VictorioLe souffle court, les muscles en feu, je recule lentement, chaque pas résonnant lourdement dans le silence pesant de la nuit. Autour de nous, les débris scintillent sous la lumière blafarde d’un réverbère branlant, vestiges muets d’un combat brutal, plus profond que le simple affrontement physique. Des éclats de métal tordus, des bouts de verre éparpillés, des traces de sang séché sur le sol froid : autant de cicatrices sur cette ville qui semble nous observer, indifférente mais complice.Je sens encore le goût amer du sang dans ma bouche, cette brûlure sourde qui s’étend dans ma poitrine, là où la rage a frappé fort, là où mon cœur se débat contre ses propres chaînes. Pourtant, je refuse de m’effondrer. Pas encore. Pas tant que la nuit nous appartient, pas tant que la flamme en moi refuse de s’éteindre.Caïman, calme et implacable, reprend son souffle d’un air presque moqueur. Un rictus cruel étire ses lèvres, et dans ses yeux brille cette lueur de prédateur satisfait, celle
VictorioJe sors de l’entrepôt en même temps que Mikhaïl. L’air nocturne me fouette le visage, froid et dur, comme un rappel brutal à la réalité. La ville est silencieuse, mais je sens tout ce qui bouillonne sous la surface, cette vie souterraine prête à exploser. Une guerre invisible, menée dans l’ombre. Une guerre qui me réclame.Je marche lentement, le pas lourd, pesant. Chaque bruit me paraît amplifié : le craquement d’un papier sous mes bottes, le souffle rauque d’un passant au loin, le grincement d’une porte qui se referme. C’est comme si la ville elle-même retenait son souffle, suspendue à ce que je vais faire.Les néons vacillent au-dessus de nos têtes, projetant des éclats blafards sur les murs écaillés. Le ciel est d’un noir d’encre, dépourvu d’étoiles. Ce manque d’éclat me serre la gorge, comme si la lumière avait déserté ce coin de la ville, abandonné aux ombres. J’ai l’impression d’être le seul vivant au monde, ou le seul à sentir la menace qui plane.Je sais que je ne pe
VictorioLe téléphone est encore chaud dans ma main quand j’appuie sur le bouton pour raccrocher. Le silence qui suit est aussi pesant qu’un tombeau scellé. Ce silence, c’est celui d’un monde suspendu, sur le point de basculer dans l’abîme. Une ligne invisible entre ce qui a été et ce qui va advenir.Je reste immobile un long moment, le corps lourd, le souffle court. La lumière tamisée de la console dessine des ombres mouvantes sur le cuir usé du siège. Mes doigts lâchent enfin le téléphone. Il glisse lentement, claquant contre la console. Ce bruit insignifiant résonne comme un verdict.Je me laisse choir contre le dossier, le regard perdu dans le vide, dans ce néant froid où naissent les décisions qui brûlent les âmes. Les flammes que j’ai tenté d’étouffer depuis des années se réveillent doucement, enfouies sous la surface, prêtes à dévorer tout sur leur passage. Elles lèchent la nuit, et leur souffle me brûle la peau, me rappelant que rien n’est jamais vraiment éteint.Je sais qu’el
VictorioJe l’entends.Pas le bruit du téléphone. Pas les mots précis qu’elle prononce.Mais autre chose. Plus profond. Plus ancien.Un frisson dans l’air. Une vibration dans la trame du monde. Comme si quelque chose se fendait au milieu du silence.Emily.Elle vient de franchir une ligne invisible.Celle que j’ai passé ma vie à maintenir entre elle et le chaos.Celle que j’ai dessinée pour la protéger… d’elle-même, de moi, du monde que j’ai bâti à coups de cendres et de sang.Je referme la portière de la voiture. Le cuir grince sous mes doigts. Tout est trop silencieux. Même la ville, ce matin, semble retenir son souffle. Comme si elle savait. Comme si elle avait peur, elle aussi.Je fais un signe bref à Mikhaïl. Il sait ce que ça veut dire : pas de questions, pas d’interférences. Pas aujourd’hui.Il me regarde un instant, inquiet. Il n’a pas besoin de poser de mots. Il lit dans mes gestes. Dans la façon dont mes poings restent crispés même au repos. Dans le léger tremblement au coin
ÉmilyJe sentis l’absence avant d’ouvrir les yeux.Le lit avait gardé la chaleur de son corps, mais lui n’était plus là.Un vide tiède. Une empreinte à peine effacée.Je restai un moment figée, à l’écoute.Du silence.Mais pas le sien.Pas le silence rassurant qu’il m’offrait quand il veillait dans l’ombre, quand son souffle régulier me servait de rempart.Non, ce silence-là était chargé, étouffant, un silence qui cache.C’était le genre de silence qui m’avait réveillée, des années plus tôt, dans d’autres draps, d’autres prisons.Ce silence qui précède la tempête.Je me redressai lentement. Mon cœur battait déjà plus vite.Quelque chose n’allait pas.Mon instinct le hurlait. Ce foutu sixième sens qu’on développe quand on a trop souvent dormi la peur au ventre.Quand on a été proie.Je m’habillai sans bruit, enfilant son tee-shirt froissé, un short. Pieds nus, je quittai la chambre.Le couloir semblait plus long que d’habitude. Chaque pas résonnait dans ma tête.Je savais déjà que ce q
VictorioLe silence, celui d’après, était plus lourd que la menace elle-même.Un silence en tension, chargé d’électricité. Le genre de calme qui précède les tempêtes les plus violentes.Et je savais qu’elle arrivait.Je la sentais sous ma peau, dans la morsure de mes nerfs, dans chaque battement sec de mon cœur.Emily dormait enfin.Pas profondément, non. Juste assez pour sombrer sans s’échapper. Un sommeil fragile, celui qu'on garde sur le bord de la conscience quand on sait que la nuit n’est pas sûre.Son corps roulé sous les draps, une épaule nue exposée comme une faiblesse, respirait dans une cadence hachée.Je la fixai un instant.Plus longtemps que je ne l’aurais dû.Elle avait ce visage-là. Celui qui ramollit les monstres. Qui donne envie de repousser la violence à demain.Et je savais que demain n’existait plus.Je me levai. Silencieux.J’attrapai une chemise noire et la laissai ouverte. L’arme glissée à la ceinture. La tension, elle, déjà verrouillée dans mes paumes.Je quitt
EmilyL’odeur du café me tira doucement de mes pensées.Un café fort. Noir. Amer.Comme lui.Comme cette journée qui commençait, imprégnée d’un goût d’alerte.La lumière pâle du matin filtrait à travers les rideaux à demi tirés. La pièce était silencieuse, presque irréelle. Trop calme pour être honnête.Victorio était déjà debout, chemise ouverte sur son torse tendu, regard perdu dans les grandes baies vitrées de son appartement.Il ne bougeait pas. Ne parlait pas.Il veillait.Le monde s’étendait, froid et indifférent, au-delà du verre.Mais moi, je ne regardais que lui.Son dos large, immobile, tendu comme une ligne prête à rompre.— Tu n’as pas dormi, soufflai-je, m’approchant lentement.Il ne répondit pas tout de suite. Juste un léger mouvement de tête, presque imperceptible.Puis, d’une voix rauque :— Quelqu’un est venu, cette nuit.Mon cœur rata un battement.— Quoi ?Il tourna légèrement la tête, sans vraiment me regarder.— Pas ici. Mais assez près pour que je le sache.Je m’
EmilyIl n’avait pas bougé.Pas même lorsque je m’étais assoupie contre lui, vulnérable, offerte dans cet abandon dont je ne me croyais plus capable.Il m’avait tenue. Juste tenue.Comme si, dans ce silence suspendu, nous avions signé un pacte plus ancien que les mots.Et cela avait suffi à me faire tomber plus profondément que toutes les chutes de ma vie.Quand j’ouvris les yeux, lentement, je crus d’abord que le temps avait cessé de circuler.Le matin n’était pas encore là.Mais la nuit, elle, semblait s’être arrêtée sur nous, figée, compacte, comme si elle refusait de disparaître, jalouse de ce que nous venions de vivre.Je sentis sa présence avant même de croiser son regard.Elle m’enveloppait. Me contenait. Me questionnait.Son regard me trouva instantanément.Il était là. Entier. Entier pour moi.Il ne dormait pas.Évidemment qu’il ne dormait pas.Victorio dormait-il seulement, un jour ? Ou bien était-il condamné à veiller, comme une sentinelle prisonnière de ses propres ténèbre
VictorioJe ne savais pas combien de temps elle était restée là, sur moi.Le temps s’était dilué, étiré, effacé.Et moi, j’avais cessé de lutter.Je n’étais plus le maître, plus le masque, plus l’homme qu’ils craignaient ou désiraient contrôler.J’étais juste un corps, une respiration, un battement.Et elle…Elle était partout.Chaque repli de moi semblait porter son empreinte.Sa peau sur la mienne.Son souffle dans mes poumons.Son regard, comme un tatouage sous mes paupières.J’avais souvent connu le silence.Le vrai.Celui qui vous colle à la gorge, vous enferme dans vos pensées comme un cercueil étanche.Mais celui-ci était différent.Ce silence-là était vivant.Il vibrait à chaque respiration d’Emily, à chaque soupir endormi.Il me racontait une histoire sans mot.Notre histoire.Celle qu’on écrivait là, entre l’ombre et la lumière.Je caressais doucement sa nuque, ses cheveux emmêlés.Elle s’était endormie contre moi, une main posée sur mon torse comme une ancre.Et moi, j’étai