Le ciel de Sunstown s’assombrissait plus tôt que d’habitude. Un voile de nuages épais étouffait les derniers éclats du soleil, plongeant les rues de la petite ville dans une pénombre précoce. Un frisson d’étrangeté planait dans l’air, comme un avertissement muet. Un présage.
Shelby se tenait devant son miroir, la serviette encore posée sur ses épaules après sa douche. Sa peau, humide et frissonnante, était parcourue de pulsations invisibles. Depuis son réveil ce matin-là, quelque chose clochait. Ce n’était pas une douleur franche. C’était… une tension. Une vibration sourde dans ses os, un bourdonnement sous la peau, comme si une créature rampait juste en dessous de l’épiderme. Elle se pencha vers le miroir, scrutant ses yeux. Leur couleur brun noisette habituelle semblait tirée vers l’or, comme si la lumière y avait allumé un feu. Elle cligna plusieurs fois, mais la lueur persistait. — C’est dans ma tête, murmura-t-elle. Mais rien n’était dans sa tête. Tout était bien réel. En descendant les escaliers, elle entendit sa mère parler à voix basse au téléphone. Elle s’interrompit brusquement en la voyant, comme si elle avait été prise en flagrant délit. — Shelby… tu vas bien ? Tu es toute pâle. Shelby hésita. Mentir ? Elle en était incapable. — Je ressens des choses… des choses étranges. Comme si mon cœur voulait sortir de ma poitrine. Mes sens sont décuplés. J’entends des conversations à l’extérieur. Les odeurs me donnent la nausée. Et mes yeux… regarde mes yeux, maman. Sa mère s’approcha. Un instant figée, elle pinça les lèvres. — Les signes sont là. Plus tôt que prévu. Shelby serra les poings. — Tu as dit que j’avais cinq jours ! — Parfois, la lune décide elle-même du rythme. Et toi… tu es différente. Shelby ferma les yeux, tenta de calmer son souffle. Mais la tempête en elle grondait, incontrôlable. L’après-midi, elle tenta de reprendre une vie normale. Elle retourna brièvement au lycée pour récupérer des affaires. Mais dès qu’elle mit le pied dans le bâtiment, tout son être se crispa. Les bruits étaient devenus assourdissants : les rires, les casiers qui claquaient, les pas dans les couloirs résonnaient comme des coups de canon. L’odeur de la cantine – autrefois fade – lui donna la nausée. Et surtout… elle ressentait des choses. Des émotions qui n’étaient pas les siennes. De la colère. Du désir. De la peur. Quand elle croisa Sarah, une camarade de classe, elle sut immédiatement que la jeune fille avait pleuré. Sans aucune trace sur son visage, Shelby sentit l’odeur du sel et de la tristesse accrochée à ses vêtements. Cela la bouleversa. — Qu’est-ce qui m’arrive ? Au retour, elle prit un raccourci par le bois. La forêt l’attirait d’une manière presque magnétique. Les arbres semblaient murmurer. La mousse sous ses pas la reconnaissait. Elle n’était plus une intruse ici. Et c’est là, entre deux chênes noueux, qu’elle le sentit : l’appel. Un frisson la traversa de la nuque aux talons. Son cœur accéléra violemment. Sa vue se troubla, puis devint plus nette. Elle voyait tout. Chaque nervure sur les feuilles. Chaque trace de pas sur la terre. Même le mouvement discret d’un écureuil dans les branches lui parut clair comme le jour. Elle chancela, saisie d’un vertige. Puis, soudain, une douleur aiguë lui transperça le dos. Elle tomba à genoux, haletante, les mains enfoncées dans la terre humide. Ses os semblaient se tordre à l’intérieur de son corps. Son souffle se fit rauque. Ses doigts se crispèrent et ses ongles poussèrent, longs, effilés, acérés comme des griffes. Elle cria, mais aucun son ne sortit. Seulement un grognement. Un son… animal. Puis, ce fut terminé. Aussi soudainement que c’était venu. Shelby, recroquevillée, transpirante, le regard fauve, reprit lentement conscience. Elle se releva difficilement. Ses mains étaient redevenues humaines. Mais son cœur battait encore à un rythme sauvage. Et c’est là qu’elle entendit une voix familière derrière elle : — Tu l’as senti, pas vrai ? Ce feu, ce tiraillement entre deux mondes. Shelby se retourna brusquement. Brade. Appuyé contre un tronc, vêtu de noir, les bras croisés. Il souriait, mais ses yeux étaient graves. — Tu t’es transformée, même si ce n’est qu’un fragment. Tu es en train de franchir la première porte. Shelby le fixa, le souffle encore saccadé. — Je perds la tête, Brade. Je ne me reconnais plus. Il s’approcha lentement, prudemment, comme on approche un animal blessé. — Non. Tu te découvres. Et tu vas avoir besoin d’aide. De moi. — Pourquoi toi ? Pourquoi tu t’intéresses autant à moi ? Il haussa les épaules. — Parce que tu n’es pas comme les autres. Parce que tu es née avec une empreinte… spéciale. Et parce qu’un jour très proche, tout ça — tes pouvoirs, tes choix, ton sang — décidera du sort de plus d’âmes que tu ne peux l’imaginer. Shelby recula d’un pas. — Tu parles en énigmes. Brade s’arrêta. Son visage s’assombrit. — Et toi, tu n’as plus le temps pour les réponses faciles. La meute sait. Ils t’ont sentie. Et ils viendront. Un hurlement lointain s’éleva alors à travers les bois. Long. Grave. Terrifiant. Shelby sentit son sang se glacer. Brade s’approcha d’elle, la regarda droit dans les yeux. — C’était un avertissement. Pas pour toi. Pour moi. Ils savent que je t’ai trouvée. — Et maintenant ? — Maintenant, tu dois choisir. Te cacher. Ou apprendre à te battre. Le regard de Shelby changea. Elle inspira profondément. Une décision se formait en elle, instinctive, puissante, indomptable. Elle murmura : — Alors montre-moi comment.Chapitre 13 : Les deux familles au bord de la guerre totale La grande salle du bastion de Lord Omalé n’était plus qu’un champ de ruines. Les tables étaient renversées, les tapisseries lacérées, et l’odeur âcre du sang se mêlait à celle de la cire fondue. Kessandra, le souffle court, se tenait à quelques pas de Omalé, qui s’était retranché derrière une barricade improvisée de chaises et de corps de gardes tombés. Les Lames d’Ombre, bien que féroces, perdaient du terrain face aux renforts qui affluaient par les portes latérales. Mais ce n’était pas le chaos immédiat qui inquiétait Kessandra. C’était ce qui suivrait. Elle avait allumé une étincelle ce soir, et cette étincelle menaçait d’embraser toute la vallée de Marius. Les vassaux de Omalé, humiliés par les révélations de ses trahisons, se retournaient les uns contre les autres. Certains criaient à la conspiration, d’autres juraient de rejoindre les Kébara pour venger leurs propres griefs. La maison Omalé vacillait, mais celle des K
Chapitre 12 : Dréoss tente d’arrêter Kessandra Le chaos régnait dans la grande salle du bastion de Lord Omalé. Les chandelles vacillaient, projetant des ombres dansantes sur les murs de pierre tandis que les cris des vassaux et le fracas des épées emplissaient l’air. Kessandra, l’épée au clair, se tenait face à Omalé, dont le visage blême trahissait un mélange de peur et de rage. Les Lames d’Ombre, fidèles à leur contrat, semaient la discorde parmi les gardes, mais un homme se détacha de la mêlée, sa silhouette massive barrant le chemin de Kessandra. Il était imposant, ses cheveux grisonnants tressés en une queue serrée, son armure cabossée portant les marques d’innombrables batailles. Ses yeux, d’un brun profond, brillaient d’une intensité que Kessandra reconnut immédiatement. Elle l’avait vu autrefois, à la table de son frère, riant avec Elios autour d’un feu de camp. Dréoss, le fidèle capitaine de la garde Kébara, celui qui avait juré de protéger leur maison. Mais ce soir, il se
Chapitre 11 : La quête de vengeance de Kessandra La pluie tombait en rideaux argentés sur la vallée de Marius, trempant les cheveux noirs de Kessandra jusqu’à les plaquer contre son visage. Elle se tenait immobile au sommet de la colline, son manteau élimé claquant dans le vent. Ses yeux, d’un gris d’orage, fixaient l’horizon où les tours crénelées du bastion de Lord Omalé perçaient la brume. C’était là, dans cette forteresse de pierre froide, que son frère, Elios, avait trouvé la mort. Une mort qu’elle refusait d’accepter comme un simple accident. Kessandra serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes. Elios, son aîné, son protecteur, celui qui lui avait appris à tenir une épée et à lire les étoiles, avait été trahi. Les rumeurs parlaient d’une chute lors d’une chasse, d’un cheval effrayé par un loup. Mais Kessandra savait. Elle avait vu le corps, les marques sur sa gorge, trop nettes pour être l’œuvre d’une bête. Quelqu’un l’avait assassiné, et tout pointait vers Omalé
Chapitre 10 : Dréoss, un loup-garou de la famille Omalé, est témoin de la tragédie La forêt, enveloppée d’un brouillard épais, semblait retenir son souffle, comme si elle savait que chaque instant rapprochait les Kébara et les Omalé d’un point de rupture irréversible. Les hurlements de guerre s’étaient tus, remplacés par un silence lourd, ponctué par les bruits des humains qui s’aventuraient toujours plus loin dans les bois, leurs torches vacillantes menaçant de révéler le secret des loups-garous. Au cœur de ce chaos, Dréoss, un loup-garou Omalé discret mais loyal, devint le témoin d’une tragédie qui allait marquer un tournant dans la lutte de Kessandra pour la paix. Ce chapitre explore son rôle, son regard sur le conflit, et la douleur qui le pousse à rejoindre la quête désespérée de réconciliation. Dréoss, un loup de vingt-cinq ans au pelage gris argenté et aux yeux d’un brun profond, était un éclaireur Omalé connu pour sa prudence et son instinct aiguisé. Contrairement à Aria, do
Chapitre 9 : La douleur et la colère de Kessandra La forêt, drapée dans l’obscurité d’une nuit sans lune, semblait absorber les échos des batailles récentes, comme si elle refusait de porter davantage de sang. Kessandra, brisée par la mort de son frère Kwame, se tenait au bord d’un précipice émotionnel, son cœur déchiré entre un chagrin insupportable et une colère bouillonnante. La guerre entre les Kébara et les Omalé, désormais amplifiée par la menace humaine grandissante, menaçait de consumer tout ce qu’elle chérissait. Ce chapitre plonge dans l’âme tourmentée de Kessandra, explorant sa douleur, sa rage, et la lutte intérieure qui pourrait soit la détruire, soit la pousser à devenir le “loup d’équilibre” de la prophétie. Kessandra s’était réfugiée dans une clairière isolée, loin des regards de la meute Omalé. Le talisman runique, qu’elle serrait convulsivement, semblait peser comme une pierre contre sa poitrine. Les images de Kwame, son frère, s’effondrant dans les grottes sacrées
Chapitre 8 : Kessandra perd son frère aimé, Kwame La forêt, encore fumante des cendres des batailles récentes, semblait retenir son souffle sous un ciel gris et lourd, comme si la Lune elle-même pleurait la destruction qui ravageait les Kébara et les Omalé. Kessandra, talisman runique en main, fuyait vers la grotte de Marius, portée par un mélange d’espoir désespéré et de chagrin. La guerre entre les meutes avait atteint un point de rupture, et la menace croissante des humains, alertés par les combats, ajoutait une urgence nouvelle. Mais un événement tragique allait frapper Kessandra au cœur, brisant son esprit déjà fragile : la perte de son frère bien-aimé, Kwame, le dernier lien avec son passé et sa force dans cette tempête. Kessandra courait à travers les sous-bois, ses pas silencieux malgré la panique qui l’étreignait. Le talisman, qu’elle serrait contre sa poitrine, semblait pulser d’une chaleur étrange, comme si la magie lunaire, encore vive après la lune rouge, la guidait ver