Le soleil est haut quand Zola et Erwan arrivent devant la maison de ses parents. Il fait bon, presque trop doux pour un mois d’octobre. Erwan porte une chemise bleu clair soigneusement rentrée dans son pantalon beige , un pull attaché aux épaules , et un bouquet de fleurs à la main – une attention de dernière minute, mais qui a arraché un sourire à la fleuriste du coin. Zola, elle, est nerveuse. Trop apprêtée, trop raide, elle déteste cette impression de retour en terrain miné.— Tu es sûre que ça va ? demande Erwan à voix basse alors qu’ils franchissent l’allée.Elle hoche la tête, respire un bon coup. C’est dimanche, c’est familial, c’est censé être anodin. Censé.Agatha ouvre la porte avec un sourire parfaitement étudié, vêtue d’un tailleur beige casual, comme si elle sortait d’un magazine d’accueil bourgeois. Elle tend la main vers le bouquet, l’examine.— C’est très gentil, Erwan. Des tulipes , mes préférées ! Entrez, je vous en prie.Dans le salon, Paul est debout pour une fois.
Au palais de justice, les choses reprenaient leur train sévère. Robes noires, dossiers épais, café brûlant avalé à la va-vite. Mais quelque chose avait changé dans la façon dont Stanley regardait Zola.Le procureur ne disait rien, au début. Il se contentait d’observer. Quand elle croisait Erwan dans un couloir, son regard s’attardait un peu trop. Quand elle revenait d’une audience où ils avaient plaidé côte à côte, il levait un sourcil, amusé.Un jeudi matin, alors qu’ils attendaient l’ouverture d’une salle, il lâcha, sans la regarder :— Il te va bien, ce sourire, Zola.Elle tourna la tête, surprise. Stanley n’était pas du genre à faire dans la finesse. Encore moins dans les remarques personnelles.— Pardon ?— Je dis juste que tu souris plus, ces derniers temps. Et c’est pas désagréable.Elle plissa les yeux, méfiante.— Vous vous moquez ?— Même pas. Je suis sincèrement content pour vous deux.Un silence.— C’est pas toujours donné, ce genre de trucs. Faut le saisir quand ça passe.
La semaine reprit avec une lenteur ordinaire. Tribunal, café tiède, dossiers à rendre. Rien d’extraordinaire. Mais Zola avait cette sensation nouvelle, presque imperceptible, d’avoir franchi un seuil invisible. Pas une révolution. Une glissade douce. Comme si son cœur s’était déplacé d’un millimètre.Erwan ne chercha pas à capitaliser sur le week-end. Il ne s’imposa pas. Il ne reparla pas de ce déjeuner, ni des regards entendus de sa sœur, ni du baiser sur la joue. Il lui écrivit juste un message, le lendemain matin :Merci encore. Belle semaine à toi.Et c’était tout. Mais Zola y pensait plus souvent qu’elle ne l’aurait cru.Le mercredi, il passa dans son bureau. Il avait besoin d’un arrêt rendu par la cour d’appel. Prétexte grossier, mais elle joua le jeu.— Il est dans la base. Je te l’envoie.— Tu peux me l’imprimer ? J’aime bien le papier.— T’es né en 1952 ?— Dans ma tête, peut-être.Ils échangèrent un sourire. Il y avait dans cette banalité une forme de tendresse.**Jeudi soi
Zola n’avait jamais aimé le mois de novembre. Elle trouvait cette lumière pâle, ces ciels blancs et ces arbres décharnés profondément anxiogènes et les pluies mornes. Mais cette année, pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas encore tout à fait, l’automne lui semblait presque doux.Peut-être parce qu’Erwan la laissait tranquille. Parce qu’il ne forçait rien, ne réclamait rien, se contentait d’être là, dans un coin de son monde, sans l’envahir. Et parfois, dans le silence de ses soirées, elle s’étonnait d’attendre un message, un signe, un écho.Un jeudi, il lui proposa un café, comme on propose une pause à une collègue qu’on apprécie. Elle accepta sans réfléchir.Ils s’installèrent à une petite table près du Palais. Elle s’enveloppa dans son écharpe, le froid saisissait déjà les doigts. Il posa deux expressos sur la table, l’air de rien, puis la regarda, un peu nerveux.⁃J’ai pensé à un truc, dit-il, en triturant le bord de sa tasse.⁃À quoi ?⁃Ce week-end. J’ai un déjeuner de
Le tribunal avait cette odeur singulière de vieux bois, de paperasse froissée et de café tiède. Une odeur qui s’incrustait dans les vêtements, les gestes, les regards. Zola y était revenue comme on remet un manteau familier après une longue absence : avec une forme de soulagement mêlé de prudence.Elle croisa Erwan dans le hall, un lundi matin pluvieux. Il parlait à une greffière, penché sur un dossier, concentré. Quand il leva les yeux, leurs regards se trouvèrent. Pas d’esquive. Pas de sourire. Juste un hochement de tête, sobre. Mais il y avait dans ses yeux une retenue presque douce, une forme de respect qu’elle n’avait jamais vraiment vue avant.Elle passa sans s’arrêter, le cœur un peu serré. Ce n’était pas de l’indifférence, c’était un pacte muet : on ne brusque pas ce qui cicatrise à peine.La première fois qu’ils furent assignés à une même audience depuis leur retrait, ce fut presque banal. Une comparution immédiate, un délit routier banal, pas de tension majeure. Zola plaidai
Zola n’alla pas au café où ils devaient se voir. Elle n’envoya pas de message non plus. Pas pour le punir, mais parce qu’elle n’avait plus l’énergie de le rassurer. Cette fois, c’était à lui d’agir, de prouver. Ou de se taire pour de bon.Elle passa l’après-midi à ranger compulsivement son appartement. Trier, jeter, réorganiser. Tout ce qu’elle n’arrivait pas à faire dans sa vie sentimentale, elle le faisait ici : nettoyer, réinitialiser, respirer. Chaque tiroir vidé ressemblait à un aveu silencieux. Elle avait laissé entrer quelqu’un trop tôt. Et maintenant, elle se débattait avec l’idée de devoir refermer la porte à moitié.Vers 18h, son téléphone vibra.Erwan : Je suis devant chez toi.Elle resta figée. Une partie d’elle voulait descendre, l’autre voulait qu’il comprenne que ce n’était pas le moment. Qu’elle avait besoin d’air. Mais il ajouta une ligne, presque suppliée :Je veux juste te parler. Je ne monterai pas. Promis.Elle descendit.Il était là, les mains dans les poches, l’
Zola se réveilla avec un goût de cuivre dans la bouche. Elle ne savait pas si c’était dû au vin de la veille, au silence d’Erwan ou à cette phrase lancée par son amie, encore en boucle dans sa tête : Il n’est peut-être pas prêt pour toi. Elle aurait voulu que ça glisse sur elle, que ça lui paraisse absurde. Mais ça résonnait.Ils ne s’étaient pas revus depuis trois jours. Trois jours de messages espacés, polis, sans relief. Trois jours où Erwan avait cette manière étrange de rester proche, tout en évitant soigneusement d’évoquer ce qui lui nouait le ventre : Maïa.Quand il proposa un déjeuner « tranquille, rien de sérieux », elle accepta. Pas parce qu’elle avait envie. Mais parce qu’elle devait comprendre.Ils se retrouvèrent dans une brasserie du XIe, endroit neutre, sans passé commun. Il était en retard de douze minutes. Il arriva essoufflé, mal rasé, avec ce sourire qu’il réservait aux situations bancales, quand il savait qu’il devait se faire pardonner sans savoir exactement de qu
Les jours suivants se déroulèrent comme une partition douce. Pas de fausses notes, juste un léger tremblement sous la surface. Zola, qui avait d’abord pris soin de ne rien attendre, se surprenait parfois à guetter les signes — une réponse trop tardive, un regard ailleurs, un soupir qui tombait à côté. Rien de grave. Rien qu’elle puisse nommer. Mais quelque chose flottait, indéfinissable.Un soir, en terrasse, ils partageaient une bouteille de blanc tiède, le genre de vin qu’on commande sans y penser. Ils parlaient boulot, voisins, souvenirs d’enfance. Erwan riait, un peu trop fort. Elle le regardait, heureuse mais lucide : il cherchait à remplir l’espace, à ne pas laisser de blanc.C’est alors qu’elle est apparue.Brune, grande, lunettes de soleil perchées sur la tête comme un accessoire maîtrisé. Elle s’est approchée de leur table avec un sourire trop large pour être innocent.⁃Eh ben… le monde est petit.Zola tourna la tête. Elle ne la reconnut pas, bien sûr. Mais le corps d’Erwan
Le lendemain, Zola se réveilla dans son propre lit. La lumière n’avait rien de doux ici. Elle était plus franche, plus verticale, filtrant à travers les stores mal fermés de son appartement. Pas de draps en désordre à partager, pas de rire étouffé dans une cuisine, juste le silence et l’odeur du café tiède qu’elle avait oublié d’éteindre avant de s’endormir.Elle se leva lentement, encore enveloppée de la veille. Non pas comme un souvenir, mais comme une sensation physique. La présence d’Erwane n’avait pas quitté son corps. Elle le sentait dans sa nuque, là où il avait posé ses lèvres. Dans la paume de ses mains, là où il avait déposé les siennes.Elle passa la matinée à travailler, tentant de reprendre le fil de ses dossiers. Mais son attention glissait, échappait. Chaque fois qu’elle tapait une phrase, elle se surprenait à sourire. Ce n’était pas son genre. D’habitude, elle compartimentait. Elle avait toujours été douée pour ça. Mais là, quelque chose résistait. Quelque chose persis