เข้าสู่ระบบAnya
Gabriel a insisté pour rester. Il a allumé un feu dans la cheminée de la cuisine, une tentative futile de chasser l'humidité et l'oppression. La lumière des flammes danse sur son visage, si humain, si réel. Il me parle de son dernier concert, de la ville, de tout sauf de ce qui importe. Sa voix est un doux ronronnement qui heurte les murs silencieux du manoir.
Moi, je suis ailleurs. Chaque parcelle de ma peau se souvient. La pression des doigts de brume sur ma main, la brûlure des lèvres sur ma nuque. La musique de Lysander tourne en boucle dans ma tête, une mélodie parasite. Je sens son regard sur moi, pesant, possessif, même ici, avec Gabriel à mes côtés.
— Tu n'écoutes pas, Anya.
La voix de Gabriel me ramène brutalement. Il a posé sa main sur la mienne. Elle est chaude. Trop chaude. Elle me brûle.
— Désolée. Je suis fatiguée.
Son regard se fait insistant, inquiet.
— Cette maison te dévore. Je le vois. Partons. Maintenant. Nous pouvons être à Paris avant minuit.
Paris. La normalité. Les concerts. Une vie. L'idée me semble à la fois séduisante et insupportable. Partir, c'est renoncer à cette sensation nouvelle, terrifiante et enivrante. C'est fermer le livre avant d'en avoir lu la fin.
— Je ne peux pas, je murmure.
— Pourquoi ?
Parce qu'il m'attend. La pensée est claire, folle.
Soudain, une note. Une seule, provenant du piano dans le salon. Un si bémol, tenu, pur, qui traverse les murs comme une lame.
Gabriel se lève d'un bond.
— Il y a quelqu'un.
— Non, c'est... la maison.
— Anya, arrête. Il y a quelqu'un.
Il sort de la cuisine, déterminé. Mon cœur se glace. Je le suis, incapable de l'arrêter.
Le salon est vide. Le couvercle du piano est fermé. Mais l'air vibre encore. Gabriel inspecte la pièce, poussant les tentures, regardant derrière les meubles.
— Personne, il grommelle, perplexe.
C'est alors que je le vois. Sur le pupitre, une partition s'est matérialisée. Une feuille de papier jauni, couverte de notes d'une encre sépia. Une partition qui n'était pas là il y a cinq minutes.
Je m'approche, hypnotisée. C'est la valse. Celle de mes rêves. Celle qu'il m'a fait jouer. En haut de la page, un titre est écrit d'une écriture élégante et désuète : Le Sanglot des Anges Déchus. Et en dessous, une dédicace : Pour mon interprète.
— Qu'est-ce que c'est ? demande Gabriel en se rapprochant.
— Rien. Une vieille partition.
Je veux la prendre, mais sa main se pose dessus avant la mienne.
— C'est de toi ?
— Non.
Il examine la partition, son regard se durcit.
— L'écriture est ancienne. Et cette dédicace... "Mon interprète" ? Anya, de quoi s'agit-il ?
Sa voix est devenue froide, méfiante. La jalousie, cette émotion si humaine, perce enfin.
— Je ne sais pas, je mens, le cœur battant.
Il me regarde, et je vois qu'il ne me croit pas. Il voit la culpabilité, l'excitation que je ne peux plus cacher.
— Il se passe quelque chose avec toi. Depuis que je suis arrivé, tu es... différente. Comme possédée.
Le mot résonne dans le silence. Possédée.
— Arrête, Gabriel. Tu divagues.
— C'est toi qui divagues ! Tu joues du piano avec des fantômes, tu as des partitions qui apparaissent comme par magie, et tu regardes dans le vide comme si...
Sa phrase reste en suspens. Ses yeux s'écarquillent. Il fixe un point derrière moi. Son visage pâlit.
— Mon Dieu...
Je me retourne.
Dans l'embrasure de la porte menant au hall, une forme se densifie. Ce n'est plus une silhouette lointaine dans le jardin. C'est ici, dans la pièce. La brume s'accumule, prenant la forme d'un homme grand, élégant, aux épaules larges. Les traits sont flous, mais je reconnais la posture, l'aura de puissance. Lysander. Il ne se cache plus.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? chuchote Gabriel, horrifié, en reculant d'un pas.
La forme ne répond pas. Elle avance. L'air devient glacial. Je sens son attention se poser sur moi, brûlante, puis se tourner vers Gabriel, chargée d'une haine si ancienne, si absolue qu'elle me coupe le souffle.
— Laisse-la, dit Gabriel, sa voix tremblant malgré son effort pour paraître fort.
Un rire sec, sans joie, résonne dans nos têtes. Ce n'est pas un son, c'est une vibration qui fait grincer les poutres.
— Elle est à moi. Elle m'a appelé.
La voix de Lysander est un grondement bas, un froissement de soie et de cendres. Elle est à l'intérieur de moi, comme dans mon rêve.
— Elle ne t'appartient pas, rétorque Gabriel, se plaçant devant moi dans un geste protecteur qui semble dérisoire.
La forme avance encore. Le froid intense. La pression dans la pièce devient presque douloureuse.
— Tu es de la chair. Mortelle. Tu parles d'amour, mais tu ne connais que l'écho de ce que je peux lui offrir. L'éternité. Une symphonie dont chaque note sera son plaisir.
Les mots de Lysander sont un poison doux, une promesse obscène qui fait frémir une partie de moi que je ne connaissais pas.
— Ne l'écoute pas, Anya ! crie Gabriel.
Mais je l'écoute. Chaque mot s'enfonce en moi comme un crochet.
La forme lève une main de brume. Le piano, derrière nous, s'ouvre avec un claquement sec. Le couvercle se rabat violemment. Gabriel sursaute.
— Pars, mortel. Tu n'as pas ta place dans notre composition.
Soudain, la partition sur le pupitre se met à jouer toute seule. Les touches du piano s'enfoncent, actionnées par des doigts invisibles. La valse, Le Sanglot des Anges Déchus, emplit la pièce, sauvage, passionnée, terrifiante. C'est la même musique, mais déformée, devenue une marche menaçante.
Gabriel, blanc comme un linge, me saisit le bras.
— On part. Tout de suite.
Son contact est une brûlure. Une chaîne. Je le regarde, puis je regarde la forme de Lysander. L'ombre me tend une main de brume. Une invitation.
La musique m'enveloppe, elle est en moi, elle est moi. Elle me parle de passions interdites, de nuits sans fin, d'un pouvoir qui défie la mort.
— Anya ! hurle Gabriel par-dessus la cacophonie.
Je dégage mon bras de son étreinte.
— Non.
Le mot est un souffle, mais il porte la force de la tempête.
Gabriel me dévisage, incrédule, horrifié. Il voit mon choix dans mes yeux. Il voit que je suis déjà perdue.
— Tu es folle, murmure-t-il, reculant.
La forme de Lysander émet un son qui pourrait être une satisfaction triomphale. La musique atteint son paroxysme, un crescendo assourdissant de notes et d'émotions pures.
Gabriel tourne les talons et s'enfuit. J'entends la porte d'entrée claquer.
Le silence retombe aussitôt.
Je suis seule. Tremblante. Vaincue. Victorieuse.
La forme de Lysander se dissout, mais sa présence m'enveloppe, plus forte que jamais. C'est un froid qui brûle, une caresse qui déchire.
Je m'approche du piano. La partition est là. Pour mon interprète.
Je l'ai été. Maintenant, je suis bien plus.
Je suis l'instrument. Et bientôt, je serai la musique elle-même.
AnyaLe premier son est un gémissement. Le mien. Il déchire le silence de plomb, si faible, si humain après la symphonie démoniaque. Chaque muscle crie, chaque nerf est une corde trop tendue qui vibre encore de l'horreur. Le froid du parquet mord ma peau nue, constellée de marbrures bleutées qui ne sont pas tout à fait des ecchymoses, mais l'empreinte de doigts spectrals.Je me redresse, le corps lourd, étranger. Le vide en moi est une chambre d'écho glaciale. Lysander n'est plus ce murmure constant, cette présence enveloppante. Il s'est retiré dans les profondeurs du manoir, blessé, furieux. Je le sens, comme on sent une tempête se préparer au loin. Sa colère est un frisson dans la pierre, un goût de cendre et de métal sur ma langue.Mes yeux se posent sur Gabriel.Il gît près du mur, inconscient, une fine traînée de sang coulant de sa tempe sur le bois ciré. Le livre d'exorcisme est ouvert à côté de lui, ses pages semblent brûlées sur les bords. La vue de son sang, si rouge, si viva
AnyaLa musique est devenue ma respiration. Elle coule de mes doigts sans effort, un poison doux qui nourrit la présence en moi et autour de moi. Lysander est un murmure constant dans mon esprit, une basse profonde qui accompagne chaque pensée. Je ne sais plus où je finis, où il commence. Le manoir est notre corps à tous les deux, ses murs notre peau, ses ombres notre sang.C'est lui qui perçoit le premier la perturbation. Une vibration dans le silence, un grésillement dans la parfaite harmonie de notre isolement. Un moteur de voiture. Il se fige, et je me fige avec lui. Sa colère est un éclair froid dans mes veines.— Il revient.Le nom de Gabriel est comme une souillure dans notre espace partagé. Je ressens un écho lointain, un pâle reflet de ce qui fut autrefois de l'amour. Maintenant, ce n'est qu'une irritation. Une note discordante.— Laisse-moi faire, je murmure, mes doigts effleurant les touches du piano dans un glissando menaçant.La porte d'entrée s'ouvre. Il n'a même pas pri
AnyaLes jours qui suivent sont un brouillard. Je ne vis plus que la nuit, aux heures où sa présence devient plus tangible, plus exigeante. Le manoir n'est plus une maison, c'est une scène. Et je suis à la fois le public captif et l'artiste forcée.Je me tiens devant le piano, mais je ne joue pas. Je suis jouée.Ce soir, c'est différent. L'air est chargé d'une tension nouvelle, électrique, presque violente. La présence de Lysander n'est plus une caresse insistante, c'est un étau. Il est là, derrière moi, et je peux presque distinguer les détails de son visage – l'arête orgueilleuse du nez, la courbe cruelle de la bouche. Il se matérialise, et chaque parcelle de mon être crie à la fois en avertissement et en invitation.— Tu as fui le monde des mortels. Maintenant, plonge dans le mien.Sa voix n'est plus un écho. C'est une vibration physique dans l'air, qui fait frissonner la coupe de vin posée sur le piano, vide depuis des jours.— Je… je ne sais pas comment.Un rire bas, sans joie.—
AnyaLe claquement de la porte résonne encore dans la maison. Le silence qui suit est pire que tout. C'est un silence complice, chargé du triomphe glacial de Lysander. Je reste immobile au milieu du salon, tremblante, le corps encore vibrant du choix que je viens de faire. J'ai choisi l'ombre contre la lumière. La partition contre la vie.La présence se densifie à nouveau derrière moi. Ce n'est plus une forme de brume, mais une impression de solidité, de froideur vivante. Je sens une main, plus réelle que jamais, se poser sur mon épaule. Les doigts sont longs, froids, et leur contact me transperce comme une aiguille de glace et de feu.— Tu as choisi la musique, Anya. Tu as choisi l'éternité.Sa voix n'est plus un simple murmure dans ma tête. Elle résonne dans la pièce, un baryton velouté qui caresse l'air et fouille mon âme. Elle est d'une beauté à vous glacer le sang.Je me retourne. Il n'est plus tout à fait une ombre. Je distingue la coupe altière d'un visage, des yeux d'un gris d
AnyaGabriel a insisté pour rester. Il a allumé un feu dans la cheminée de la cuisine, une tentative futile de chasser l'humidité et l'oppression. La lumière des flammes danse sur son visage, si humain, si réel. Il me parle de son dernier concert, de la ville, de tout sauf de ce qui importe. Sa voix est un doux ronronnement qui heurte les murs silencieux du manoir.Moi, je suis ailleurs. Chaque parcelle de ma peau se souvient. La pression des doigts de brume sur ma main, la brûlure des lèvres sur ma nuque. La musique de Lysander tourne en boucle dans ma tête, une mélodie parasite. Je sens son regard sur moi, pesant, possessif, même ici, avec Gabriel à mes côtés.— Tu n'écoutes pas, Anya.La voix de Gabriel me ramène brutalement. Il a posé sa main sur la mienne. Elle est chaude. Trop chaude. Elle me brûle.— Désolée. Je suis fatiguée.Son regard se fait insistant, inquiet.— Cette maison te dévore. Je le vois. Partons. Maintenant. Nous pouvons être à Paris avant minuit.Paris. La norma
AnyaLe jour se lève, gris et froid. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. La sensation de cette bouche sur ma peau est un tatouage brûlant. Je descends, poussée par une force que je ne comprends pas. Mes pas me ramènent au piano. La pièce est baignée d’une lumière pâle.Je m’assois. Le bois est froid sous mes doigts. Je ferme les yeux, cherchant la mélodie du rêve, cette valse obsédante. Mes doigts effleurent les touches, hésitants. Une note. Puis une autre. Ce n’est pas ça.Soudain, une main se pose sur la mienne.Une main réelle. Froide comme le marbre, mais solide.Je retiens un cri, les yeux s’écarquillant. Personne. Mais je la sens. La pression est ferme, précise. Elle guide mes doigts, les pose sur des touches que je n’avais pas choisies.Une mélodie naît. Lente, sensuelle, profondément mineure. Celle de mon rêve.— Lysander… je souffle, le nom m’échappant comme une évidence.La pression sur ma main se fait plus forte. Un acquiescement. Un frisson de terreur et d’excitation me pa

![La Cure [Livre 2 L'Tugurlan Chronicles]](https://acfs1.goodnovel.com/dist/src/assets/images/book/43949cad-default_cover.png)





