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Chapitre 2 — Le Feu sous la Peau

Auteur: Déesse
last update Dernière mise à jour: 2025-11-01 00:16:03

Kaël

La nuit s’étire, lourde comme un souffle qu’on retient trop longtemps.

Je sens encore son regard dans le noir.

Cette créature… cette sirène.

Je devrais l’avoir oubliée dès l’instant où elle a replongé sous la surface.

Mais non.

Son image me ronge.

Sa peau luisante, ses yeux trop humains, cette voix , douce et dangereuse à la fois.

Elle n’aurait pas dû me parler.

Elle n’aurait pas dû prononcer mon nom.

Maintenant, il brûle en moi comme une marque.

Je serre les poings. La colère me ronge.

Les sirènes sont nos ennemies. Des monstres de la mer, des menteuses qui chantent pour mieux tuer.

Et pourtant…

Quand elle a souri, j’ai senti le sol trembler sous mes sabots.

Pas de peur.

D’autre chose. Quelque chose que je refuse de nommer.

Je marche le long de la rive, les muscles tendus, les nerfs en feu.

Chaque vague qui frappe la berge semble murmurer son nom.

Éliane.

Le dire à voix haute serait une faiblesse.

Mais je ne peux pas m’en empêcher.

— Éliane…

Le vent m’arrache le mot.

Comme si la mer voulait me le voler.

Je ferme les yeux, et je la revois : la lueur de la lune sur ses écailles, le frémissement de ses lèvres.

Ce mélange de pureté et de provocation.

Elle n’avait pas peur de moi.

Personne ne me regarde ainsi.

Depuis les guerres des deux royaumes, les miens craignent la mer.

Les vagues ont englouti nos frères, nos terres, nos chevaux.

La haine est gravée dans nos os.

Alors pourquoi… pourquoi cette fille des flots n’a-t-elle pas fui ?

Je frappe le sol d’un sabot. L’écho résonne dans ma poitrine.

Je veux l’oublier.

Je veux détruire cette image avant qu’elle ne me consume.

Mais quand j’entends le frémissement de l’eau derrière moi, mon corps se fige.

Je sais que c’est elle.

Je le sens avant même de la voir.

Elle sort de l’ombre, à demi hors de l’eau.

Ses cheveux mouillés se collent à sa peau, sa respiration fait danser la surface.

Elle me regarde comme si elle m’attendait.

— Tu es revenu, dit-elle simplement.

— C’est toi qui m’as appelé, sirène.

Elle sourit.

Un sourire qui ne promet rien de bon.

— Je ne t’ai pas appelé. C’est ton cœur qui m’a cherché.

Je ricane, amer.

— Mon cœur n’a rien à voir là-dedans. Tu es un piège, rien de plus.

Ses yeux se plissent, et une ombre passe sur son visage.

— Tu crois que je t’ai charmé ? Que j’ai chanté pour t’attirer ?

Sa voix se fait plus rauque, presque blessée.

— Je n’ai pas besoin de mentir pour que tu viennes.

Je m’avance, trop près. L’odeur du sel me monte à la tête.

— Tu devrais retourner d’où tu viens avant que je change d’avis.

— Et tu ferais quoi ? Tu me tuerais ?

Sa provocation me désarme.

Je sens mon cœur battre plus vite.

Sa peau luit sous la lune, et chaque reflet me torture.

Je voudrais lui hurler de disparaître, mais ma gorge refuse.

— Ne joue pas avec moi, femme de la mer.

— Ce n’est pas un jeu, Kaël. C’est toi qui joues à haïr ce que tu désires.

Ses mots me frappent de plein fouet.

Je recule d’un pas, comme si elle m’avait frappé.

Je voudrais rire, crier, nier.

Mais elle a raison.

Sous ma colère, il y a cette chaleur insupportable, cette tension qui me brûle de l’intérieur.

Elle s’approche, lentement, glissant sur l’eau comme une flamme bleue.

Ses doigts frôlent la rive, à quelques centimètres de mes sabots.

Je pourrais la toucher.

Je pourrais la briser.

Et je ne fais rien.

— Tu vois ? murmure-t-elle. La haine, c’est une forme d’attirance. Tu me hais parce que tu me ressens.

Je ferme les yeux.

Je voudrais la repousser.

Mais au lieu de ça, je reste là, les poings serrés, le souffle court.

Je sens la terre vibrer sous moi, comme si elle voulait m’avertir.

— Pars, Éliane, avant que je ne te fasse du mal.

— Ou que tu t’en fasses à toi-même ?

Elle me sourit, un sourire triste, presque tendre.

Puis elle plonge d’un coup, disparaissant dans un éclat d’écume.

Je reste seul, haletant, trempé de sueur.

La mer s’est tue.

Mais en moi, tout hurle encore.

Je la hais.

Je la hais parce qu’elle existe.

Parce qu’elle me fait douter de tout ce que je suis.

Et je sais, au fond, que je reviendrai.

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