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L’ombre du passé

last update Last Updated: 2025-06-05 18:41:45

Chapitre 2 — L’ombre du passé

Aelis

Je descends de mon appartement sans bruit, le datapad serré contre moi comme une arme. Le couloir est désert, seulement éclairé par des néons vacillants qui clignotent de façon irrégulière, donnant à la scène un aspect saccadé, presque irréel. Chaque pas résonne sur le sol de béton fissuré, un écho court et froid. Personne ne vient, personne ne surveille. La Zone-3 dort à peine, mais elle se méfie, elle sent la menace au détour de chaque ruelle, dans chaque souffle de vent chargé de poussière toxique. Je serre les poings, sentant la tension s’infiltrer jusque dans mes muscles, prêts à bondir. La nuit ici est un pacte fragile, un équilibre précaire où la confiance se paye souvent au prix du sang et de la trahison.

Je sors dans la rue étroite, saturée d’odeurs d’huile brûlée, de ferraille et d’humains en décomposition. Les murs suintent, couverts de tags électroniques qui vibrent faiblement, messages cryptés que seuls les initiés peuvent déchiffrer. Je traverse la zone piétonne désertée, évitant du regard les corps affalés, les ombres rampant sur le bitume, ces âmes mortes avant l’heure, sacrifiées à la survie ou à la lâcheté.

Le vent glacial soulève des bouts de papier déchirés, des débris, et fait frissonner mes vêtements. Je marche d’un pas rapide, vigilant. Chaque bruit, chaque mouvement attire mon attention. Une poubelle qui bascule, un chat errant qui fuit dans l’ombre, une silhouette furtive qui disparaît au coin d’une ruelle. La ville semble vivante, respirant à travers ses cris étouffés et ses soupirs métalliques.

Je sens le poids du passé m’assaillir, un poids sourd, celui des erreurs, des pertes, de cette trahison qui m’a brûlée. La cicatrice est invisible, mais chaque battement de mon cœur en porte la marque. J’ai appris à cacher cette douleur, à la transformer en rage, en détermination. Chaque pas me rapproche d’un monde que je connais trop bien et que je déteste profondément.

Je retrouve Caelum dans l’ombre d’un parking désaffecté, à moitié englouti par la rouille et les détritus. Il me fixe, ses yeux brillent d’une lueur froide, presque mécanique, comme un prédateur numérique qui jauge sa proie. Sa silhouette longiligne se découpe nettement dans la pénombre, le manteau noir qui traîne au sol semble absorber toute lumière, le rendant presque irréel, comme une hallucination.

— T’as vérifié ton équipement ? lance-t-il sans cérémonie, d’une voix rauque et dénuée d’émotion.

— Toujours prête, réponds-je, sans quitter ses yeux.

Il s’approche, sort un second datapad et m’étale une carte mentale, un maillage complexe de lignes rouges qui serpentent dans les quartiers interdits, des zones blindées par des drones et des sentinelles. Chaque point sur la carte est un piège mortel, un endroit où un faux mouvement signifie la fin.

— La cargaison est dans un entrepôt sous haute surveillance, contrôlé par le Syndicat et leurs drones. Tu devras éviter les patrouilles, mais aussi les traîtres. Le moindre faux pas, et tu seras une cible.

Je hoche la tête, déjà en train d’élaborer mentalement mon plan. Les patrouilles, les drones, les taupes. Une toile d’araignée létale dans laquelle il faudra se glisser sans faire de bruit.

— Rien de nouveau, dis-je, la voix basse mais ferme.

Il m’observe, satisfait de mon calme apparent, comme s’il jaugeait le poids de ma détermination.

— Après ça, il faudra trouver des alliés. Des vrais. Pas des parasites qui vendent leur ombre au plus offrant. Des gens prêts à crever avec toi plutôt que de te planter un couteau dans le dos.

Je le fixe, un frisson me parcourt. Ce monde n’a plus de place pour les faiblesses.

— Tu en connais ?

— Quelques-uns. Mais leur loyauté, c’est de l’air. Volatile, fragile, et souvent teintée d’intérêts personnels.

Le silence s’installe un instant, seulement troublé par le bruit lointain d’une sirène, et le vrombissement d’un moteur dans la nuit. La ville respire au rythme des conflits silencieux qui déchirent ses entrailles. Je sens le poids de la mission qui pèse sur mes épaules, plus lourd que n’importe quel équipement. Chaque coin, chaque recoin de cette ville semble murmurer des secrets oubliés, des trahisons anciennes, des alliances brisées. La peur et la colère s’entremêlent dans mes veines, alimentant cette rage sourde. La rage d’une sœur qui refuse d’abandonner.

Je passe une main tremblante sur le pendentif que je porte toujours, cette lune fracturée qui m’attache à elle, à son souvenir. C’est plus qu’un talisman, c’est une promesse.

Les souvenirs me frappent soudain, vifs et douloureux. Cette nuit, il y a un an, quand elle est partie sans un mot, laissant derrière elle un vide que je ne peux combler. Le poids de son absence me brûle la poitrine, mais je dois avancer. Trop de choses sont en jeu. Le passé ne me rattrapera pas, ou peut-être que si, dans ces ruelles, dans ces ombres mouvantes.

Je me rappelle ce qu’elle m’avait dit, juste avant de disparaître : « Ne me cherche pas, Aelis. Ce chemin n’est pas pour toi. » Des mots qui résonnent comme une condamnation. J’ai refusé de les écouter. Ma loyauté, mon amour, ma colère m’ont poussée dans cette spirale infernale.

Je serre les dents, chassant les pensées parasites. La mission est plus grande que moi, plus grande que ma douleur. Je dois frapper le cœur du monstre, ouvrir une brèche dans le système qui nous étouffe tous. Si je faiblis, tout sera perdu.

Je replie la carte mentale, range le datapad, et prends une dernière inspiration. Chaque mission commence par un saut dans l’inconnu. Chaque pas peut être le dernier.

Je ne suis pas juste Aelis. Je suis la tempête qui vient balayer les cendres. Et ce soir, la tempête va rugir.

Le froid s’insinue sous ma peau alors que je m’éloigne du parking, prête à plonger dans l’obscurité. Les néons s’éteignent un à un, comme si la ville elle-même retenait son souffle. Je sais que dans quelques heures, rien ne sera plus pareil. Les cartes seront rebattues, des vies suspendues à un fil.

Et moi, je serai là, au cœur du chaos, pour faire trembler les fondations de cet empire de béton et de mensonges.

Je marche, invisible, vers mon destin.

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