Isadora
La lettre brûle entre mes doigts comme un secret défendu. Je la relis encore et encore, chaque mot pesé, chaque phrase savoureuse comme une promesse empoisonnée.
« Revenez quand vous aurez faim. »
Faim. Ce mot tourne en boucle dans ma tête, une mélodie obsédante qui refuse de s’éteindre. Une faim qui me consume de l’intérieur, qui me dévore sans pitié, qui me déchire et m’appelle à sortir de l’ombre, à franchir ce seuil invisible que je pressens plus qu’autre chose.
Je suis devenue cette femme que je ne voulais pas être. Une femme enchaînée à un désir qu’elle ne contrôle plus. Une proie. Une prédatrice. Une amante captive d’un jeu dont je ne connais ni les règles, ni la fin.
Le jour s’efface vite, comme avalé par l’ombre. Je quitte mon appartement avec un seul objectif : revenir à ce lieu qui n’existe pas vraiment, à cet homme qui n’a pas laissé de traces, à cette nuit sans nom où tout a basculé.
Je glisse la lettre dans ma poche, la peau de son papier contre la paume, comme un talisman. C’est un poids, une ancre, un rappel qu’il est là, quelque part, au-delà des mensonges et des silences.
Le Normandy m’accueille dans un murmure de luxe et de mystère. Cette fois, je ne demande plus. Je ne veux plus de réponses, ni d’explications. Je veux seulement qu’il apparaisse, qu’il me prenne, qu’il me brûle.
Je pénètre dans l’hôtel comme on s’introduit dans un temple interdit. Le hall est presque désert, l’air chargé de parfums feutrés et d’attentes sourdes. Le personnel s’agite, les clients vont et viennent, mais personne ne remarque mon passage. Je suis une ombre, une promesse suspendue.
Je monte l’escalier de marbre, mon cœur battant dans ma gorge, chaque pas résonnant comme un écho douloureux.
Le dernier étage. Là où l’on dit que les rêves se perdent, que les secrets se murmurent et que la vérité se cache sous des couches de mensonges.
Je m’arrête devant la porte d’une suite dont la poignée est froide sous ma main. Je n’ai pas la clé. Je n’ai pas la permission. Mais la curiosité est plus forte que la raison, cette même curiosité qui m’a menée jusqu’ici, cette soif insatiable de lui.
Je tourne la poignée. Elle cède.
La porte s’ouvre sur une obscurité dense, un silence presque tangible qui m’enveloppe.
La pièce est plongée dans la pénombre. Un parfum puissant, subtil, comme un mélange de bois fumé et d’ambre, flotte dans l’air, enivrant et secret.
Puis il apparaît, dans l’ombre, plus réel que jamais.
Son corps sculpté par l’ombre, ses yeux noirs comme une nuit sans étoiles, son sourire à la fois cruel et tendre, une promesse de plaisir et de douleur.
— Vous avez faim, Isadora ? Sa voix est un murmure qui glisse contre ma peau, un souffle à la fois doux et incendiaire.
Je ne réponds pas. Je ne peux pas. Je suis figée, à la fois terrifiée et hypnotisée, prisonnière de ce regard qui me déshabille, qui lit en moi comme dans un livre interdit.
Il avance vers moi, chaque pas mesuré, chaque geste chargé d’une promesse.
Je sens son souffle chaud sur mon cou, le frisson qui me parcourt de la nuque jusqu’au creux des reins.
— La faim, c’est un luxe dangereux. Mais aussi un trésor précieux. Vous êtes prête à payer le prix ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus rien. Tout ce que je sais, c’est que je suis là, offerte, vulnérable et prête à basculer.
Il dénoue mon manteau, effleure mes épaules nues, comme un peintre caressant une toile fragile, comme un sculpteur modelant son œuvre.
Je suis là, brisée. Vivante. Suspendue entre désir et peur.
— Montrez-moi ce que vous voulez vraiment, Isadora.
— Je ne sais plus ce que je veux, je murmure, la voix tremblante.
— Alors je vous apprendrai.
Il m’entraîne dans un monde où le plaisir est aussi cruel que le désir, où chaque baiser est une bataille, où chaque caresse est un serment de possession.
Je m’abandonne à cette danse interdite, où les limites s’effacent, où chaque souffle, chaque frisson devient une arme.
Je m’oublie. Je me perds. Je me retrouve.
Les heures s’effacent, le temps n’a plus de prise.
Je sens la brûlure de ses mains sur ma peau, la douceur amère de ses lèvres, la faim qui consume tout en moi.
Je perds pied, je me perds, je me laisse emporter par cette tempête.
Quand enfin il me libère, je suis à bout de souffle, mais aussi plus vivante que jamais, une flamme vacillante mais ardente.
— Vous voyez, Isadora, dit-il en caressant mes cheveux, la voix grave et basse. La faim est la plus belle des flammes. Elle brûle tout sur son passage, mais elle éclaire aussi le chemin.
Je le regarde, les yeux pleins de désir et de peur, le cœur prêt à exploser.
— Et maintenant ?
— Maintenant, le vrai jeu commence.
Je ne sais pas ce que sera demain. Je ne sais pas ce que je serai.
Mais je sais que je ne pourrai plus reculer.
Je suis tombée dans son monde.
Et j’ai faim.
Je reste là, immobile, les sens encore en éveil, le corps vibrant de cet incendie qu’il a allumé en moi. La nuit avance, épaisse, silencieuse, mais tout autour de moi brûle d’une intensité nouvelle.
Mes mains tremblent encore, mes lèvres portent le goût de ses baisers, et dans ma poitrine, ce feu qui refuse de s’éteindre gronde sourdement.
Je m’appuie contre le mur, les yeux fermés, tentant de rassembler les morceaux éparpillés de ma raison. Mais c’est impossible. Ce qu’il a déclenché est plus fort que moi. Plus fort que toutes mes défenses.
Je sens son regard peser sur moi, même dans le silence, même dans l’ombre. Ce poids délicieux et oppressant qui fait chanceler mes certitudes.
— Vous avez franchi la porte, Isadora. Il n’y a pas de
retour possible.
— Je le sais, dis-je enfin, la voix rauque, presque un souffle.
IsadoraJe ferme les yeux et je laisse mon corps s’exprimer, abandonnant mes peurs dans cette danse incandescente.Je suis Isadora.Je suis le feu.Et je brûlerai, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien que ma force.Les heures s’égrainent, les regards ne quittent pas mes gestes, analysant chaque pas, chaque hésitation. La danse est un rituel, un apprentissage aussi brutal que magnifique.Quand enfin je m’arrête, haletante, la salle entière semble retenir son souffle.— Vous avez commencé, déclare la femme au masque d’argent, respectueuse. Mais ce n’est que la première étincelle. Le feu exige un sacrifice constant. Une vérité incessante.Je me redresse, le corps brûlant, le cœur lourd mais vibrant.— Je suis prête à payer ce prix.Le roi du silence se rapproche, ses yeux plongés dans les miens.— Alors le véritable embrasement commence, Isadora. Le feu n’est pas seulement une force à maîtriser. C’est une part de vous-même qui s’éveille, une guerre que vous menez avec vo
IsadoraLa liqueur rougeâtre brûle ma gorge comme une flamme vive. Un frisson court le long de ma colonne vertébrale, comme si une force ancienne s’éveillait en moi, réclamant son dû. Autour de moi, les silhouettes masquées semblent s’incliner en une révérence silencieuse, témoins d’un rite aussi vieux que le temps lui-même. Chaque regard derrière ces masques, aussi impassible soit-il, pèse sur moi comme un jugement sourd.— Vous sentez ça ? Sa voix est là, proche, derrière moi, rauque et pleine de promesses.Je me retourne lentement. Lui. Toujours lui. Sa présence est une ombre familière qui s’insinue sous ma peau, une chaleur autant qu’une menace. Cette ambivalence me déchire, mais je ne peux fuir.— Oui, je sens. Le feu. Celui que je ne peux fuir.Son regard brûle le mien, un duel silencieux entre maîtrise et chaos. Il y a en lui quelque chose d’indomptable, de sombre, qui m’effraie autant qu’il m’attire.— Ce feu ne vous consumera pas si vous apprenez à le dompter. Mais il vous dé
IsadoraIl s’avance, et sans un mot, me serre contre lui. Je sens ses doigts tracer des cercles brûlants sur ma peau nue, comme pour marquer ce territoire qui est désormais mien autant que sien.— Vous êtes mienne, murmure-t-il. Pas dans un sens de possession, mais dans celui d’une promesse. Une promesse que je tiendrai.— Et si je ne veux pas ?— Alors vous apprendrez à vouloir.Je frissonne à ses mots, à leur double tranchant. J’ai l’impression d’être une proie, mais aussi une reine. Une reine captive dans un château de feu.Il s’éloigne, me laissant suspendue à cette tension, à cette faim impossible à combler.Je me laisse tomber sur le canapé, les yeux rivés sur la porte qu’il vient de refermer derrière lui.Je suis entrée dans un jeu dont je ne maîtrise ni les règles ni l’issue.Mais je sais une chose.Je ne pourrai plus jamais m’en détourner.Car cette faim qui me ronge est aussi la seule vérité que je puisse encore reconnaître.Je suis à la fois la flamme et le bois qui brûle.
IsadoraLa lettre brûle entre mes doigts comme un secret défendu. Je la relis encore et encore, chaque mot pesé, chaque phrase savoureuse comme une promesse empoisonnée.« Revenez quand vous aurez faim. »Faim. Ce mot tourne en boucle dans ma tête, une mélodie obsédante qui refuse de s’éteindre. Une faim qui me consume de l’intérieur, qui me dévore sans pitié, qui me déchire et m’appelle à sortir de l’ombre, à franchir ce seuil invisible que je pressens plus qu’autre chose.Je suis devenue cette femme que je ne voulais pas être. Une femme enchaînée à un désir qu’elle ne contrôle plus. Une proie. Une prédatrice. Une amante captive d’un jeu dont je ne connais ni les règles, ni la fin.Le jour s’efface vite, comme avalé par l’ombre. Je quitte mon appartement avec un seul objectif : revenir à ce lieu qui n’existe pas vraiment, à cet homme qui n’a pas laissé de traces, à cette nuit sans nom où tout a basculé.Je glisse la lettre dans ma poche, la peau de son papier contre la paume, comme u
IsadoraJe suis restée jusqu'à l'aube. Le ciel a changé de teinte sans que je m'en aperçoive. Les étoiles ont fui une à une, avalées par la pâleur du matin. Mon corps est las, à vif, rongé d’épuisement. Mais mon esprit, lui, est en feu. Un feu froid, affamé, comme si quelque chose de fondamental avait été brisé en moi, ou peut-être éveillé.Je suis partie sans un mot. Je n’ai pas refermé la porte. Je n’ai pas osé. Il était encore là, assis dans son fauteuil, la coupe toujours vide. Immobile. Comme un roi en exil. Ou une bête à l’affût. Majestueux. Dangereux. Irréel. Un spectre fait de chair et de nuit.Je descendais les marches comme si j’émergeais d’un rêve. Ou d’une transe. Le monde semblait trop net, trop rapide. L’air piquait mes joues, le silence me giflait.Dans la rue, les premiers passants levaient les yeux vers le ciel. Ils cherchaient le jour, moi je portais encore la nuit. Personne ne voyait ce que je traînais sur ma peau : l’empreinte invisible de ses mains. Ses ongles dan
IsadoraJe n’ai pas dormi.Pas vraiment. Pas comme avant.Le Casino s’est vidé, les musiques se sont tues, et pourtant, dans ma tête, tout tourne encore.Adrien de Vallières.Ce nom ancien qui claque comme une épée dans un monde de parvenus.Un nom qui coupe. Un nom qui règne.Je suis rentrée chez moi à l’aube, robe froissée, talons à la main, cheveux défaits.Le vert n’avait pas suffi à le faire rester.Mais ses mots…Ils sont restés plantés dans ma peau comme des aiguilles.— Vous croyez savoir ce que vous cherchez.Non.Je ne sais rien.Je sais juste que pour la première fois, je n’ai pas contrôlé.Pour la première fois, ce n’est pas moi qui ai tendu le piège.Je veux comprendre ce qu’il a vu en moi.Je veux savoir pourquoi ses yeux m’ont brûlée.Je veux… sentir encore ce frisson.Je le cherche.Trois jours. Trois nuits.Je retourne au Casino, seule, maquillée comme une provocation.Rouge à lèvres carmin. Fard charbonneux.J’entre dans chaque pièce comme on entre en guerre.Chaque