Home / Paranormal / L'écho des âmes / Chapitre 8 : Le Serpent et les Lys

Share

Chapitre 8 : Le Serpent et les Lys

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-11-12 18:49:44

Le silence qui suit les mots d’Eira est plus bruyant qu’un coup de feu. Il gronde, chargé de l’indicible, de l’impossible devenu tangible. L’air est froid, bien trop froid pour la saison. La mélodie fantôme s’est éteinte, laissant une vacuité sonore qui oppresse les tympans.

Bastian n’est plus l’homme en colère qui faisait irruption ici quelques minutes plus tôt. Il est un flic en état de choc, un rationaliste face à l’abîme. Je le vois lutter, ses pensées presque visibles, se heurtant au mur de sa propre réalité qui se fissure.

— Une bague. Un serpent, répète-t-il d’une voix rauque, méconnaissable.

Ce n’est plus une question. C’est une confirmation. Un détail que seul le tueur, ou sa victime, pouvait connaître. Les lys, la terre fraîche… Autant d’éléments qui n’ont jamais été divulgués.

Il ne me regarde plus avec méfiance, mais avec une sorte de terreur respectueuse. Comme on regarde un animal sauvage et imprévisible, capable à la fois d’une beauté à couper le souffle et d’une dangerosité mortelle.

— Elle… Elle est toujours là ? demande-t-il enfin, les yeux scrutant les coins de la pièce comme s’il s’attendait à voir une forme se matérialiser.

La compassion submerge ma propre peur. Il est perdu. Plus perdu que moi.

—Non. Enfin, pas comme vous l’imaginez. C’est… une empreinte. Un écho de sa peur. Elle est partie, mais sa terreur, elle, est restée collée à moi. Comme une tache.

Je porte une main à mon front, soudain épuisée. Les visions, les émotions des défunts, ça use. Ça vide. Et avoir Bastian en face, avec son incrédulité transformée en un choc brutal, c’est un poids supplémentaire.

— Il vous regarde, Bastian, je répète, plus doucement. Elle insiste là-dessus. Il se sent traqué. Et un animal traqué devient imprévisible.

Son regard se durcit. L’instinct de chasseur reprend le dessus sur la stupéfaction.

—Une bague avec un serpent. C’est tout ce que vous avez ?

Il redevient flic. C’est son ancre. La seule qui lui reste.

—Pour l’instant. Les impressions… ce n’est pas un film. C’est flou, émotionnel. La bague était très importante pour elle. Elle la voyait briller quand il lui tenait la main. Elle détestait ça. Elle trouvait ça froid. Comme l’animal qu’il représente.

Bastian sort son téléphone, ses doigts tapant rapidement sur l’écran.

—Moreau. Nouvelle piste. Concentre-toi sur les proches, les connaissances, qui pourraient porter une bague avec un motif de serpent. Oui, un serpent. Et vérifie si quelqu’un a acheté des lys récemment. Fais-le maintenant.

Il raccroche et lève les yeux vers moi. Le silence retombe, mais différent. La tension a changé de nature. Il n’y a plus d’accusation, mais une alliance forcée, inconfortable, née dans le creuset de l’horreur.

— Vous devez venir avec moi, dit-il soudain.

Mon cœur se serre.

—Au commissariat ? Non, je…

— Pas au commissariat. Chez elle. Chez Élodie.

Le sol se dérobe à nouveau.

—Non. Bastian, vous ne comprenez pas… Les lieux comme ça, après une mort violente… C’est pire qu’un cimetière. C’est une chambre d’échos saturée. Je… je ne pourrai pas le supporter.

Il s’approche, et pour la première fois, son geste n’est pas dicté par la colère ou la suspicion. Il pose une main sur mon bras. Sa paume est chaude, callleuse. Un contact d’une solidité désarmante.

— Eira. J’ai besoin de vous. Pas de vos visions. De vous. De ce que vous pouvez percevoir. C’est peut-être la seule façon de le trouver avant qu’il ne frappe à nouveau.

Ses yeux bleus, si froids au début, sont maintenant d’une intensité brûlante. Il ne supplie pas. Il constate un fait. Il a besoin de moi. Moi, l’anormale, la recluses, la sorcière des temps modernes.

Et je réalise, avec une terreur bien plus grande que celle inspirée par les esprits, que je ne peux pas lui refuser ça.

---

L’appartement d’Élodie Marchand sent le renfermé et le désinfectant. La police est passée, a relevé les indices, a emporté les preuves. Mais ils n’ont pas emporté l’âme des lieux.

Dès le seuil franchi, une vague de nausée me submerge. Ce n’est pas une odeur, c’est une sensation. Une épaisse couche de peur, de surprise, et d’un chagrin profond. La tristesse que j’avais perçue chez elle est ici, multipliée par cent, figée à jamais dans la moquette et le papier peint.

— Ça va ? demande Bastian à voix basse, derrière moi.

Je secoue la tête, incapable de parler. Je ferme les yeux, m’efforçant de respirer calmement, de ne pas me laisser submerger. Je ne suis pas ici pour ressentir. Je suis ici pour écouter.

« Du piano… » Le murmure est faible, comme une fréquence radio brouillée. « Il aimait m’écouter jouer. Au début. »

Je m’avance lentement dans le couloir, suivant la traction douloureuse qui me guide vers le salon. Bastian me suit, silencieux, observant mes moindres réactions.

Le salon est sombre, les volets à demi clos. Un piano à queue domine la pièce, imposant et silencieux. C’est de là que tout émane.

— Elle est près du piano, je chuchote. Elle… elle ne comprend pas. Elle pensait qu’il l’aimait.

Je pose mes doigts sur le couvercle fermé du piano. Un flash. Un rire. Des doigts agiles qui courent sur les touches. Puis une ombre qui se profile derrière elle. Une main qui se pose sur son épaule. Une bague. Argent. Un serpent qui se mord la queue.

Je retire ma main comme si elle avait brûlé.

—La bague. Elle est en argent. Le serpent est circulaire, il se mord la queue. Un Ouroboros.

Bastian note mentalement. Je sens son esprit travailler à toute allure, croisant les informations.

Je me tourne, les yeux fermés, laissant les impressions me traverser. Des images, des sensations. Un parfum. Pas celui d’Élodie.

— Il sentait le savon. Un savon bon marché. Et… autre chose. Une odeur de cuir. De cuir neuf.

J’ouvre les yeux, le cœur battant la chamade. La pièce tourne légèrement.

—Il n’était pas riche. Ou il faisait attention à son argent. Le contraste… la bague, élégante, et le reste, très simple. Il jouait un rôle.

Bastian hoche la tête, son regard perçant.

—Elle disait avoir rencontré quelqu’un. Elle rayonnait. Il l’a séduite.

Soudain, une autre image me frappe, violente, douloureuse. Des fleurs. Des lys blancs, éclatants. Mais leur parfum, entêtant, se mêle à une autre odeur. Piquante. Métallique.

— Les lys… il les a apportés ce soir-là. Mais… il y avait autre chose sur lui. Une odeur de javel. Forte. Comme s’il venait de nettoyer quelque chose.

Je vois le visage de Bastian se décomposer. Ses yeux s’écarquillent, non pas de peur, mais de la révélation qui s’impose à lui.

— La javel, murmure-t-il. L’appartement avait été nettoyé. Méticuleusement. On a retrouvé des traces de produits nettoyants, mais on a mis ça sur le compte de la maniaquerie de la victime. Mais si lui…

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • L'écho des âmes    Chapitre 10 : Le Poids des Ombres

    BastianMa balle s'encastre dans le chambranle là où sa tête se trouvait une fraction de seconde plus tôt. Il a disparu dans la chambre.Eira trébuche et tombe contre moi. Je l'agrippe, la poussant derrière moi, la plaquant contre le mur pour la protéger.— Vous êtes blessée ?— Non, non... je... sanglote-t-elle.Son corps tremble contre le mien. Un mélange de rage et de soulagement m'envahit. Elle est vivante.Un bruit de fenêtre qu'on force résonne depuis la chambre. Merde. Il va s'échapper.— Restez ici ! Ne bougez pas !Je fonce dans la chambre. La fenêtre est grande ouverte, les rideaux flottant au vent de la nuit. L'homme a disparu.Je m'approche, risquant un coup d'œil. La cour de l'immeuble, deux étages plus bas. Vide. Il a sauté, ou il a un complice en bas.Je frappe le mur du poing, la frustration et la colère m'étouffant.Je reviens vers le couloir. Eira n'a pas bougé. Elle est toujours adossée au mur, les bras serrés autour d'elle, les yeux fermés. Des larmes silencieuses

  • L'écho des âmes    Chapitre 9 : La Proie et l'Ombre

    EiraIl ne finit pas sa phrase. Il n’en a pas besoin. L’homme aux lys n’était pas un amant romantique. C’était un prédateur qui était venu préparer le terrain. Ou effacer ses traces.— Il savait, Bastian, je souffle, une main sur la poitrine pour comprimer la douleur. Il savait qu’il allait la tuer quand il a apporté ces fleurs. C’était… un élément du rituel.La brutalité de cette pensée me fait vaciller. Bastian est à mes côtés en un instant, sa main se refermant fermement sur mon coude pour me stabiliser.— Assez, dit-il, sa voix étranglée. Vous en avez assez fait.Son contact est une ancre dans le chaos sensoriel qui m’assaille. C’est réel. C’est solide. C’est vivant. Je me tourne vers lui, et dans la pénombre du salon hanté, nos regards se croisent.La peur est toujours là. La sienne, la mienne. Mais autre chose, aussi. Une compréhension mutuelle née dans les décombres de nos certitudes. Il voit ma vulnérabilité, l’effort surhumain que cela me coûte. Et je vois son combat intérieu

  • L'écho des âmes    Chapitre 8 : Le Serpent et les Lys

    Le silence qui suit les mots d’Eira est plus bruyant qu’un coup de feu. Il gronde, chargé de l’indicible, de l’impossible devenu tangible. L’air est froid, bien trop froid pour la saison. La mélodie fantôme s’est éteinte, laissant une vacuité sonore qui oppresse les tympans.Bastian n’est plus l’homme en colère qui faisait irruption ici quelques minutes plus tôt. Il est un flic en état de choc, un rationaliste face à l’abîme. Je le vois lutter, ses pensées presque visibles, se heurtant au mur de sa propre réalité qui se fissure.— Une bague. Un serpent, répète-t-il d’une voix rauque, méconnaissable.Ce n’est plus une question. C’est une confirmation. Un détail que seul le tueur, ou sa victime, pouvait connaître. Les lys, la terre fraîche… Autant d’éléments qui n’ont jamais été divulgués.Il ne me regarde plus avec méfiance, mais avec une sorte de terreur respectueuse. Comme on regarde un animal sauvage et imprévisible, capable à la fois d’une beauté à couper le souffle et d’une danger

  • L'écho des âmes    Chapitre 7 : L'Ombre du Passé 

    EiraUn frisson glacé me parcourt l'échine, sans raison apparente. Ce n'est pas un esprit. C'est plus viscéral, plus immédiat. C'est la prémonition d'une tempête qui approche.Je replace le cadre de ma mère dans sa cachette, refermant le tiroir sur un siècle de douleur. L'air de l'appartement, si familier, semble soudain chargé d'électricité. Les ombres dansent différemment, se tordant en des formes suggestives qui chuchotent des avertissements que je ne peux saisir.Il sait.La pensée frappe avec la force d'un marteau. Je ne sais pas comment, ni pourquoi, mais la certitude m'envahit. Bastian a découvert le lien. Le lien que j'avais espéré, un instant naïf, pouvoir garder pour moi.Élodie Marchand. Son sourire timide dans la pénombre de mon salon, une semaine plus tôt. Elle était venue par curiosité, comme tant d'autres. Mais la tristesse qui la suivait n'était pas banale. Une ombre froide et ancienne, collée à son aura comme du goudron. Je l'avais sentie, cette ombre. Je lui avais di

  • L'écho des âmes    Chapitre 6 : L'Ombre du Passé

    BastianLe moteur de la voiture tourne au ralenti, un ronronnement mécanique qui ne parvient pas à couvrir le bourdonnement dans ma tête. Mes doigts tambourinent sur le volant. Je devrais être au commissariat. Éplucher les relevés téléphoniques d'Élodie Marchand, interroger ses collègues, faire mon travail de flic.Au lieu de ça, je suis garé deux rues plus loin, en train de fixer le vide, l'image d'Eira incrustée derrière mes paupières.Un air de piano. Du vernis à ongles.Comment ? Putain, COMMENT ?Toutes les explications rationnelles s'effritent l'une après l'autre comme du plâtre pourri. Elle n'était pas sur les lieux. Elle n'a pas parlé aux voisins. Les infos sur le vernis à ongles n'ont pas fuité. C'était impossible.Sauf si...Je serre le volant si fort que le cuir grince. Non. Je refuse. Je refuse de traverser ce miroir. C'est un territoire glissant, un marécage de superstitions et de charlatanismes où j'ai vu trop de familles se perdre, trop de vies gâchées en quête de répon

  • L'écho des âmes    Chapitre 5 : La Fissure

    EiraLe jour se lève, gris et las, derrière les vitres sales de ma fenêtre. Je n'ai pas dormi. Chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais le visage dur de l'inspecteur Bastian, son mépris, ses mots cinglants qui résonnaient encore dans le silence de mon appartement.Divagations.Le mot me brûle. C'est ce qu'ils ont toujours dit. Ma famille, les médecins, les rares amis que j'ai perdus. Divagations. Comme si je n'étais qu'un esprit dérangé, incapable de distinguer le réel de l'imaginaire.Mais je sais. Mon dieu, que je sais.La douleur d'Élodie est toujours là, une blessure ouverte dans le tissu de l'air. Une présence fantomatique qui attend que justice soit rendue. Et moi, je suis assise là, impuissante, rejetée par celui qui détient le pouvoir d'agir.Un coup frappé à la porte me fait sursauter si violemment que je renverse ma tasse de thé froid. Le liquide brun se répand sur le sol comme un mauvais présage.Qui ? Personne ne vient me voir. Personne.Le coup frappé again, plus

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status