MasukLe ciel de Sunstown semblait s’être assombri depuis quelques jours, comme si la nature elle-même pressentait les changements à venir. La ville, pourtant animée d’ordinaire par les rires des enfants et les allées et venues des habitants, paraissait figée dans une attente invisible. Shelby, quant à elle, vivait chaque minute comme un entre-deux : entre ce qu’elle avait toujours cru être, et ce qu’elle soupçonnait devenir.
Le souvenir de son accident de voiture restait vif, presque trop net. Elle se revoyait au volant, la pluie sur le pare-brise, les phares dans la nuit, le choc. Et ce regard. Celui de Brade. Féroce. Fuyant. Humain et pourtant... autre. Depuis qu’elle l’avait recroisé à l’hôpital, quelque chose s’était réveillé en elle. Une sensation étrange, comme une vibration intérieure chaque fois qu’elle était près de lui. Comme si leurs âmes parlaient un langage ancien, oublié. Ce matin-là, Shelby s'était levée plus tôt que d’habitude. La veille, Brade lui avait glissé un mot dans le couloir de l’hôpital : "Retrouve-moi à l’orée de la forêt. À l’aube." Elle ne savait pas pourquoi elle y allait. Par curiosité ? Par peur ? Ou parce qu’elle n’avait personne d’autre pour lui dire quoi faire, quoi croire ? Peut-être un peu de tout. Le pull trop grand qu’elle portait n’atténuait en rien le froid qui s’infiltrait jusqu’à ses os. Mais elle continua à marcher, poussée par un besoin instinctif. Quand elle arriva à l’endroit indiqué, Brade était déjà là. Adossé à un vieux chêne, il observait les premières lueurs du soleil filtrer à travers le feuillage. Il ne porta pas immédiatement son attention sur elle, mais Shelby sentit qu’il avait perçu sa présence. — Tu es venue, dit-il doucement, comme s’il parlait à la forêt elle-même. — J’ai failli ne pas le faire, avoua-t-elle. Brade tourna alors la tête. Son regard s’ancrant dans le sien. Pas d’agressivité. Pas de pitié non plus. Juste une gravité tranquille, presque familière. — Tu veux des réponses, Shelby. Même si tu prétends le contraire. Elle s’approcha de lui, bras croisés sur sa poitrine. — J’en ai besoin. C’est différent. Brade hocha la tête, comme s’il comprenait exactement la nuance. Il se redressa et l’invita à le suivre à travers les arbres. Le sentier, étroit et sinueux, semblait les conduire dans un autre monde, loin du bruit, des obligations humaines, des murs et des mensonges. Ils débouchèrent bientôt sur une clairière ronde, parfaitement dessinée, au sol tapissé de mousse. Au centre, un cercle de pierres usées par le temps formait une sorte d’autel. — C’est ici que je viens quand j’ai besoin de me souvenir de qui je suis, déclara Brade. Shelby promena son regard autour d’elle. — Cet endroit… il me donne la chair de poule. — C’est normal. C’est un sanctuaire ancien. Il est chargé d’histoire. De mémoire. Seuls ceux qui portent le gène peuvent le ressentir. Toi, tu es entre deux mondes. C’est comme si ton corps le reconnaissait, mais que ton esprit luttait. Elle fronça les sourcils. — Le gène… Ce fameux gène. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas née en sachant tout ça ? Brade s’assit sur l’une des pierres et invita Shelby à faire de même. Elle hésita, puis céda. — Parce que chez certains, le gène est dormant, expliqua-t-il. Il attend un déclencheur. Un traumatisme. Une perte. Une douleur trop grande. Et alors, il s’éveille. Comme chez toi, après l’accident. Shelby fixa ses mains tremblantes. — Mes parents m’ont menti toute ma vie. — Ils t’ont protégée, corrigea Brade. Le mensonge n’est pas toujours malveillant. Mais il a un prix. Et aujourd’hui, tu dois en payer le coût. Elle le regarda, soudain animée d’une colère brûlante. — Et toi ? Tu sais tout. Tu viens d’une meute. Tu es à l’aise dans ce monde. Tu maîtrises ton pouvoir… Et moi, je suis là, à peine capable de comprendre ce qui m’arrive. Brade eut un léger sourire amer. — Tu crois que je suis à l’aise ? Tu penses que j’ai accepté tout ça comme on accepte un cadeau ? J’ai vu mon père se faire tuer sous mes yeux parce qu’il refusait de se plier aux règles d’une meute corrompue. J’ai fui pendant des années. J’ai souffert, j’ai tué… Parfois pour survivre. Parfois pour protéger. Il marqua une pause, le regard perdu dans la lumière du matin. — Et aujourd’hui encore, je me bats. Parce qu’il y a ceux qui veulent t’utiliser. Parce que ton nom, Shelby Elkson, résonne comme un tambour dans l’ombre. Certains disent que tu es l’Élue. L’Alpha cachée. Celle qui unira les meutes. D’autres veulent te voir morte avant que tu comprennes qui tu es vraiment. Shelby pâlit. — Tu inventes. Ce n’est pas possible. C’est… — Trop ? Oui, je sais. Mais ce n’est pas une fiction. Tu es le fruit d’un héritage ancien. Tes ancêtres faisaient partie du Cercle Lunaire, les garous les plus proches de la Lune Sanglante. Une lignée sacrée, presque oubliée. — Et mes parents ? Mon père… il savait ? — Il faisait partie du Cercle. Ta mère aussi. Ils ont choisi de se retirer pour te protéger. Mais la malédiction… elle ne peut pas être étouffée indéfiniment. Shelby sentit ses jambes se dérober sous elle. Elle s’adossa contre une pierre, essayant de garder sa respiration stable. Sa vision se brouillait, son cœur battait trop vite. Brade se leva et s’approcha lentement. Il posa une main sur son épaule. Un geste simple, mais empli de chaleur. — Tu n’es pas seule, Shelby. Pas tant que je suis là. Elle releva les yeux. Leurs regards se croisèrent. Et pendant un instant, le monde sembla s’arrêter. Il n’y avait plus que lui, ses yeux gris perle, sa voix grave, son odeur sauvage qui évoquait la forêt après la pluie. — Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu m’aides ? Tu ne me dois rien. Brade laissa échapper un rire sans joie. — Tu crois que je choisis ? Je suis lié à toi. Je l’ai su dès que tu m’as heurté cette nuit-là. Tu ne comprends pas encore ce que cela signifie, mais les anciens l’appellent la Reconnaissance. Quand deux âmes garoues se croisent, parfois… elles se reconnaissent. Shelby recula légèrement. — Tu parles comme si… on était faits pour se rencontrer ? — Peut-être. Peut-être pas. Je ne prétends pas lire l’avenir. Mais je sais que je dois être là. Pour t’aider. Pour t’empêcher de sombrer. Un silence s’installa. Un silence lourd, vibrant, peuplé de tout ce qu’ils ne disaient pas. Puis Shelby murmura : — Et si je n’y arrive pas ? Si je perds le contrôle ? Si je deviens un monstre ? Brade la regarda longuement, puis répondit d’une voix posée : — Alors je serai là pour te ramener. Toujours. Le vent se leva, soulevant les feuilles mortes autour d’eux. La lumière du soleil se fraya un chemin entre les arbres, dessinant des ombres mouvantes. Shelby ferma les yeux. Pour la première fois depuis des jours, elle ne se sentit pas complètement perdue. Elle n’avait pas toutes les réponses. Elle ne savait pas encore comment apprivoiser cette chose en elle. Mais elle avait Brade. Et c’était un début. Elle rouvrit les yeux. — Alors commence à m’apprendre. Je veux comprendre. Je veux savoir ce que je suis… et ce que je peux devenir. Brade hocha la tête avec gravité. — Bien. Alors écoute-moi attentivement, Shelby. Parce que le monde que tu t’apprêtes à découvrir n’a rien à voir avec ce que tu as connu. Et il est peuplé d’ombres. Certaines te craindront. D’autres tenteront de t’abattre. Mais au milieu de tout ça, il y aura toi. Ta force. Ta volonté. Il tendit la main. — Prête à entrer dans l’obscurité pour en maîtriser la lumière ? Elle saisit sa main sans hésiter. — Oui.Épilogue : L’éternité de la meute Quinze ans s’étaient écoulés depuis la naissance de Lira, et la vallée de Marius s’épanouissait sous un été radieux, ses champs dorés ondulant sous une brise douce. Esvan, jadis un village marqué par les cicatrices de la guerre, était devenu une cité florissante, un phare d’unité pour les loups-garous et les humains des terres voisines. La « meute », l’union des clans Kébara et Omalé, avait transformé la vallée en un symbole de paix et de prospérité. Le moulin, désormais flanqué de deux autres, grondait jour et nuit, alimentant des marchés régionaux. L’école, agrandie en une académie, formait des érudits, des artisans, et des stratèges, tandis que la stèle du mémorial, entourée d’un jardin luxuriant, restait un lieu sacré où la meute honorait son passé. Pour Kessandra et Dréoss, leur héritage vivait à travers Lira et la nouvelle génération, mais leur rôle restait de guider la meute vers un avenir éternel. Kessandra, désormais dans la force de l’âge,
Chapitre 40 : La paix et la prospérité pour les loups-garous Le printemps s’épanouissait pleinement dans la vallée de Marius, ses champs d’Esvan vibrant de couleurs sous un soleil éclatant. Un an et demi après la capture de Varkis, la « meute », l’union des clans Kébara et Omalé, loups-garous liés par un passé de guerre et un présent de paix, prospérait comme jamais. Le moulin tournait sans relâche, alimentant des marchés bien au-delà de la vallée. L’école près de la stèle du mémorial résonnait des voix d’enfants Kébara et Omalé, apprenant l’histoire de leur unité sous la pleine lune. Les ateliers mixtes produisaient des étoffes et des lames prisées dans les terres voisines, tandis que les festivals saisonniers attiraient des foules admiratives. Pour Kessandra et Dréoss, l’arrivée de leur nouveau-né marquait l’apogée de leur héritage, un symbole vivant de la paix et de la prospérité des loups-garous de Marius. Dans leur maison, Kessandra berçait doucement leur fille, Lira, née sous
Chapitre 39 : L’héritage de Kessandra et Dréoss L’hiver relâchait son emprise sur la vallée de Marius, laissant place à un printemps timide où les premières pousses perçaient la neige fondante d’Esvan. Un an et trois mois après la capture de Varkis, la « meute », l’union des Kébara et des Omalé, s’était forgée en une communauté robuste, un modèle d’unité pour les terres voisines. Le moulin, cœur économique de la vallée, alimentait des marchés bien au-delà des frontières de Marius. L’école près de la stèle du mémorial résonnait des rires et des leçons des enfants, tandis que les ateliers mixtes et les festivals saisonniers avaient transformé les anciennes rivalités en une camaraderie florissante. Pour Kessandra et Dréoss, l’arrivée imminente de leur enfant marquait le début d’un nouvel héritage, un pont entre leur passé et l’avenir de la meute. Kessandra, assise dans leur maison, berçait doucement son ventre arrondi, à sept mois de grossesse. L’amulette de Elios, toujours à son cou,
Chapitre 38 : La nouvelle génération L’hiver s’était doucement installé dans la vallée de Marius, parant Esvan d’un voile de neige légère qui scintillait sous un ciel gris perle. Un an après la capture de Varkis, la « meute », l’union des Kébara et des Omalé, s’était enracinée dans une paix durable. Le moulin tournait sans relâche, ses pales bravant le froid pour fournir de la farine aux villages voisins. Le marché prospérait, attirant des caravanes des terres de l’Est et du Nord, tandis que l’école près de la stèle du mémorial résonnait des voix d’enfants apprenant à lire, à compter et à tisser des récits d’unité. Les ateliers mixtes et les festivals saisonniers avaient forgé une communauté où Kébara et Omalé partageaient rires et labeurs. Mais pour Kessandra et Dréoss, l’avenir prenait une nouvelle forme : la promesse d’une nouvelle génération, incarnée par leur enfant à naître et par les jeunes de la vallée qui portaient l’espoir de la meute. Kessandra, assise près du feu dans le
Chapitre 37 : Les deux familles sont réunies pour toujours L’automne enveloppait la vallée de Marius d’un manteau de feuilles dorées et rouges, transformant Esvan en un tableau vibrant sous un ciel d’azur. Dix mois après la capture de Varkis, la « meute », l’union des Kébara et des Omalé, s’était solidifiée en une communauté prospère. Le moulin tournait sans relâche, alimentant des villages au-delà de la vallée ; le marché, renforcé par le succès du festival estival, attirait des caravanes des terres de l’Est et du Nord ; et l’école nouvellement ouverte, près de la stèle du mémorial, résonnait des voix d’enfants Kébara et Omalé apprenant ensemble. Les ateliers mixtes et les veillées communautaires avaient tissé des liens durables, mais pour Kessandra et Dréoss, l’avenir prenait une tournure à la fois personnelle et collective : un moment décisif pour unir les deux familles, non seulement dans la vallée, mais dans leur propre foyer. Kessandra, debout dans leur maison, ajustait une ét
Chapitre 36 : Kessandra et Dréoss regardent vers l’avenir L’été touchait à sa fin dans la vallée de Marius, les champs d’Esvan dorés par le soleil et les premières feuilles d’automne. Neuf mois après la capture de Varkis, la « meute », l’union des Kébara et des Omalé, s’était affermie. Le moulin tournait sans relâche, le marché prospérait grâce à la foire régionale, et les ateliers mixtes, où Kébara et Omalé partageaient leurs savoirs, étaient devenus un symbole d’unité. La stèle du mémorial, entourée d’arbres aux fleurs fanées mais robustes, attirait toujours des familles venues honorer leurs morts. La paix, maintenue malgré les tensions et les complots, semblait enfin prendre racine. Pour Kessandra et Dréoss, le moment était venu de regarder au-delà des défis immédiats, vers un avenir qu’ils pourraient façonner ensemble, pour eux-mêmes et pour la vallée. Kessandra, assise dans leur jardin, cueillait des herbes mûres, l’amulette de Elios scintillant à son cou. Le parfum de la lavan







