Raconté par Selene
Je n’avais que dix-huit ans quand j’ai posé le pied sur les terres de Ravaryn. Pas pour les conquérir. Pas encore. J’étais venue chercher des réponses. Une trace. Un souvenir. Je savais que ces terres avaient appartenu à mon père. Je le sentais. Quelque chose, dans le vent, dans la texture du sol, m’appelait. Je n’avais aucun droit. Aucun nom officiel. Rien qu’un instinct brûlant, un fragment d’héritage silencieux gravé dans ma chair. Et Nyra. Elle aussi ressentait ce lien, ce besoin profond de retrouver l’origine de ce que nous étions. Pendant des lunes, elle n’avait été qu’un murmure. Mais depuis la nuit de ma transformation, elle était là, toujours présente. Elle ne parlait pas avec des mots, mais je la sentais dans chaque silence, chaque choix. Une force vive, sauvage. Pendant quatre ans, j’ai erré. Entre montagnes et forêts, entre proie et prédateur. J’ai survécu dans l’ombre, affronté la faim, la solitude, la chasse. J’ai vu le monde depuis ses marges, et c’est là que j’ai appris à devenir plus qu’une louve : une force. Les terres de Ravaryn étaient mortes. Oubliées. On racontait que la meute avait été décimée il y a des années. Certains disaient que c’était une malédiction. D’autres, que le Conseil l’avait fait tomber volontairement, à cause d’un Alpha rebelle qui avait refusé de plier. Mon père. Ils avaient effacé son nom. Mais pas sa terre. Je me suis installée dans ce qui restait de l’ancien repaire : une bâtisse éventrée, rongée par la mousse et les ronces. C’est là que j’ai dormi. Que j’ai appris à chasser. À survivre seule. Nyra et moi, nous ne faisions qu’une. Durant deux ans, j’ai rebâti en silence. Une pierre à la fois. Une décision à la fois. J’ai fait reculer les prédateurs. J’ai marqué mon territoire. Et peu à peu, les solitaires ont commencé à apparaître. Des loups sans meute, sans foyer, errants. Ils venaient, me défiaient parfois, me jaugeaient toujours. Et moi, je tenais. Un combat après l’autre. Une nuit après l’autre. Je n’avais pas besoin d’être reconnue Alpha. Je le devenais. Kael est arrivé l’année de mes vingt ans. Il n’a rien dit, la première fois. Il m’a juste observée, croisé le fer avec moi sous la forme de nos loups. Il avait une blessure à la patte et une lueur de fatigue dans les yeux. Mais aussi de l’intelligence. Il m’a suivie, sans mot, pendant des jours. Et un matin, il a simplement déclaré : — Si tu veux que je sois ton Bêta, va falloir me nourrir. Je lui ai lancé un morceau de cerf, sans le regarder. Et il est resté. D’autres ont suivi. Des guerriers. Des traqueurs. Des mères avec leurs petits. J’ai refusé les faibles qui se contentaient de quémander. Mais j’ai offert une place à ceux qui avaient encore du feu dans les veines. Ils ont commencé à m’appeler “Alpha”. Pas par tradition. Par reconnaissance. J’avais vingt ans. Et ce jour-là, je ne l’ai pas refusé. Je suis devenue Alpha. J’ai instauré mes règles : loyauté, silence, force. Mais surtout : protection. Ravaryn n’était plus une terre maudite. C’était notre foyer. Et le Conseil n’a pas tardé à le remarquer. Ils ont envoyé des messagers. Des questions déguisées en félicitations. Des regards tranchants comme des lames. J’ai senti leur hésitation. Leur peur. Pas à cause de moi. Mais à cause de ce que je représente. Une louve. Sans nom reconnu. Et pourtant, une Alpha. Je sais qu’ils cherchent encore. Ils fouillent mon passé. Ils essaient de comprendre d’où je viens. Ils veulent savoir pourquoi une descendante effacée du sang a réussi là où tant d’autres ont échoué. Mais ils ne trouveront rien. Parce que moi-même, je ne connais pas toutes les réponses. Je n’ai jamais retrouvé ma mère. Je ne sais pas si elle est morte, si elle a fui plus loin, si elle m’observe depuis l’ombre. Parfois, je crois sentir sa présence dans le vent. Parfois, je rêve d’elle. D’un éclat de rire. D’un regard tendre. Et parfois, ce rêve se transforme en cri. Mais Nyra veille. Elle chasse mes cauchemars comme elle chasserait un intrus. Elle est l’âme de ma force. Ma colère quand je vacille. Mon instinct quand je doute. Et moi, je suis sa voix. Aujourd’hui, Ravaryn est debout. Ma meute aussi. Kael veille à mes côtés, fidèle et farouche. Ina, notre traqueuse et soignante, a dressé une armée silencieuse de louves aux crocs acérés. Miro et Lenn, les plus jeunes, me rappellent ce que j’ai dû sacrifier pour en arriver là. Je ne me suis pas forgée dans la paix. Je suis née dans la fuite. J’ai grandi dans la guerre. Et maintenant, je règne. Mais je sais que ce n’est que le début. Quelque chose bouge dans l’ombre. Nyra l’a senti cette nuit. Un frisson. Une alerte. Une odeur ancienne. Et moi, je n’ai pas peur. Je suis Selene Tiaran. Vingt-cinq ans. Alpha de Ravaryn depuis cinq ans. Et s’ils viennent pour moi… ils feront bien de venir armés.Raconté par Kael Je l’ai su dès qu’ils ont quitté la pièce. Le silence était différent. Pas celui d’un secret gardé. Celui d’une frontière franchie. Sélène ne disait rien, mais son aura vibrait. Plus dense, plus tendue, presque fiévreuse. Et Elias… il avait cette façon de fixer l’horizon sans vraiment le regarder. Comme un loup qui vient de sentir le goût du sang et qui ne sait plus s’il doit reculer ou chasser. Je n’ai rien dit. Parce que ce n’était pas à moi de nommer ce qui s’était passé derrière cette porte. Mais je savais. Et je savais aussi que ça allait tout changer. — La meute l’avait senti. Pas les détails, non. Mais l’électricité dans l’air. L’odeur de tension sur sa peau. Le regard de Sélène, plus tranchant que jamais. Et ce vide qu’Elias laissait derrière lui en quittant Ravaryn au petit matin. Un vide qui n’avait pas encore de nom. Mais qui pesait déjà. — Il est parti ? demanda Ina en me rejoignant près des entrepôts. Je hochai la tête. — Sa meu
Raconté par Sélène Je savais qu’il allait partir. Avant même qu’il n’entre, je l’avais senti. Son odeur avait traversé les murs. Bois brûlé, feu ancien… et cette chaleur vanillée qui me frappait toujours trop fort, trop vite. Une signature indélébile. Une présence qui bouleversait tout l’équilibre que je m’imposais. Je n’avais pas levé les yeux tout de suite. Mes doigts s’attardaient sur les cartes devant moi, mais mon esprit… lui, était ailleurs. Il était déjà tourné vers lui. L’air changea autour de moi. Son aura emplissait la pièce avant même qu’il ne franchisse la porte. Comme un souffle venu de plus loin que le seuil. Je levai enfin les yeux. Il était là. Droit. Présent. Mais… déjà ailleurs. Je lus la décision sur ses traits avant même qu’il ne parle. — Alors tu pars ? soufflai-je. Il acquiesça, grave. — Ma meute a été attaquée. Rien de grave, mais je dois y aller. Il ne chercha pas à minimiser. Il ne me rassura pas non plus. Et quelque part, j’en fus soulagée. Il me d
Raconté par Elias Je l’ai su avant même de bouger. Avant que son regard ne vacille. Avant que sa louve ne se tende. Cette silhouette… cette charge… Ce n’était pas une attaque. C’était une mise à l’épreuve. Pas d’elle. De moi. Zarek a grondé immédiatement. Pas comme une alerte. Comme une sommation. « Si tu ne bouges pas maintenant… tu vas la perdre. » Et j’ai su. Ce n’était pas un combat. C’était un choix. J’ai vu Sélène esquiver, se redresser. Elle frappait juste, net, avec cette précision animale que seuls ceux qui portent une meute dans le sang connaissent. Elle n’avait besoin de personne. Elle le dominait déjà. Mais je l’ai vue lever la main, celle qui allait trancher. Et là… mon souffle s’est bloqué. J’avais tenu l’équilibre. Assez longtemps. Trop longtemps peut-être. Entre leur regard et ma liberté. Zarek hurlait en moi. Ce n’était pas la peur. C’était la conscience. La conscience que si elle allait jusqu’au bout, ce ne serait pas elle qui tomberait.
Raconté par KaelJe l’ai su dès l’instant où la Lame a heurté le sol.Pas à cause du choc. Ni à cause du sang.Mais à cause d’Elias.Il avait reculé.Pas d’un pas. Pas physiquement.Mais quelque chose dans son regard s’était tendu, fendu.Une tension inhabituelle dans ses épaules.Une faille que peu auraient su détecter.Mais moi, je regarde autrement.Je ne le connais pas. Pas vraiment. Elias n’est pas de ceux qui se laissent lire. Il garde ses frontières dressées comme des murailles.Mais à ce moment précis, j’ai compris.Il avait franchi une ligne.Et ce genre de ligne… ne se retrace pas une fois qu’on l’a dépassée.—Je suis resté en retrait après l’impact.Autour, la meute s’agitait. Mais personne n’attaquait. Personne ne criait. Pas encore.Le calme n’était pas de la paix.C’était celui qui précède une sentence.La silhouette au sol avait été relevée, entravée.Et Elias avait parlé :— Enfermez-le. S’il est venu rapporter, il repartira à pied. Mais pas ce soir.J’avais hoché la
Raconté par Selene Le vent avait changé. Pas un courant d’air banal. Une tension. Comme une ligne tendue dans l’air. La terre sous mes pieds ne vibrait plus : elle retenait son souffle. Et moi avec. La fissure au centre de la cour brillait d’un rouge terne, vivant. Une braise sans feu. Elias était resté, à quelques pas. Présent. Mais distant. Le calme entre nous n’était pas apaisant. Il était chargé. Électrique. Trop de non-dits. Trop de gestes retenus. Je le fixai. — Tu ne dis rien, soufflai-je. — Je n’ai pas encore les mots justes, répondit-il. Je haussai un sourcil. — Tu en as souvent trop. Ce serait presque reposant. Un léger sourire effleura ses lèvres, mais il n’alla pas plus loin. — C’est facile ici. Avec toi. Trop facile. Et c’est ça qui m’effraie. Je penchai légèrement la tête. — Moi, ce qui m’effraie, c’est qu’un roi tremble plus devant moi que devant un champ de guerre. Il s’approcha. Lentement. Son ombre glissa sur la mienne. — Ce n’est pas toi, Sélène, qu
Raconté par EliasLe sanctuaire respirait.Pas comme un lieu oublié, mais comme un cœur enfoui qui venait de battre à nouveau. Chaque symbole gravé vibrait sous mes pas. Spirales. Griffes. Lignes entremêlées. Ce n’était pas décoratif. C’était vivant.Je descendais comme on revient à un endroit qu’on n’a jamais connu, mais que le sang reconnaît. Zarek ne grondait pas. Il ne s’agitait pas. Il avançait, attentif, comme s’il retrouvait une mémoire qu’il avait dû taire.Et puis elle.Sélène.Debout, face à l’autel fendu. Silencieuse. Ancrée. Ce sanctuaire ne lui appartenait pas : il existait à travers elle.— Tu es venue, dit-elle.Je n’ai pas répondu tout de suite. Je n’étais pas certain de pouvoir encore mentir.— Je n’avais pas le choix.C’était vrai. Ce lieu m’avait appelé. Ce lieu… ou ce qu’il contenait encore.Elle s’approcha. La lumière vacillante projetait son ombre sur les murs. Longue. Ancienne.— Tu le sens ? demanda-t-elle.Je hochai lentement la tête.— Pas avec ma tête. Mais
Raconté par le conseil La salle était silencieuse. Trop. Onze silhouettes drapées de noir siégeaient en cercle, dans l’ombre. Le douzième siège, celui du Fondateur, restait vide comme à chaque réunion — mais ce soir, son absence paraissait plus lourde que jamais. Un vent froid s’infiltrait dans les fissures de la pierre. Les torches vacillaient, projetant des ombres mouvantes sur les murs circulaires. Personne ne parlait. Pas encore. Puis, la Première Veilleuse leva la main. — Le rapport est confirmé, dit-elle. Ravaryn a réagi. Un murmure à peine contenu courut autour de la table. — Le sanctuaire s’est rouvert, précisa-t-elle. Et il y a eu réponse de la terre elle-même. — Nous avions enterré ce lieu, grogna un Ancien. Il n’aurait jamais dû ressurgir. — Nous avons masqué une histoire, dit un autre, plus jeune. Pas un souvenir. La terre n’oublie pas ce qu’on tente de cacher. La Première Veilleuse resta impassible. — La louve de Ravaryn s’est tenue au centre de l’éveil. Ento
Raconté par SélèneLa fissure n’a pas disparu.Même après le départ de la meute. Même après que les chants se soient tus et que le calme soit revenu sur Ravaryn.Elle reste là, comme une blessure ouverte dans la pierre. Une respiration. Une mémoire.Je n’ai pas bougé.Assise au bord de l’ouverture, les jambes croisées, la paume à quelques centimètres du vide, j’écoute. Pas avec mes oreilles. Avec mon sang.Nyra ne dort pas.Elle veille. Tournée vers l’intérieur. Vers ce qui remonte. Pas un danger. Un souvenir. Une vérité qui attendait.Quand Kael s’approche, il ne dit rien.Il s’accroupit à mes côtés, les yeux rivés sur la fissure.— Elle a grandi, murmuré-je.Il hoche la tête, grave.— Tu sens ?— Oui.Il déglutit, lentement.— Il faut descendre.Je le regarde. Son regard est calme, mais ferme.— Pas seule, dis-je.Il se lève. Et s’en va sans insister.Quelques instants plus tard, il revient. Avec Ina. Deux autres membres sûrs les suivent. Silencieux. Lucides.Je me redresse.Et Rava
Raconté par EliasJe me suis redressé d’un bond.Pas un rêve. Pas un bruit.Juste… une onde.Comme si la terre elle-même avait changé de fréquence.Je me tenais debout dans l’obscurité de mon bureau, les poings crispés, la respiration saccadée. Zarek s’était levé d’un coup, sans que je l’appelle. Il tournait déjà en moi, griffes sorties, museau levé vers quelque chose que je ne voyais pas.Ce n’était pas de la peur.C’était autre chose.Une réponse.Un écho.Je posai une main sur la vitre. Le verre était glacé. Dehors, la nuit était figée, mais je le sentais — sous mes pieds, dans les fondations de cette maison, quelque chose vibrait. Pas ici. Ailleurs.Ravaryn.Le nom me vint sans prévenir, comme un souffle qu’on ne chasse pas. Zarek grogna. Il voulait courir, il voulait la retrouver. Pas par manque. Pas par besoin. Par instinct.Une odeur me revint. Chaleur, cendre, pluie ancienne. Sa peau contre la mienne. Sa bouche. Ses yeux. La morsure de son refus et la brûlure de son désir.Sél