Des murmures persistants flottaient depuis l’aube, portés par des voix qui s’écrasaient contre les murs avant de mourir dans les angles. Personne ne parlait à voix haute, mais les regards disaient tout. Quelque chose grondait sous la surface, et chaque battement de cœur semblait plus tendu que le précédent.Kaël avait réuni les siens dans la salle des décisions, un espace voûté qui résonnait du poids des générations passées. Je restais à l’écart, le dos appuyé contre la pierre froide, observant les échanges sans intervenir. Les mots se heurtaient, s’entrechoquaient, construisaient un mur d’angoisse.- Ils ne viennent pas par hasard, dit un ancien, les mains croisées. Ils flairent une faille.- Ce n’est pas une faille, grogna Kaël. C’est une provocation.Il me jeta un regard, fugace. Juste assez pour m’embraser le ventre. Je lisais dans ses yeux la colère sourde, et une peur plus insidieuse : celle d’être impuissant face à ce qui se dessinait dans l’ombre.Une meute. Une autre. Connue
Il faisait mine de lire un vieux livre étalé devant lui, mais ses doigts trahissaient le tumulte intérieur qu’il tentait de contenir. Une plume à la main, le regard en suspens, Kaël fixait le vide, les traits tendus. Je l’observais depuis un moment sans oser interrompre ce silence étrange, presque sacré.Puis il traça un premier trait.Je crus d’abord qu’il griffonnait pour s’occuper les mains, mais à mesure que la plume glissait sur le papier, une forme apparut, esquissée avec une douceur que je ne lui connaissais pas. C’était mon profil. Mon regard, posé ailleurs, mon cou légèrement tourné, mes cheveux détachés, vivants sous sa main.Il me dessinait.Sans bruit, je m’approchai, les bras croisés contre ma poitrine. Il ne leva pas les yeux. Son trait s’affinait, précis, habité. Chaque ombre, chaque courbe semblait être le reflet d’une émotion qu’il n’arrivait pas à nommer. Un battement de cœur jeté sur le papier.- Tu m’espionnes ? souffla-t-il, sans s’arrêter.- J’écoute le silence q
Je me tenais face à lui, pieds ancrés dans le sol battu, les poings légèrement tremblants. Non pas de peur, mais de concentration pure. L’Alpha qui me faisait face n’était ni arrogant ni condescendant. Il avait cette retenue propre aux vrais guerriers, et ses yeux d’ambre semblaient sonder au-delà de ma posture, jusque dans ma volonté.- Tu es prête ? demanda-t-il simplement.Je hochai la tête. Le signal fut donné, et tout bascula dans un tourbillon de réflexes, d’élans maîtrisés, de feintes et de fulgurances. Je ne pensais plus. Mon corps réagissait, mes muscles guidaient l’instinct, ma louve respirait sous ma peau. Le combat dura plus longtemps que ce que je pensais. Il ne m’épargna rien. Et moi non plus.Quand nos bras s’empoignèrent pour une dernière projection, nous tombâmes ensemble, dos contre le sol, l’un contre l’autre, haletants, à bout de force.Un silence glissa sur la clairière.Puis il se redressa le premier, tendit une main vers moi, et ses lèvres esquissèrent un demi-so
Il parlait trop près de moi. Son souffle chargé de vanité caressait ma joue comme une caresse indésirable. Ses mots, gonflés d’assurance, ricochaient contre ma peau sans y pénétrer. Pourtant, chaque syllabe semblait frôler une corde sensible.- Tu as une puissance rare, murmura-t-il, le regard brûlant d’ambition. Tu mérites une place digne de ton sang. Et de ce que tu es devenue.J’aurais pu reculer. J’aurais dû. Au lieu de ça, je suis restée droite, les épaules fermes, le regard planté dans le sien.Il n’était pas dangereux. Il était... décevant.Son doigt glissa sur le dos de ma main, lentement, comme s’il m’invitait à choisir un avenir que je n’avais jamais désiré.- Imagine, toi et moi, unis. Nos lignées mêlées... ce que nous pourrions construire.Le silence tomba d’un coup, tranchant. Derrière moi, un mouvement. Une odeur familière, chargée d’orage.Kael.Avant même qu’il ne parle, je sentis son énergie électriser l’air.- Assez.Sa voix claqua comme un ordre ancien, chargé d’une
Je n’avais pas anticipé ce que provoquerait ma transformation. Ce n’était pas seulement mon corps qui avait changé, mais tout ce que je représentais désormais aux yeux du monde. Ce regard différent, je le lisais dans chaque posture figée, chaque phrase prononcée trop doucement, chaque main qui s’attardait sur la poignée d’une porte quand je passais.Depuis quelques jours, les visages inconnus s’étaient multipliés autour du domaine. Des envoyés, des alphas d’autres meutes, des ombres à peine dissimulées derrière des sourires diplomatiques. Tous venaient avec des présents, des mots choisis, des regards calculés. Tous me fixaient comme s’ils devinaient sous ma peau une richesse ancienne qu’ils pourraient s’approprier.Certains osaient me parler, vantant les mérites de leur lignée, glissant des allusions à une alliance de sang. Un d’eux, plus hardi que les autres, proposa même une union rituelle, promettant la paix et la prospérité en échange de ma loyauté. Je ne savais pas ce qui me heur
Je sentais son regard sur moi depuis l’instant où nous avions franchi la lisière du territoire. Pas celui de Kaël - lui, je l’aurais reconnu entre mille, même les yeux bandés. C’était un autre regard, appuyé, tranchant, presque agressif, comme une lame effleurant la peau pour tester la profondeur avant de frapper.Les chefs des meutes réunis ici ce soir étaient censés chercher des alliances, des traités, une stabilité nouvelle. Pourtant, dans chaque geste, chaque sourire, je percevais autre chose. Une avidité contenue. Comme si j’étais un trophée, un totem qu’on voulait s’approprier sans le dire.Kaël marchait à mes côtés, son bras frôlant le mien par intermittence, comme pour me rappeler que j’étais là, avec lui et qu’il n’y aurait aucun échange de pouvoir sans son accord. Il gardait le silence, tendu. Sa mâchoire serrée et ses iris fendus d’une lumière plus vive que d’ordinaire parlaient pour lui.Un frémissement dans l’air me tira de mes pensées. Il était là. L’inconnu au regard in