Je n’arrivais plus à respirer. Depuis le départ de Kaël, une tension insidieuse me rongeait de l’intérieur, comme un poison lent, distillé dans chaque battement de cœur. Je l’avais promis. Je devais rester. Attendre. Faire confiance.Mais chaque heure d’attente me creusait un peu plus.Et quand les premières bribes de cris m’étaient parvenues - étouffées, distantes, portées par le vent - ma promesse avait perdu toute valeur.Je m’étais glissée dans la pièce où l’on gardait les anciens vêtements rituels. J’avais fermé les yeux. Mon corps s’était tendu. Une seconde. Puis deux. Et je l’avais appelée, cette forme enfouie, cette louve en moi que j’avais trop longtemps tenue à l’écart.La transformation avait été violente. Les os avaient craqué, la peau s’était rétractée, mes sens s’étaient enflammés. Et quand j’avais rouvert les yeux, j’étais elle.Silencieuse. Agile. Prête.Sans un bruit, j’avais quitté le domaine, m’enfonçant dans la forêt comme une ombre.***Le sol sous mes pattes vibr
Le hurlement fusa au petit matin. Il ne ressemblait pas à ceux qu’on échange pour marquer un territoire ou saluer la meute. Celui-là portait la douleur, une blessure ouverte jetée au ciel. Mon cœur s’est soulevé avant même que mes pieds touchent le sol. J’étais déjà debout, pieds nus, en train d’attraper mes vêtements avant même de comprendre ce que je faisais.Kaël n’était plus dans le lit.Son odeur restait accrochée aux draps. Fumée, chaleur, cette empreinte de lui qui me calmait d’ordinaire... mais pas cette fois.Quand j’ai déboulé dans la cour, la panique flottait comme une onde invisible. Les sentinelles couraient. Des ordres claquaient. Les ombres des guerriers s’agitaient, tendues, alertes. Kaël, déjà en arme, distribuait des consignes, le regard noir.- Qu’est-ce qui s’est passé ? soufflai-je en m’approchant.Il m’a vue. Son expression s’est durcie davantage.- Un avant-poste a été attaqué, à la frontière Est. Trois morts. Deux portés disparus.J’ai blêmi.- Par qui ?- On n
Quand l’air de la grotte m’a frôlé à nouveau, tout mon corps s’est mis à trembler. Pas de froid. Pas de peur. Une secousse profonde, qui ne venait ni des muscles ni de la peau. Un séisme intérieur. Comme si les parois de mon être, trop longtemps figées, s’étaient enfin effondrées.Je n’ai pas tenu debout.Kaël m’a rattrapée avant même que mes genoux ne touchent la pierre. Il m’a enveloppée dans ses bras, son torse solide contre ma poitrine tremblante. Sa chaleur m’a heurtée de plein fouet. Elle a brisé le dernier barrage. Et les larmes ont jailli.Je n’ai pas cherché à les retenir.Il m’a bercée sans un mot, sa paume glissant lentement sur ma nuque, l’autre contre mon dos, m’ancrant dans le réel. Les sanglots secouaient mes épaules sans répit. Ils montaient, dévalaient, sans logique, sans ordre. C’était ancien. Brutal. Vivant.Je n’avais jamais pleuré comme ça.Ni dans le cachot. Ni après les coups. Ni même en découvrant la marque.C’était un deuil sans cercueil. Le deuil de celle que
On m’avait bandé les yeux. Pas pour m’aveugler, mais pour m’arracher à ce qui m’était familier. Pour que je cesse de m’accrocher aux contours nets du réel, et que je bascule, sans ancrage, dans ce lieu ancien où la mémoire devient piège.Deux anciens m’avaient escortée jusqu’à l’entrée. Je sentais leur présence comme deux ombres respirant à l’unisson. Pas un mot. Pas un geste superflu. Juste cette tension dans l’air, ancienne et rugueuse. Et cette odeur. De pierre froide, de cendres oubliées, de peau brûlée.L’un d’eux a murmuré :- Résilience.Et ils m’ont laissée là.Le premier pas fut comme un effondrement. Intérieur. Ma conscience a vacillé. Le sol semblait me glisser sous les pieds. La lumière a disparu sans avertir. La chaleur, aussi. J’ai tendu une main, mais elle ne rencontra rien. Ni paroi, ni souffle, ni matière. Rien que du vide.Puis un choc.Et le carrelage sous mes genoux.Je connaissais cet endroit.Le couloir de mon enfance. Murs poisseux. Papier peint jauni. Odeur de
- Tu as jusqu’à l’aube.La voix était tombée comme une lame dans l’air froid. Pas d’explication. Pas de carte. Rien d’autre qu’un regard fermé et ce constat glacial : elle était seule.Je n’ai rien répondu. On m’avait déposée à la lisière d’une forêt étrangère, étranglée par la brume. La lune haute filtrait à peine à travers les branches noueuses. Tout semblait hostile, tremblant d’un silence qu’on n’ose pas briser. Et quelque part, un louveteau était en danger.Pas d’indice. Pas de cri. Juste cette certitude donnée par le Conseil : il avait disparu.J’ai fermé les yeux.Ralentis. Écoute.Ma respiration s’est calée contre mon cœur. Mes mains se sont ouvertes à l’air.Le bois avait une odeur d’écorce, d’humidité, de terre retournée. Au-delà, un autre parfum. Furtif. Léger. Je l’ai saisi. Quelque chose d’organique, d’innocent. Le souffle d’un petit corps encore pur.Mes pieds se sont mis en marche sans que je le décide. J’ai pénétré sous les arbres, le bandeau au poignet, le sang battan
Ils m’avaient donné un simple bandeau noir à nouer au poignet. C’était la seule chose que je porterais comme marque d’identité. Aucun bijou, aucune arme. La transformation formellement interdite. Aucun lien ne devait m’aider. Aucun pouvoir. Seulement ce que mon corps savait. Et ce qu’il découvrirait sous la pression.Le terrain d’entraînement du Conseil s’étalait comme une arène. Sol sec, terre battue, cerclé de pierres anciennes où les symboles des clans étaient gravés à même la roche. Des loups de plusieurs meutes s’étaient rassemblés autour, installés sur les gradins naturels qui surplombaient le cercle. Le ciel était lourd. L’air chargé d’attente.Je suis entrée seule.Kaël était là, parmi les spectateurs. Droit. Immuable. Mais je sentais son cœur cogner sous ses côtes, jusque dans mes paumes.Mon adversaire m’attendait déjà.Ezek. Je l’avais aperçu une seule fois, lors d’une réunion diplomatique. Il était grand, plus massif que Kaël, avec des épaules taillées pour porter l’arroga