Élodie
L’air est lourd, presque étouffant, tandis que Damien me conduit plus profondément dans l’appartement. Chaque pièce semble plus intime que la précédente, comme si l’espace se resserrait autour de nous, comme si chaque pas que je faisais me rapprochait de quelque chose d’inéluctable. Mais il n’y a plus de place pour la panique. Le doute a laissé place à une sorte de résignation, une acceptation de ce qui se joue ici, entre nous, et je ne sais pas si je dois en avoir peur ou si, au contraire, c’est moi qui en suis devenue l’initiatrice.
Le silence qui nous entoure est si dense qu’il en devient presque oppressant. Je pourrais entendre mon propre souffle, saccadé, incontrôlé, et le frisson qui court sur ma peau chaque fois qu’il se rapproche un peu plus. Mais c’est ce silence, ce vide, qui me déstabilise le plus. Il n’a pas besoin de mots. Aucun geste brutal. Tout est dans cette attente, cette tension qui semble être l’essence même de notre relation naissante.
Damien s’arrête enfin dans une pièce, bien plus petite que les autres, mais d’une simplicité extrême, presque dépouillée. Il y a une chaise au centre, une table basse en bois sombre, et des rideaux épais qui laissent entrer une lumière tamisée. L’espace est presque trop intime, trop personnel. Et pourtant, tout ici semble avoir été préparé pour ce moment précis, comme si tout dans cet endroit existait uniquement pour nous, pour cette rencontre qui, à présent, me semble inévitable.
Je le sens me regarder, scrutant chaque détail de ma réaction. Il sait que je suis perdue dans l’inconnu, que mes pensées sont un maelström de désirs, de peurs, et de contradictions. Il aime ça. Il aime savoir que, même si je résiste encore, je suis déjà engagée dans quelque chose que je ne peux pas contrôler. Et plus j’essaie de lutter, plus je réalise que je ne veux pas vraiment m’en échapper.
Il fait un geste de la main, m’invitant à m’asseoir sur la chaise. Je n’hésite pas, mes jambes tremblantes se déplaçant sans que je ne puisse vraiment m’en empêcher. Il se tient derrière moi, à une distance presque inconfortable, mais je peux sentir sa présence peser sur mes épaules comme un fardeau invisible. Il n’a pas encore parlé, mais je sais qu’il attend quelque chose. Que je fasse le premier mouvement. Ou que je me soumette simplement à l’inévitable.
Je sens le cuir de la chaise sous moi, frais, dur. La position est inconfortable, mais étrangement excitante. Tout dans cette pièce, dans cette situation, est une invitation à la vulnérabilité. La vulnérabilité totale. Damien m’observe sans mot dire, son regard intense et silencieux, mais il ne laisse aucune place à l’ambiguïté. Il veut savoir si je suis prête à céder. À lui.
Je ferme les yeux un instant, respirant profondément, essayant de me calmer. Mais c’est futile. L’air autour de moi est trop chargé d’électricité. J’ai l’impression que chaque fibre de mon corps est tendue, prête à exploser sous l’intensité de ce moment. Je suis en pleine déroute, et je ne sais plus quoi penser.
Puis il se penche légèrement vers moi, sa voix douce mais tranchante : « Je veux que tu comprennes ce que tu ressens, Élodie. Chaque pensée, chaque frisson. Parce que tout ce que tu ressens maintenant, tu l’as voulu. »
Je frissonne à ses mots, mais je n’ose pas répondre. Parce que je sais qu’il a raison. Il sait tout. Il sait ce que je ressens sans que je n’aie à le lui dire. Et plus je cherche à m’échapper de cet enchevêtrement, plus il m’enserre, lentement, presque tendrement. Ses doigts glissent le long de mon bras, effleurent ma peau avec une douceur presque inquiétante. C’est un contraste déstabilisant entre la froideur de ses intentions et la chaleur de son toucher.
Il s’arrête. Il n’a pas encore fait de mouvement brusque, mais je sens le changement dans l’air. C’est comme une promesse qu’il me fait, une promesse que je ne peux pas ignorer. « Tu ne te rendras compte de ce que tu cherches que quand tu l’auras trouvé, » murmure-t-il près de mon oreille. « Mais jusqu’à ce moment-là, tu m’appartiens, Élodie. »
Je serre les poings sur mes genoux, tentant de me raccrocher à la seule chose que je crois encore comprendre : moi-même. Mais mon corps, lui, ne m’obéit plus. Il est déjà sous son contrôle, sous son emprise. Je sens mon cœur s’emballer, une chaleur intense m’envahir à chaque mouvement de Damien. Je veux m’échapper, mais je sais au fond de moi que je n’y parviendrai pas. Et, étrangement, une partie de moi ne veut même pas essayer.
Il s’éloigne un peu, mais le regard qu’il pose sur moi est suffisant pour faire monter l’anxiété, mais aussi un désir insensé. J’ai envie de le supplier, de lui dire d’arrêter, mais je me tais. Je suis incapable de prononcer le moindre mot. Je sais que mes lèvres tremblent, que ma respiration est plus rapide, mais je reste immobile, incapable de me défendre contre la tempête intérieure qui se déchaîne en moi.
Je sens la distance entre nous se resserrer encore une fois, mais cette fois, c’est moi qui bouge. C’est moi qui le cherche du regard. Parce qu’au fond, je sais ce qu’il attend. Il attend que je lui donne une raison de passer à l’étape suivante. Mais la vérité, c’est que je n’ai pas de raison. Je suis déjà prise. Je suis déjà captive de ce que j’ai voulu, de ce qu’il a su créer en moi. Une partie de moi, peut-être la plus sombre, m’appelle à le suivre encore plus loin. Et je le sais. Je le sais bien avant qu’il ne me le dise.
Il se penche une nouvelle fois, sa voix devenue plus grave, presque hypnotique : « C’est toi qui as choisi ce moment, Élodie. Tu l’as voulu. Alors ne t’arrête pas maintenant. Viens. »
Je me lève lentement, mes jambes tremblantes mais résolues. Il ne me touche pas encore, mais il est là, juste devant moi. L’air autour de nous vibre de cette tension insoutenable, cette anticipation cruelle qui me fait l’effet d’une montée inéluctable vers ce que je ne peux plus fuir.
Je fais le dernier pas. Vers lui. Et je sais, au plus profond de moi, que tout ce que j’avais craint auparavant, tout ce que j’avais voulu repousser, n’est plus qu’un lointain souvenir. Parce qu’à cet instant précis, il n’y a plus
de retour. Il n’y a plus que lui.
ÉLODIEIl est tôt , très tôt.Le genre d’heure suspendue entre la nuit et le jour, où même le vent semble hésiter à se lever.La chambre est tiède, paisible.Il y a une lumière laiteuse qui filtre entre les rideaux, douce comme une caresse sur la peau nue.Je suis réveillée, mais je ne bouge pas.Pas encore.Son bras m’enlace.Son torse nu, chaud, contre mon dos.Je sens son souffle sur ma nuque, lent, régulier, profondément ancré dans le sommeil.Et moi, pour la première fois depuis que je suis tombée amoureuse vraiment amoureuse je n’ai pas peur.Je ne me pose pas de questions.Je ne cherche pas à fuir avant qu’il ne se réveille.Je ne me prépare pas à l’effondrement.Je suis là : vivante , calme , entière et aimée .Et ce n’est pas un rêve.Je ferme les yeux, mais pas pour m’endormir.Pour m’imprégner.De la chaleur de son corps.De la sensation d’être là où je devais toujours être.De cette vérité que je n’osais pas imaginer : parfois, l’amour ne détruit pas. Il reconstruit.Je me
ÉLODIELa nuit est tombée sans bruit.Pas comme une fin, mais comme un voile doux qu’on tire sur le monde pour en préserver l’intime.La lumière des bougies résiste, crépite, éclaire nos silences sans les interrompre. Elle danse sur les murs, sur les verres vides, sur sa chemise déboutonnée à peine et sur cette bague à mon doigt, irréelle, trop réelle.Le oui flotte encore entre nous.Il est là, dans chaque souffle, dans chaque battement ralenti.Un mot simple.Mais qui a déplacé des montagnes.Je n’ai plus peur.Plus des silences, plus de ses absences passées, plus de moi-même.Il est là.Il n’a pas bougé.Et c’est cette immobilité-là, cette certitude calme, cette promesse muette, qui me donne le vertige.Je me lève.Lentement.Comme si j’avais peur de briser le moment, comme si chaque mouvement devait être un remerciement.J’enlève mes chaussures.J’ai presque envie de pleurer devant la simplicité de ce geste.Parce qu’il n’y a plus rien à cacher.Ni la fatigue, ni les cicatrices, n
DAMIENJ’ai cuisiné toute la journée.Pas pour impressionner, pas pour montrer quelque chose que je ne suis pas, pas pour camoufler les failles ou occuper mes mains non, pas cette fois.J’ai cuisiné comme on écrit une lettre, comme on sculpte une offrande, comme on tremble à l’idée de se montrer tel qu’on est, sans artifice, sans défense, sans fuite.C’était lent.Concentré.Et silencieux.J’ai sorti les bougies, pas les petites pour les coupures de courant, mais celles qu’on n’ose jamais allumer, celles qui prennent la poussière sur l’étagère parce qu’elles brillent trop pour les soirs ordinaires.J’ai repassé la nappe blanche, celle qui n’a jamais servi, que ma mère m’avait donnée en me disant : « Pour une grande occasion », et que je n’avais jamais crue utile avant aujourd’hui.J’ai essuyé les verres en cristal, un par un, les doigts tremblants, comme si j’avais peur de les briser rien qu’en les touchant.J’ai même mis une chemise.Bleue nuit.Pas parce que je voulais être beau.Pa
ÉLODIEJe me réveille la première.Le jour n’est encore qu’une promesse pâle derrière les rideaux clos.Une lumière hésitante, comme si même lui n’osait pas déranger ce qui repose ici.Je reste immobile, respirant à peine, prisonnière volontaire d’un silence plus vaste que la pièce.Un silence qui ne demande rien, qui n’attend rien sauf peut-être d’être habité.Il est toujours là.Et ce simple fait me bouleverse.Sa main repose sur ma hanche, chaude et lourde, comme une ancre.Son souffle est lent, paisible, contre ma nuque.Et son corps, ce corps que j’ai appris à désirer, à toucher, à comprendre dans ses tensions et ses retraits, est encore contre le mien, mêlé au mien, comme s’il n’avait jamais eu l’intention de partir.Comme si, pour une fois, quelqu’un avait décidé de rester.Je ne bouge pas. Je n’en ressens ni le besoin, ni l’envie.Je me contente d’être là.D’écouter le rythme lent de sa respiration.D’accueillir cette étrange sensation de calme un calme qui ne vient pas de l’o
ÉLODIEIl ne m’a pas demandé si je voulais.Il ne m’a pas ordonné non plus.Il m’a regardée.Et dans ce regard, il n’y avait pas de pardon, pas de promesse.Juste une tension brute, une vérité nue, le genre de silence qui vous traverse jusqu’à l’os.Il était là , nu. Vraiment nu.Pas dans son corps dans sa faille.Dans ce qu’il ne pouvait plus contenir.Dans ce qu’il n’avait jamais donné à personne.Et moi, j’ai tendu la main.Pas pour le consoler.Pas pour le réparer.Pour le réclamer.Pas ce qu’il m’offre.Ce qu’il est.Je soulève la couverture, lentement.J’ouvre un espace. Un souffle.Je ne dis rien.Mais il comprend.Il s’approche.Ses doigts ne tremblent pas.Mais son souffle… si.DAMIENJe la regarde.Allongée dans mes draps. Le regard calme. Le cœur à vif.Et je sais.Je sais que si je fais un pas de plus, il n’y aura plus de retour.Plus de barrières.Plus de boucliers.Juste nous.Nus de tout , bruts , blessés.Alors je m’avance.Je me penche.Et je l’embrasse.Pas doucement
DAMIENElle dort.Enfin.Pas un sommeil léger. Pas un refuge.C’est une chute. Un abandon. Un effondrement complet.Elle s’est laissée tomber sur mon lit comme on se laisse mourir un peu sans bruit, sans protestation.Et moi, je n’ai pas bougé.Je l’ai laissée prendre sa place.Pas dans notre lit. Dans le lieu où elle venait de se briser.Je suis resté là, debout, adossé au mur.À la regarder respirer.À la regarder exister.Comme si je ne savais plus comment faire partie du tableau sans l’abîmer davantage.Parce que ce qu’elle m’a donné ce matin… je ne peux pas l’ignorer.Elle a déposé devant moi une vérité sale, nue, sanglante.Elle a osé dire ce que des années de survie l’avaient obligée à taire.Alors ce soir, je n’ai plus le droit de me taire.Je m’assois.À distance d’abord.Comme si j’avais peur de contaminer le silence avec mes souvenirs.Et je parle.— Je ne t’ai jamais parlé de la première.Ma voix est basse. Brûlée.— Elle s’appelait Clara.Je prononce son nom comme on ouv