tout était allé trop vite et trop lentement à la fois.Elle ferma les yeux. L’air glacé de la nuit lui brûlait encore les lèvres. Ses lèvres.Alec.Mila porta une main tremblante à sa bouche. Le contact était encore là, fantôme brûlant. Ce n’était pas un rêve. Ce n’était pas une illusion. Ils s’étaient embrassés, vraiment, et la force de ce geste résonnait en elle comme un séisme silencieux.Mais aussitôt, la culpabilité la frappa comme une vague glacée. Il ne savait pas.Il ne savait pas que la femme qu’il embrassait était la même que celle qui, dans l’
La soirée était terminée depuis longtemps, mais Mila n’arrivait pas à trouver le sommeil. Dans sa chambre d’hôtel, le silence pesait comme une chape. Le lit, trop vaste, lui paraissait étranger. Les draps sentaient l’amidon et la lavande, mais son corps refusait le repos. Son esprit, lui, tournait en boucle : les regards d’Alec au dîner, les sourires appuyés de Cassandra, les mots trop doux d’Ethan.Elle se leva, pieds nus sur la moquette épaisse. La lumière de la ville filtrait à travers les rideaux. Elle tira légèrement sur le tissu, ouvrit la baie vitrée, et l’air nocturne s’engouffra aussitôt : vif, chargé de l’odeur du bitume humide et du métal froid des gratte-ciels.Le balcon s’ouvrait comme une plateforme suspendue au-dessus de Genève. En contrebas, la rivière scintillait, reflétant les néons et les phares. Le bruit assourdi des voitures se mêlait au cliquetis d’un drapeau flottant dans le vent.Mila posa ses mains sur la rambarde de fer. Le contact glacé lui arracha un friss
Le hall de l’hôtel avait été transformé pour l’occasion : les lustres en cristal diffusaient une lumière dorée qui se reflétait dans les coupes de champagne, les nappes blanches tombaient jusqu’au sol, les bouquets de lys et de roses parfumaient l’air d’une élégance presque oppressante.Les investisseurs affluaient en costumes taillés sur mesure, les épouses et accompagnatrices en robes de soirée, étincelantes sous les projecteurs. Chaque rire semblait calculé, chaque geste étudié.Mila, dans sa robe noire sobre choisie parmi les affaires prudemment glissées dans sa valise, se sentit projetée dans une pièce qui n’était pas la sienne. Ses talons claquaient doucement sur le marbre, mais son cœur battait beaucoup trop fort. Elle se força à respirer, à tenir son dos droit, comme Clara le lui avait souvent répété : « Dans ce monde, si tu sembles hésiter, tu es déjà perdue. »Au centre de toute cette agitation, Alec Reyford avançait. Costume trois pièces sombre, cravate parfaitement nouée,







