LOGIN
Ariane
Le vent d’été soulève les rideaux blancs de mon cabinet, projetant une lumière vacillante sur les murs. Assise face à une femme aux traits tirés, je pose mes mains sur les siennes. Son souffle est court, ses doigts glacés. Je ressens immédiatement la douleur qui pulse en elle, une ombre grise qui ronge son énergie vitale.
Je ferme les yeux.
Le flot m’envahit, ce courant invisible qui vibre en moi depuis toujours. Ce don, cette malédiction. Mon corps se tend, mon esprit s’ouvre. Je perçois la faiblesse dans ses cellules, la souffrance incrustée dans ses os. Avec une précision instinctive, je guide l’énergie, la répare, la replace.
Un frisson secoue la femme. Elle halète, son dos se cambre légèrement. Puis elle s’effondre, vidée, son souffle redevenu fluide.
— Ça ira, murmuré-je.
Elle ouvre les yeux, embués de larmes. Ses lèvres tremblent, cherchant les mots. Je me contente d’un sourire. Elle ne comprendra pas ce qui vient de se passer, pas vraiment. Peu importe. Elle se lève, encore vacillante, puis sort en chuchotant un merci.
Dès que la porte se referme, je me laisse tomber sur ma chaise. Mon corps me trahit. Mes muscles brûlent, une fatigue sourde m’écrase. Chaque guérison m’arrache un peu plus de force.
Un coup frappé à la porte me fait sursauter.
— Entrez.
Un homme passe le seuil. Grand, chemise impeccablement repassée, regard perçant. Ilan. Médecin, cartésien, l’exact opposé de tout ce que je suis.
— Tu es pâle, constate-t-il en posant un regard inquiet sur moi.
— Un peu fatiguée.
Il s’approche, sort son stéthoscope comme s’il pouvait analyser ce qui cloche en moi. Il veut comprendre. Toujours. Mais il ne le pourra jamais.
— Tu devrais arrêter, Ariane. Tu ne peux pas continuer comme ça.
— Et laisser ces gens souffrir ?
Il serre les mâchoires. Nous avons eu cette discussion mille fois. Je sais ce qu’il va dire. Je devrais consulter, faire des tests, voir ce que la science peut expliquer. Mais la science n’explique pas ce que je fais.
— Justement, dit-il. Ce n’est pas normal.
— Je sais.
Ma voix est douce, mais inflexible. Je ne changerai pas. Il soupire, passe une main dans ses cheveux. Son téléphone vibre, un appel de l’hôpital. Il doit partir, mais avant de franchir la porte, il pose une main brève sur la mienne.
— Prends soin de toi, Ariane.
Il s’éloigne, me laissant avec ce vide étrange qu’il provoque toujours en moi.
Je reste un instant immobile, à fixer mes doigts tremblants. Puis un second coup résonne à la porte.
— C’est fermé pour aujourd’hui, lancé-je.
— Dommage.
Cette voix.
Un frisson me traverse alors que je me lève lentement. Je reconnaîtrais cette intonation entre mille. Grave, légèrement rauque, un murmure qui effleure la peau comme une caresse dangereuse.
Rafael.
Je me fige.
Il est là, appuyé contre le cadre de la porte, un sourire en coin, les yeux sombres et brûlants posés sur moi. Il n’a pas changé. Toujours cette allure de fauve, ce charme troublant qui éveille quelque chose d’oublié en moi.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? soufflé-je.
— Te voir.
Deux mots, et le passé me heurte de plein fouet.
Je devrais lui dire de partir. Je devrais lui claquer la porte au nez.
Mais je ne bouge pas.
Et il entre.
Ariane
Rafael traverse la pièce comme s’il était chez lui. Il s’arrête à quelques pas de moi, et l’air semble se charger d’une tension électrique. Son regard m’effleure, me jauge, s’accroche aux moindres détails.
— Toujours aussi têtue, murmure-t-il.
Je croise les bras pour cacher le tremblement imperceptible de mes doigts. Rafael n’a jamais eu besoin de crier pour imposer sa présence. Son silence est une arme plus tranchante que les mots.
— Ce n’est pas une visite de courtoisie, dis-je en haussant le menton. Pourquoi es-tu là ?
Un sourire fugace étire ses lèvres, sans atteindre ses yeux.
— Je voulais savoir si tu allais survivre à ton héroïsme.
— Je vais bien.
— Mens-moi encore, et je pourrais presque te croire.
Mon cœur rate un battement. Rafael ne pose jamais de questions inutiles. Il voit au-delà des apparences, il perçoit les failles que je m’efforce de masquer. Son regard dérive vers mes mains.
— Combien de fois aujourd’hui ?
— Assez.
Il serre les mâchoires. Un muscle tressaute sur sa joue.
— Jusqu’à ce que tu t’écroules, c’est ça ?
— Ce n’est pas ton problème.
— Ce l’est.
Sa voix est basse, mais tranchante. Il fait un pas vers moi, réduit l’espace qui nous sépare. Je refuse de reculer, même si mon corps entier est tendu sous son regard.
— Tu n’as jamais su t’arrêter, Ariane. Tu donnes, encore et encore, jusqu’à ne plus rien avoir pour toi.
Je ferme les yeux une fraction de seconde.
— Tu es venu pour me faire la morale ?
— Non.
Un silence s’étire. Rafael n’est pas du genre à parler sans raison. S’il est là, c’est qu’il veut quelque chose.
— Dis-moi la vérité, Rafael. Pourquoi maintenant ?
Il détourne brièvement le regard. C’est infime, presque imperceptible, mais je le vois. L’ombre qui passe dans ses yeux.
— Parce que je sens que tu es en danger.
Je fronce les sourcils.
— De quoi tu parles ?
— Ce pouvoir, Ariane. Ce n’est pas seulement un don. C’est un fardeau. Et tu n’as aucune idée de ce que tu attires.
Un frisson glacé parcourt ma peau. Il a toujours parlé ainsi. Comme s’il en savait plus que moi. Comme si ce que je faisais avait des conséquences que je ne pouvais pas comprendre.
— Tu m’as déjà dit ça, murmuré-je. Et tu es parti.
Rafael esquisse un sourire triste.
— J’ai fait ce qu’il fallait.
— Et maintenant, tu reviens ?
— Parce que cette fois, je ne peux pas te laisser seule.
Mon souffle se bloque.
Il n’a jamais été du genre à promettre quoi que ce soit. Rafael est une ombre insaisissable, un orage qui traverse une vie avant de disparaître.
— Tu ne peux pas juste revenir comme ça, dis-je d’une voix trop basse.
— Pourtant, je suis là.
Ses doigts frôlent mon poignet. Ce simple contact enflamme l’espace entre nous. Trop proche, trop intense.
Je recule brusquement.
— Pars.
Il me fixe longuement. Puis un léger sourire effleure ses lèvres.
— Pas cette fois.
Il tourne les talons et s’éloigne. Mais au moment de franchir la porte, il s’arrête et murmure sans se retourner :
— Ne me ferme pas la porte, Ariane. Pas encore.
Et il disparaît dans la nuit.
Je reste là, le souffle court, le cœur battant à un rythme incontrôlable.
Il est revenu.
Et je ne sais pas si je dois en être soulagée… ou terrifiée.
ArianeLe vent glisse doucement sur ma peau, comme une caresse glacée, mais l’air semble soudainement trop lourd. Les ombres qui m’entourent sont plus qu’une simple obscurité : elles sont devenues des spectres, des présages, des entités invisibles qui murmurent à mon oreille. Je sais que quelque chose se prépare, quelque chose que je ne peux plus ignorer. Le temps ne me laisse plus le choix.Les mots de Lysandre résonnent encore dans ma tête. Ce n’est pas la fin, mais le commencement. Chaque syllabe, chaque mot prononcé, fait naître une vague de doute, de confusion, mais aussi une force nouvelle. Il est vrai que je n’ai pas choisi ce pouvoir, mais il m’a été donné. Et maintenant, il me faut accepter ce don maudit ou le rejeter, avec toutes les conséquences que cela implique.Je ferme les yeux un instant, cherchant à apaiser le tumulte dans mon esprit, à réprimer la peur qui m’étreint. Je peux entendre les battements de mon cœur résonner dans mes tempes, battements qui semblent plus fo
ArianeLa salle, baignée d’une lumière vacillante, semble étouffer chaque respiration. Les murs autour de nous sont marqués de runes anciennes, des symboles qui, pourtant, ne font que renforcer l’impression de claustrophobie. Je sens le poids de la pierre, invisible mais omniprésent, lourd sur mes épaules. Tout ce que j’ai vu dans mes visions, tout ce que j’ai ressenti dans mon âme, se bouscule en moi, et chaque fragment de cette vérité est comme une étincelle prête à enflammer tout ce que j’ai cru connaître.Lysandre est toujours là, juste en face de moi. Je vois son regard durci par l’inquiétude, mais aussi par une détermination que je ne lui connaissais pas. Nous n’avons pas échangé un mot depuis qu’il m’a révélé la vérité sur mon destin, et pourtant, tout est devenu plus clair, plus palpable. Chaque silence entre nous est chargé de la gravité de ce que nous portons désormais. Chaque souffle que je prends est une lutte contre le tumulte qui bouillonne à l’intérieur."Je n’ai pas ch
ArianeLa lumière rouge qui danse encore dans mes yeux semble se répercuter dans l’air autour de moi. Une chaleur étrange envahit mes membres, comme si la pierre noire m’avait marquée d’une manière que je ne peux pas comprendre. Chaque respiration devient plus lourde, et pourtant, je ne peux détacher mon regard de la boîte qui repose toujours sur le piédestal, comme un avertissement.Lysandre me fixe intensément, un mélange de peur et de désir dans ses yeux. "Tu sais maintenant", murmure-t-il, sa voix tremblante mais fermée, "ce que tu es, ce que tu représentes. Ce que tout cela signifie."Je secoue la tête, essayant de repousser l’étreinte de l’angoisse qui m’envahit. "Je ne comprends pas… Je ne peux pas comprendre. Comment puis-je être… cela ? Comment suis-je liée à tout ce qui s’est passé dans ces visions ?"Lysandre hésite, comme si chaque mot qu’il allait prononcer pesait une tonne. Il s’avance lentement vers moi, ses pas mesurés. "Parce que ce que tu as vu, ce n’est pas juste un
ArianeLes murs du temple semblent respirer avec moi. L’air vibre, lourd, saturé de secrets anciens, de murmures à peine perceptibles. Je sens une chaleur étrange, mais elle ne vient pas de l’intérieur, elle émane de la pierre elle-même, des fondations de ce lieu maudit. Chaque pas que je fais, chaque mouvement de ma main, semble déclencher une réaction dans l’espace autour de moi. C’est comme si tout était vivant, comme si le temple attendait ma présence depuis des siècles, des millénaires.Lysandre marche derrière moi, son pas silencieux mais lourd de tension. Je ne me retourne pas pour le regarder, mes yeux fixés sur l’obscurité devant moi. Nous avançons dans un couloir étroit, dont les murs sont couverts de symboles que je n’arrive pas à déchiffrer. Des signes ancestraux, des runes gravées profondément dans la roche, évoquent des images de créatures mythologiques, d’âmes perdues et d’entités oubliées. Mais ce qui me glace encore plus, c’est la sensation croissante d’être observée.
ArianeLe vent froid du matin me frappe en plein visage, comme une gifle sèche, me tirant brusquement de mes pensées. Nous marchons depuis des heures, chaque pas me rapprochant un peu plus de l'inconnu, mais l'inconnu semble plus vaste à chaque seconde. Ce lieu, qui semblait figé dans le temps, continue de me provoquer, me défiant de comprendre ce qui se cache dans ses ténèbres. L'air est lourd, saturé d'une étrange énergie, et chaque coin du paysage semble regarder en retour.Lysandre marche silencieusement à mes côtés, son regard toujours aussi perçant, mais il semble préoccupé, comme s'il était lui-même à la recherche de quelque chose. Il ne parle pas, mais je peux sentir sa tension. Le temps s'étire dans cette immensité de ruines, dans ce labyrinthe de pierres anciennes. Le sol est inégal, l'herbe noire d'une couleur étrange recouvre une grande partie des lieux, presque comme si elle se nourrissait des secrets enfouis sous cette terre. Mais le plus étrange, ce n’est pas la terre e
ArianeLe bruit de la porte se refermant derrière nous est lourd, presque définitif. Un son métallique qui résonne dans l'espace comme un écho d'adieu. C'est un passage, une ligne invisible tracée entre le monde que nous avons quitté et celui dans lequel nous venons de pénétrer. Un lieu entre les mondes. Il n'y a plus de retour en arrière. Je suis désormais confrontée à l'immensité de ce qui se cache au-delà du voile, là où même les ombres semblent avoir une vie propre.L'air est épais, chargé de poussière et de secrets, chaque respiration que je prends est saturée d'une présence ancienne, oppressante. Autour de nous, des ruines émergeant de la brume, des structures d'un autre temps, des vestiges oubliés d'une civilisation éteinte. Mais il n'y a aucune tranquillité dans ce silence. C'est un silence lourd, presque prédateur, comme si le monde lui-même attendait un mouvement, un mot, une action, pour se réveiller.Je serre les poings. Il y a des histoires dans ce lieu, des récits murmur