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Chapitre 4 : La Chair et la Note

Penulis: Eternel
last update Terakhir Diperbarui: 2025-11-03 21:36:14

Anya

Le claquement de la porte résonne encore dans la maison. Le silence qui suit est pire que tout. C'est un silence complice, chargé du triomphe glacial de Lysander. Je reste immobile au milieu du salon, tremblante, le corps encore vibrant du choix que je viens de faire. J'ai choisi l'ombre contre la lumière. La partition contre la vie.

La présence se densifie à nouveau derrière moi. Ce n'est plus une forme de brume, mais une impression de solidité, de froideur vivante. Je sens une main, plus réelle que jamais, se poser sur mon épaule. Les doigts sont longs, froids, et leur contact me transperce comme une aiguille de glace et de feu.

— Tu as choisi la musique, Anya. Tu as choisi l'éternité.

Sa voix n'est plus un simple murmure dans ma tête. Elle résonne dans la pièce, un baryton velouté qui caresse l'air et fouille mon âme. Elle est d'une beauté à vous glacer le sang.

Je me retourne. Il n'est plus tout à fait une ombre. Je distingue la coupe altière d'un visage, des yeux d'un gris d'orage qui brillent d'une lumière intérieure, des lèvres fines et dédaigneuses. C'est une esquisse, un souvenir d'homme, bien plus terrifiant et séduisant que tout ce que j'aurais pu imaginer.

— Qu'est-ce que tu veux ? Ma voix est un filet rauque.

Un sourire flotte sur ses lèvres spectrales.

— Toi. Toute entière. Pas seulement tes doigts sur le clavier. Ta peur. Ton désir. Ton âme. Chaque frisson est une note de plus dans notre symphonie.

Sa main quitte mon épaule et effleure ma joue. Un choc. Une décharge. Je ferme les yeux, un gémissement m'échappant. C'est comme être touchée par la foudre et le givre. La sensation est atroce et délicieuse. Addictive.

— Gabriel... je souffle, un dernier sursaut de culpabilité.

Le nom est à peine prononcé que la température chute brutalement. La colère de Lysander est un vent arctique qui fait trembler les vitres.

— Ne prononce plus son nom ! Il n'est rien. Poussière. Son amour est un bégaiement comparé au silence qu'il a laissé en toi et que je suis venu remplir.

Sa main se referme sur mon bras. La pression est forte, presque douloureuse. Il m'entraîne non pas vers le piano, mais vers l'escalier.

— Tu as choisi. Maintenant, vois. Ressens.

Je ne résiste pas. Je ne peux pas. Je suis vidée de toute volonté, remplie seulement de lui, de cette curiosité malsaine qui me pousse vers l'abîme. Nous montons. Mes pas sont lourds, les siens sont silencieux. Il me guide jusqu'à ma chambre.

La lune jette un rectangle de lumière blafarde sur le lit en désordre. Le lit de mon rêve.

Il me fait face. Ses yeux pâles brillent dans la pénombre.

— La musique n'est qu'un langage. Le corps en est un autre, plus ancien, plus vrai.

Il lève la main. Mon chemisier. Les boutons se défont seuls, un à un, sans qu'aucun doigt ne les touche. Un frisson d'horreur et d'attente me parcourt. La soie glisse de mes épaules, tombe à mes pieds. Le froid de la nuit mord ma peau nue.

— Arrête, je murmure, mais c'est une prière sans conviction.

— Mentense. Tu ne veux pas que j'arrête. Tu veux savoir jusqu'où va la partition.

Sa main spectrale se pose sur mon sternum, entre mes seins. Le contact est intolérable. Une glace qui brûle, une brûlure qui glace. Je crispe les doigts sur les draps du lit, les jointures blanches. Je sens son autre main sur ma nuque, m'inclinant en arrière, m'offrant à la lune et à sa soif.

— Je vais t'apprendre une musique qui n'a pas de nom. Une mélodie qui se joue sur la corde tendue des nerfs, dans la chambre sourde du désir.

Des lèvres. Je les sens. Sur mon épaule. Froides comme le marbre d'une tombe. Puis, incroyablement, elles se réchauffent. Comme si ma propre chaleur vitale, mon âme, les animait. Elles tracent un chemin lent, tortueux, le long de ma clavicule. Chaque baiser est une note grave, pleine, qui résonne dans le creux de mon ventre. Ce n'est plus un rêve. C'est plus réel que tout ce que j'ai jamais connu.

— Lysander... je sanglote, perdue entre l'effroi et l'extase.

— Dis mon nom encore. Qu'il soit la seule prière sur tes lèvres.

Sa bouche trouve la courbe de mon sein. Je crie, un son étouffé, ma tête rejetée en arrière. Le monde se réduit à cette sensation : un froid qui consume, un vide qui comble. Je sens le poids de son corps contre le mien, une pression solide, inexistante et pourtant écrasante. Les draps sont froids sous mon dos. La lune est un œil indifférent.

Il n'y a plus de Gabriel. Plus de monde extérieur. Plus d'Anya, la pianiste. Il n'y a que cette sensation, cette musique démoniaque qu'il compose sur mon corps, note par note, frisson par frisson.

Je me cambre, les doigts agrippés à quelque chose qui n'existe pas, un gémissement continu s'échappant de ma gorge. C'est une violation. Une consécration. Je me noie dans un océan de ténèbres sensuelles, et je ne veux pas être sauvée.

Quand l'apogée vient, c'est un silence. Un silence si total, si absolu qu'il en est assourdissant. Un vide blanc et froid qui m'aspire tout entière.

Je rouvre les yeux, je ne sais combien de temps plus tard. Je suis seule dans le lit, tremblante de froid et de sueur. La chambre est vide.

Mais sur ma peau, partout, des marques pâles, comme des traces de doigts gelés, lentement en train de disparaître. Et dans ma tête, la valse. Le Sanglot des Anges Déchus. Elle est différente, maintenant. Plus riche, plus complexe, plus personnelle.

Elle est à moi. Elle est moi.

Je me lève, chancelante, et vais à la fenêtre. Le jardin est désert. Aucune trace de Gabriel. Aucune trace de personne.

Je porte mes doigts à mes lèvres. Ils sentent le vieil ivoire et la cendre.

Je suis devenue l'interprète. Et l'instrument.

Et la nuit n'est pas finie.

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