Les rires cristallins s'élèvent comme des bulles de champagne dans la grande salle illuminée du domaine Rodríguez. C'est un gala (une soirée mondaine luxueuse organisée pour des invités prestigieux) en l'honneur d'un partenariat d'envergure avec une maison de joaillerie italienne. Belvida est là, vêtue d'une robe ivoire qui glisse sur sa peau comme un murmure de soie. Le maquillage est impeccable. Le port, royal. Mais dans ses yeux, ce soir, un orage.
Elle était restée un long moment, plus tôt, collée à la vitre de sa chambre, observant l'obscurité. Depuis la veille, quelque chose avait changé. Une étincelle, un trouble. Cette conversation volée avec Stéphane, dans l'ombre des couloirs, l'avait ébranlée plus que de raison. Ce n'était pas seulement son regard, ou sa voix grave et calme - c'était ce qu'il lui avait dit. Des mots simples. Vrais. Comme un miroir qu'on lui avait tendu. « Pourquoi vous cachez-vous toujours derrière ce rôle ? » Et elle n'avait pas su quoi répondre. Le gala battait son plein. Les hommes riaient fort. Les femmes posaient leurs sourires comme des diamants sur les conversations. Belvida suivait son père, saluait les investisseurs, les ambassadeurs, les créateurs de mode. Elle souriait. Mais son cœur, lui, battait pour autre chose. Elle glissa discrètement vers les jardins. Loin des projecteurs, des mondanités. Elle n'en pouvait plus. Ses pieds lui faisaient mal, et ce n'était pas qu'à cause des escarpins. Alors, sans prévenir, elle les ôta. Marcha pieds nus sur l'herbe fraîchement coupée. Et respira. C'est là qu'elle le vit. Stéphane. Accoudé à un muret, dans l'ombre. Il ne portait pas son uniforme ce soir. Juste une chemise blanche et un jean sombre. Mais c'était son regard, encore, qui la captura. Il s'avança, lentement. Et elle ne bougea pas. - Vous êtes sortie du bal ? demanda-t-il doucement. - Du gala, corrigea-t-elle avec un sourire en coin. - Vous n'aimez pas jouer le rôle de la princesse ce soir ? - J'ai juste... besoin d'être moi. Un silence. Dense. Chargé. - Et vous savez qui vous êtes ? souffla-t-il. Elle le fixa. Un frisson lui remonta l'échine. - Je commence à le découvrir. Il baissa les yeux vers ses pieds nus. - Vous avez osé. C'est un début. Elle se mit à rire, doucement. Puis, soudainement sérieuse : - Stéphane... Vous me faites peur. Parce qu'avec vous, j'ai envie de tout casser. - C'est peut-être ça... être libre. Leur proximité devenait brûlante. Elle se rapprocha délicatement de lui. Elle sentait sa présence comme une onde contre sa peau. Elle le serra dans ses bras et lui déposa un baisé sur sa joue gauche. Une voix lointaine appela son prénom. Son père, sûrement. Le gala l'attendait. Le monde doré. Le rôle à reprendre. Mais elle resta là, encore quelques secondes. Pieds nus, cœur nu, entre deux mondes. Belvida sentit le souffle du vent effleurer ses épaules. Elle aurait voulu que le temps s'arrête. Que ce moment suspendu entre eux devienne éternité. Mais des pas résonnèrent sur les dalles du jardin. Précis. Furieux. Rodrigo Rodríguez surgit de l'obscurité, son regard brûlant d'une colère froide. Il s'arrêta net en voyant sa fille, pieds nus, à quelques centimètres d'un homme qu'il reconnaissait à peine sans son uniforme. - Belvida ?! tonna-t-il. Elle sursauta. Stéphane se redressa, se raidit. Mais il ne recula pas. - Papa... ce n'est pas ce que tu crois. - Ah non ? rugit-il. Tu es pieds nus, au milieu d'un gala (soirée luxueuse et officielle), en train de... de te compromettre avec un employé ?! Belvida, le cœur tambourinant, s'interposa entre son père et Stéphane. - Il ne s'est rien passé. C'est moi qui suis venue ici. J'avais besoin de respirer. Et Stéphane... il ne faisait que discuter avec moi. - Discuter ? En pleine nuit ? Pendant que nos invités posent des millions sur la table ? Tu crois que je construis cet empire pour quoi ? Pour que ma fille flirte dans l'ombre avec un gardien ?! Le mot claqua comme une gifle. Stéphane ne broncha pas, mais son regard s'assombrit. - Monsieur, dit-il calmement, je n'ai aucunement manqué de respect à votre fille. - Silence ! Je ne t'ai pas demandé ton avis ! cracha Rodrigo. Tu es ici pour travailler, pas pour charmer ma fille avec tes airs de philosophe en baskets. Belvida sentit sa colère monter. - Assez ! hurla-t-elle. Son cri résonna dans le jardin, brisa le silence. Même les étoiles semblèrent tressaillir. - Tu n'as pas le droit de parler à Stéphane comme ça. Il n'a rien fait de mal. Et moi... je ne suis pas une marchandise. Tu ne peux pas toujours contrôler tout ce que je fais, tout ce que je ressens ! Rodrigo la fixa, déstabilisé. Un instant, son masque de père tout-puissant vacilla. - Rentre immédiatement, ordonna-t-il d'une voix plus dure encore. Tu n'as rien à faire ici. Il tourna les talons. Belvida hésita une seconde, planta son regard dans celui de Stéphane, à la fois désolée et fière. Puis elle suivit son père à contrecœur, laissant derrière elle l'odeur de l'herbe mouillée, et cet homme qui, sans un mot, venait de bousculer tout son monde. Mais au fond d'elle, une chose était sûre. Ce n'était pas la fin. C'était le début. La porte claqua derrière elle. Belvida resta un moment immobile, le dos appuyé contre le bois massif. Sa respiration était rapide, saccadée, comme si elle venait de courir un marathon invisible. L'éclat du gala bourdonnait encore à ses oreilles, mêlé aux échos de la voix de son père, si dure, si tranchante. Elle avança lentement vers le miroir de sa coiffeuse. Son reflet la regardait, maquillée, parfaitement peignée, couverte de bijoux... mais elle ne se reconnaissait pas. C'était comme si une autre occupait sa place. Belvida arracha d'un geste ses boucles d'oreilles, les laissa tomber sur le bois verni. Puis le collier. Puis les bracelets. Un à un, les symboles de son statut tombaient, bruyants et inutiles. Elle enleva ses talons, se mit pieds nus, puis s'assit au bord du lit. Le silence de la chambre lui pesait. Un silence rempli de questions, de confusion... et de colère. Elle se sentait trahie. Pas par Stéphane. Par son père. Comment pouvait-il croire que ses sentiments n'étaient qu'un caprice ? Comment pouvait-il humilier quelqu'un d'aussi digne que Stéphane simplement parce qu'il ne portait pas le bon costume ? Ses doigts tremblaient légèrement. Elle se leva et alla s'accouder à la fenêtre. Dehors, les lumières du gala continuaient à briller dans le jardin. On riait, on dansait, on trinquait, comme si rien ne s'était passé. Comme si elle n'existait pas. Elle pensa à Stéphane. À son calme. À son regard, digne, même sous la colère paternelle. Il n'avait pas eu peur. Il ne s'était pas excusé pour être ce qu'il était. Et ça... c'était plus séduisant que n'importe quel bijou. Belvida sentit ses yeux picoter. Mais elle refusa de pleurer. Pas ce soir. Pas pour ça. Elle éteignit la lampe, et se glissa sous les draps. Mais son cœur, lui, ne dormait pas.Quelques semaines s’étaient écoulées dans la forteresse entourée de pins et protégée par les meilleurs dispositifs de sécurité, qui offrait une paix précieuse que Stéphane et Belvida n’avaient pas connue depuis longtemps.La vie y coulait lentement, rythmée par les balades matinales, les petits-déjeuners en terrasse, et les longues soirées passées à lire ou discuter au coin du feu. Belvida, dont le ventre s’était encore arrondi, rayonnait dans cette atmosphère apaisée. Stéphane, attentif et doux, se montrait plus présent que jamais. Il avait troqué les armes et les urgences contre les soins, les mots tendres, et les repas faits maison.Mais un matin, alors que le soleil se levait à peine sur la cime des arbres, un cri retentit depuis la chambre principale.—« Stéphane ! »Il bondit du lit, le cœur battant. Belvida, penchée contre le mur, respirait fort. Les contractions étaient revenues et cette fois, elles étaient régulières. Trop régu
Le soleil caressait doucement l’asphalte de l’aéroport privé où le jet les attendait, prêt à les emmener vers une nouvelle vie. Stéphane et Belvida avaient passé la nuit précédente à leur manoir, rangé ce qui devait l’être, confié le reste à des mains sûres, puis avaient fermé les portes sans se retourner. L’heure n’était plus aux regrets. C’était un nouveau départ.Rodrigo avait mis à leur disposition un jet privé, équipé de tout le confort possible, et surtout d’une destination bien précise : une somptueuse forteresse sécurisée dans les montagnes californiennes, construite depuis quelques mois dans la plus grande discrétion. Une retraite dorée, loin du tumulte, mais protégée par les plus hauts standards technologiques. C’était sa façon à lui de veiller sur sa fille à distance.Le vol s’annonçait long mais tranquille. Belvida, installée confortablement sur les sièges moelleux de l’appareil, ferma les yeux, laissant son époux gérer les derniers détails du plan
La soirée s’annonçait sereine, presque parfaite, alors que Stéphane et Belvida prenaient la route pour rendre visite à ses beaux-parents. Le trajet avait été calme, sans urgence, un moment rare où ils pouvaient simplement profiter de leur compagnie mutuelle après des mois de stress. Quand ils arrivèrent à la grande demeure de Rodrigo et Blandine, le contraste avec leur récente réalité frappait. Ici, tout semblait tranquille, intemporel, presque comme un havre de paix.Blandine les accueillit avec un sourire chaleureux, presque soulagée de les voir en sécurité après toute cette période d’incertitude. Elle prit Belvida sous son aile, l’emmenant dans une pièce tranquille de la maison pour discuter entre femmes. Pendant que les deux femmes partageaient un moment de complicité, parlant de tout et de rien, Stéphane et Rodrigo se dirigèrent vers le salon, où un verre de whisky les attendait, posé sur une petite table en bois sombre.Rodrigo, avec son caractère solide
Après des heures d’intense tension et de décisions critiques, Stéphane ferma doucement la porte de la salle de commandement derrière lui. L’atmosphère lourde de la guerre froide venait de céder place à un silence presque réconfortant dans les couloirs du QG.Il marcha d’un pas plus lent, presque prudent, comme s’il ne voulait pas troubler la paix retrouvée. Lorsqu’il poussa la porte de l’infirmerie, la lumière tamisée baignait la pièce d’une chaleur douce.Belvida était allongée sur le lit, adossée à un oreiller, un plaid léger couvrant son ventre arrondi. Ses yeux se levèrent aussitôt vers lui, remplis de soulagement.—« Tu es là… » souffla-t-elle, un sourire apaisé au coin des lèvres.—« Je suis là, mon amour. Et cette fois, pour de bon. »Il s’approcha sans dire un mot de plus, prit doucement sa main entre les siennes, puis s’agenouilla à son chevet. Ils restèrent ainsi un moment, sans avoir besoin de parler. Le sile
La grande horloge murale de la salle de commandement affichait 18 :00 précises. Le silence pesant qui avait régné pendant les minutes précédentes fut soudain brisé par une voix ferme et déterminée :—« C’est l’heure. Déploiement immédiat. Opération Zeta-47-B, lancement autorisé. »À bord de l’unité tactique Alpha 1, Stéphane referma sa combinaison pare-balles, l’œil déterminé. Il hocha la tête, comme s’il s’y attendait. Autour de lui, les membres de l’unité finalisaient les derniers préparatifs. L’hélicoptère vrombissait au-dessus du périmètre de la zone Zeta-47-B, balayée par les projecteurs thermiques et les drones de surveillance.Le site Zeta-47-B, caché dans une ancienne base logistique abandonnée à la lisière nord de la forêt de Mavou-Tsinga, venait d’être repéré grâce aux indications précises de Kaël. Protégé par un système de sécurité autonome et partiellement souterrain, l’endroit avait été bâti pour dissimuler une technologie sensible à l
Salle de commandement – QG de l’unité spéciale La porte blindée s’ouvrit en coulissant lentement. Stéphane entra, le visage tendu mais maîtrisé. Ses traits portaient encore les marques de l’émotion qu’il venait de vivre auprès de Belvida. Mais dans ses yeux, une lueur s’était rallumée : celle du soldat, du stratège, de l’homme de terrain. Marcelo l’accueillit d’un bref signe de tête. — « Comment va-t-elle ? » demanda-t-il, tout en désignant du menton l’écran central. — « Stable. Les contractions sont sous contrôle. Elle est entre de bonnes mains. » répondit Stéphane en s’approchant de la table tactique. « Maintenant Zeta-47-B. » Le silence dans la pièce était chargé de tension. Toutes les unités étaient en position d’alerte. Sur les écrans géants, des vues satellitaires montraient une zone montagneuse isolée, dense en végétation et protégée par une ancienne base souterraine désaffectée depuis des an