Ariane
Parce que je sens déjà ce qui cloche.
Un froid étrange s’est installé dans la pièce. L’air est devenu plus lourd.
Je tends la main.
— Puis-je ?
Elle hésite, puis pose ses doigts sur les miens.
Le choc est immédiat.
Un souffle glacé m’envahit, une ombre qui rampe sous ma peau. Ce n’est pas une maladie, ce n’est pas une simple douleur.
C’est autre chose.
Quelque chose qui la ronge, qui la vide peu à peu.
Je rouvre brusquement les yeux et lâche sa main.
Mon souffle est court.
Elle me fixe avec terreur.
— Vous voyez… n’est-ce pas ?
Je ne réponds pas.
Parce que oui. Je vois.
Et ce que j’ai perçu me glace jusqu’aux os.
Rafael
— Ce n’est que le début.
Je lève les yeux vers l’homme en face de moi. Installé dans l’ombre du bar, il me fixe avec cet air énigmatique qui m’a toujours exaspéré.
— Tu savais.
— Évidemment.
Je serre les mâchoires.
— Pourquoi tu ne l’as pas prévenue ?
Il sourit, amusé.
— Ariane ne t’aurait pas écouté. Pas plus qu’elle ne m’aurait écouté.
Je frappe du poing contre la table.
— Ce n’est pas un jeu.
— Rien ne l’est, Rafael.
Un silence s’installe.
— Elle a déjà touché l’ombre, n’est-ce pas ?
Mon cœur se serre.
— Oui.
L’homme hoche lentement la tête.
— Alors c’est trop tard.
Un frisson me parcourt.
Parce que je sais qu’il a raison.
Et qu’Ariane est désormais liée à quelque chose qui la dépasse.
Ariane
Je n’aurais pas dû toucher cette fille.
Le froid me traverse encore, comme une aiguille plantée sous la peau. Je masse mes doigts engourdis, mais la sensation ne s’en va pas.
Son regard hante mon esprit. Ces yeux noirs, trop noirs. Comme un puits sans fond.
Je ferme les rideaux de mon cabinet, essayant d’évacuer la tension qui s’est accrochée à moi. Mon souffle est court. Mon esprit refuse d’admettre ce que je sais pourtant au fond de moi.
Quelque chose s’est infiltré.
Et maintenant, il est trop tard.
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L’après-midi s’étire dans une lenteur insupportable. Chaque patient me paraît plus lourd que le précédent. Mon énergie s’effrite.
Lorsque je sors enfin, la nuit est tombée. L’air est humide, chargé d’électricité. Un orage approche.
Je resserre mon manteau autour de moi et marche rapidement vers mon appartement.
Puis je m’arrête.
L’impression est soudaine, brutale.
Quelqu’un me suit.
Je tends l’oreille. Rien. Juste le silence étouffant de la ville à cette heure tardive.
Mais mon instinct ne se trompe jamais.
Je reprends ma route, plus vite. Mon cœur bat contre ma cage thoracique.
Et puis…
Un bruit. Léger. Presque imperceptible.
Derrière moi.
Je me retourne brusquement.
Personne.
Mais je le sais.
Quelque chose est là.
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Rafael
Je suis sur le toit, observant l’immeuble en contrebas.
Ariane marche d’un pas rapide, nerveux. Elle a senti la présence.
Je serre les poings. C’est allé plus vite que prévu.
L’ombre a commencé à la suivre.
Je saute du rebord, atterrissant souplement sur un balcon plus bas, puis je me laisse glisser dans la ruelle adjacente. Mes pas sont silencieux, ma respiration maîtrisée.
J’arrive derrière elle, me fondant dans la nuit.
Je n’ai qu’une seconde.
Je tends la main et l’attrape par le bras.
Elle se débat immédiatement, son réflexe fulgurant. Mais je suis plus rapide.
— C’est moi.
Elle s’immobilise.
Son regard accroche le mien. Une tempête.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— On n’a pas le temps, Ariane.
Elle essaie de se dégager.
— Lâche-moi.
— Écoute-moi. Tu n’es pas seule.
Elle fronce les sourcils, puis comprend.
Son visage se fige.
Elle sait.
Je la tire brusquement contre moi.
— Ne bouge pas.
Elle ne discute pas.
Elle a appris à me faire confiance dans ce genre de situations.
Je lève les yeux.
L’ombre est là.
À quelques mètres, tapie dans l’obscurité, une silhouette indistincte.
Elle nous observe.
Et elle attend.
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Ariane
Mon souffle se bloque.
Je n’arrive pas à voir clairement, mais je la sens.
Une présence suffocante.
Elle n’a pas de visage. Pas de corps. Juste une masse sombre qui ondule, s’étire.
— Ne bouge pas, répète Rafael, sa voix basse contre mon oreille.
Je ne pourrais pas bouger même si je le voulais.
L’ombre glisse lentement, comme une bête en chasse.
Rafael serre son emprise sur moi.
— Tu vas devoir me faire confiance.
— Je n’ai pas le choix, soufflé-je.
Il esquisse un sourire.
— Exactement.
Puis, il murmure quelque chose.
Une langue que je ne reconnais pas.
L’ombre frémit.
Et disparaît.
D’un coup.
Comme si elle n’avait jamais été là.
Je m’arrache à son étreinte, le cœur battant à tout rompre.
— Qu’est-ce que c’était ?!
Il me fixe.
— Ce que je craignais.
Je secoue la tête, furieuse.
— Tu vas devoir m’expliquer. Maintenant.
Il pousse un soupir et passe une main dans ses cheveux.
— Ce n’est pas aussi simple.
— Arrête de dire ça !
Un silence s’étire.
Puis il murmure :
— L’ombre ne va pas disparaître.
Mon sang se glace.
— Elle va revenir, continue-t-il. Encore et encore.
Je recule d’un pas.
— Pourquoi ?
Son regard s’assombrit.
— Parce qu’elle veut toi.
Le monde bascule sous mes pieds.
Et je comprends que ma vie ne sera plus jamais la même.
ArianeJe suis encore secouée par la vision. Mon souffle est court, mes doigts tremblent contre le sol froid du manoir.Rafael me soutient, mais je sens sa tension, sa méfiance brûlante dirigée vers Isolde.— Qu’est-ce que tu lui as fait ?Il se redresse, menaçant, prêt à attaquer.Isolde ne bouge pas.— Je lui ai simplement montré ce qu’elle a toujours su.Je ferme les yeux, essayant d’éloigner les images qui dansent encore derrière mes paupières.Un champ de bataille.Un homme masqué.Un serment oublié.— C’était un souvenir…Les mots m’échappent dans un souffle.Pas un rêve.Pas une illusion.Un fragment de quelque chose de réel.Rafael serre la mâchoire.— Ce n’est pas possible. Elle n’a aucun souvenir de ça. Aucun lien avec cette époque.Isolde soupire.— Les âmes ne suivent pas les lois du temps, Rafael. Ce que nous avons été, ce que nous avons fait… tout nous suit, d’une vie à l’autre.Je me redresse lentement, le cœur battant toujours aussi fort.— Et Caïn dans tout ça ?Son n
ArianeElle marque une pause.— Et de celui de Caïn.Le nom résonne comme une menace.Mon cœur s’emballe.Je recule instinctivement.— Je ne veux pas avoir de lien avec lui.Isolde ne cille pas.— Ce n’est pas à toi de décider.La panique monte en moi.— Pourquoi ?Isolde me fixe, impassible.Puis elle dit, d’une voix posée :— Parce que vos âmes sont liées depuis le commencement.La pièce semble rétrécir autour de moi.Je secoue la tête, refusant cette idée.— Non.Mais Isolde continue, implacable.— Tu ressens son appel, n’est-ce pas ?Mon souffle se bloque.Oui.Chaque nuit. Chaque seconde.Une ombre invisible qui effleure ma peau, une voix dans mon esprit qui murmure mon nom.Et cette brûlure…Cette foutue brûlure qui ne s’éteint pas.Je croise le regard de Rafael.Il sait.Il l’a toujours su.Mais il n’a rien dit.La colère explose en moi.— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?!Sa mâchoire se contracte.— Parce que je voulais te protéger.Je ris, un rire amer.— Me protéger ? De quoi
ArianeRafael passe une main sur son visage, visiblement contrarié.— Pas grand-chose, tant que tu ne le repousses pas toi-même.Je ris jaune.— Et comment je fais ça ?— En arrêtant de penser à lui.— Tu crois que c’est si facile ?Il plante son regard dans le mien.— Non.Un silence tendu s’installe.Puis il se lève brusquement, fait les cent pas dans la pièce.— On doit quitter cet endroit.— Pourquoi ?— Parce qu’il sait où tu es maintenant.Une boule d’angoisse se forme dans mon estomac.— Tu veux dire qu’il pourrait débarquer ici ?— S’il le voulait, il l’aurait déjà fait.Sa voix est dure.— Mais il préfère attendre. Te laisser venir à lui.Je secoue la tête, essayant de chasser la peur qui menace de m’engloutir.— Où on va ?Rafael hésite.Puis il dit :— Chez quelqu’un qui peut nous aider.La route est silencieuse.Nous roulons depuis plus d’une heure, traversant la ville pour en sortir, s’enfonçant dans une campagne noyée de brume.Je regarde le paysage défiler, mes pensées
ArianeJe suis encore là. Assise sur ce canapé, à fixer les ombres qui dansent sur les murs. Rafael est parti depuis une heure. Peut-être deux. Je ne sais pas.Mon corps est immobile, mais mon esprit hurle.Tout ce que je croyais connaître s’effondre.Je suis une Guérisseuse. La dernière. Une cible.Et Caïn…Je repense à son regard, à cette façon dont il a murmuré mon nom. Il y avait quelque chose dans sa voix. Pas seulement du désir. Pas seulement un piège.Un lien.L’idée me glace.Pourquoi ai-je l’impression qu’il me connaît mieux que moi-même ?Une bouffée d’air froid me ramène à la réalité. La fenêtre est restée entrouverte. Je me lève lentement, mes jambes engourdies. Dehors, la nuit est épaisse, presque liquide.Je devrais dormir.Mais je sais déjà que le sommeil ne viendra pas.Alors je sors.---Les rues sont calmes, bercées par le bourdonnement lointain de la ville. J’avance sans but, cherchant un sens à ce chaos dans mon esprit.Puis je le sens.Un frisson, une caresse invi
RafaelJe la retrouve assise sur un banc, le visage pâle et les yeux hantés.Sans un mot, je m’accroupis devant elle.— Qu’est-ce qui s’est passé ? demandé-je d’une voix douce.Elle me regarde, et dans ses prunelles, je vois la peur.— Elle était là.Mon cœur rate un battement.— L’ombre ?Elle hoche la tête.Je serre les poings.— Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?Ariane passe une main tremblante sur son bras, comme si elle pouvait encore sentir son emprise.— Elle m’a montré… quelque chose. Des souvenirs. Des visions. Je ne comprends pas.Je soupire.— Ça commence.Elle fronce les sourcils.— Quoi ?Je me lève lentement.— Elle essaie de te posséder.Ariane pâlit.Je tends la main vers elle.— Viens. On ne peut pas rester ici.Elle hésite, puis attrape mes doigts.Et en cet instant, je fais une promesse silencieuse.Peu importe ce qui arrive.Je ne la laisserai pas tomber.ArianeRafael ne lâche pas ma main.Il m’entraîne hors du parc, son regard fouillant l’obscurité autour de nous comm
Ariane Un silence pesant s’installe.Puis il reprend :— Vous êtes une guérisseuse, Ariane. Mais votre don ne se limite pas à soigner les blessures du corps.Je déglutis avec difficulté.— Vous avez le pouvoir de purifier.L’air me manque.— C’est pour ça qu’elle vous traque. Elle vous veut, mais elle vous craint aussi.Mon cœur bat à tout rompre.— Et vous ? demandé-je.Un éclat passe dans ses yeux.— Je suis ici pour vous offrir un choix.Je croise les bras, malgré la peur qui serre mon ventre.— Quel choix ?Il sourit de nouveau.— Me rejoindre.Je sens un frisson glacé descendre le long de mon échine.— Pourquoi ferais-je ça ?— Parce que seule, vous ne survivrez pas.Mon sang se glace.Il s’avance encore, et cette fois, je recule instinctivement.— L’ombre est patiente. Mais elle est aussi avide. Elle ne s’arrêtera pas tant qu’elle ne vous aura pas engloutie.Sa voix est douce, presque envoûtante.— Acceptez mon aide, Ariane. Et vous aurez une chance.Un silence pesant tombe ent