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La Reine de Cendres
La Reine de Cendres
Author: Rox

Chapitre 1 — Née dans la fuite

Author: Rox
last update Last Updated: 2025-05-06 04:47:43

Raconté par Selene

Je suis née dans le silence d’une forêt d’hiver, sous une lune tranchante et froide, là où les racines murmurent et où la terre garde les secrets. Mon premier souffle a été pris à la hâte, dans la panique d’une fuite, dans les bras d’une femme qui savait déjà qu’elle n’aurait pas le droit de me garder.

Je n’ai jamais connu le confort d’un berceau, ni la chaleur d’un foyer. Seulement le givre, le craquement des branches, les hurlements au loin. Et le regard de ma mère, durci par la peur, mais brûlant d’un amour féroce.

Mon père était l’Alpha de la Meute des Ombres. Une meute ancienne, redoutée. Une force dans le Nord. Il gouvernait avec justice, mais sans concession. Un stratège, un meneur de guerre. Son nom suffisait à faire taire les plus bruyants. Mais il était seul. L’Alpha sans Luna. Et ça, pour le Conseil, c’était un problème.

Il cherchait. Pas une louve. La louve. Celle que la Déesse accorderait. Mais rien. Année après année, les rituels, les rencontres, les alliances échouées s’accumulaient. Jusqu’à ce jour où il l’a vue.

Ma mère.

Elle ne venait pas du monde des meutes. Elle appartenait à un sanctuaire. Une Gardienne. Une louve née pour servir la Déesse, pas pour se lier. Elles vivent entre elles, dans des clairières sacrées, coupées du monde des alphas et de leurs lois. Elles sont les mémoires des anciens, les protectrices des savoirs oubliés.

Mais ce jour-là, le lien s’est noué. Violent. Absolu.

Il ne s’est rien dit, au début. Juste un regard. Une pulsation. Comme si leurs âmes s’étaient reconnues avant même que leurs bêtes n’hurlent.

Un lien impossible. Un lien interdit.

Mais irréversible.

Je suis née d’un acte de rébellion.

Le Conseil n’a pas attendu. Le lien entre un Alpha et une Gardienne n’avait pas de précédent. Ce n’était pas seulement choquant : c’était dangereux. Ça remettait en cause les fondations mêmes de leur pouvoir. Les équilibres politiques, les alliances, la hiérarchie lunaire… tout pouvait basculer si d’autres Alphas se mettaient à choisir leurs compagnes au nom du lien au lieu du sang.

Ils ont exigé que mon père rompe le lien. Qu’il renvoie ma mère au sanctuaire. Qu’il efface ce qu’il avait ressenti.

Mais il a refusé.

Et elle aussi.

Alors ils ont fui.

Ils ont abandonné les terres de la Meute des Ombres, confiées temporairement à un Bêta loyal, en pensant pouvoir se cacher. Ils croyaient pouvoir me protéger. Croyaient pouvoir échapper à l’œil du Conseil. Mais ils sous-estimaient sa patience.

Et sa cruauté.

À mes neuf ans, il nous a retrouvés.

Je n’oublierai jamais cette nuit-là.

Le feu ne brûlait pas encore.

Il faisait froid. La neige tombait par rideaux lents. Nous venions à peine de nous poser, ma mère et moi. Un autre refuge. Le troisième ce mois-là. Elle m’avait serrée contre elle, ses bras minces mais solides, et j’avais fermé les yeux en croyant, naïvement, que le danger était derrière nous.

Mon père est arrivé à la tombée de la nuit, couvert de boue et de sang séché. Il ne m’a pas parlé. Il a juste posé une main sur ma tête, puis il s’est tourné vers ma mère. Leurs regards ont suffi.

Je les ai entendus parler. Pas fort. Juste assez pour capter les mots traqueurs, trahison, proche. Mon cœur a bondi dans ma poitrine. Je n’étais qu’une enfant, mais je savais reconnaître la peur dans la voix d’un Alpha.

C’est cette nuit-là qu’ils sont venus.

Pas un bruit. Pas un cri.

Des ombres dans la forêt. Des battements de cœur étrangers. Une odeur. Celle de la magie noire, mêlée à du fer et de la haine.

Et une lame. Tranchant la nuit comme un cri.

Mon père est sorti pour les affronter. Seul. Il a rugi, sa voix ébranlant les arbres. Mais ce n’était pas une bataille. C’était une exécution.

Ils l’ont encerclé. Et dans la pénombre, un visage. Un ancien frère de meute. Un traître. C’est lui qui a porté le coup fatal.

Je n’ai pas vu ses yeux. Seulement la lueur brève du métal. Et le sang. Celui de mon père, éclaboussant la neige.

J’ai senti un vide se creuser en moi. Quelque chose qui se brisait. Comme si un lien invisible avait été arraché. Je n’avais jamais su que j’avais ce lien. Mais à ce moment-là, je l’ai senti mourir.

Ma mère a hurlé. Pas un cri humain. Un hurlement venu des tripes, de l’âme. Un son que je n’ai plus jamais oublié.

Elle m’a prise dans ses bras. A couru. Sans se retourner.

Des jours durant, nous avons fui.

Elle ne disait rien. Mais je sentais sa peur. Elle vibrait dans son dos. Une tension constante. Comme si le monde entier pouvait basculer d’un instant à l’autre.

Puis, un matin, elle s’est arrêtée.

Nous étions dans les montagnes. Le vent soufflait fort, emportant nos mots. Elle m’a regardée. Longtemps.

— Si un jour tu es seule, écoute ton cœur. Et la voix qui sommeille en toi.

Elle m’a cachée sous une dalle de roche, enfouie dans la neige. J’étais gelée, tremblante. Elle m’a embrassée sur le front. Puis elle est repartie.

Seule.

Je ne l’ai jamais revue.

C’est ce jour-là que j’ai commencé à survivre.

Je me suis relevée. Lentement. Les larmes gelées sur mes joues.

Et j’ai marché.

Les jours ont défilé. Les saisons. J’ai appris à me battre. À chasser. À tuer. Seule. J’ai grandi dans l’ombre des bois, traquée parfois, invisible souvent.

Et un jour, elle est arrivée.

Ma louve.

Elle n’a pas frappé comme une lumière.

Elle a glissé dans mes os. Elle a vibré dans ma peau. Elle était là depuis toujours. Mais ce jour-là, elle a parlé.

Pas avec des mots.

Avec un feu.

Avec un rugissement.

C’est à quatorze ans que j’ai changé pour la première fois.

La douleur a été atroce. Mon corps s’est brisé, mes os broyés, ma peau déchirée. Mais au milieu de la souffrance, il y avait une clarté. Une vérité.

Je n’étais pas humaine.

Je n’étais pas que louve.

J’étais Selene. Fille du Nord. Fille du sang. Fille du feu.

Et j’étais prête à reprendre ce qu’on m’avait volé.

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