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Chapitre 4 – Le Roi dans la Brume

Author: Rox
last update Last Updated: 2025-05-06 05:27:52

Raconté par Selene

Le silence à l’intérieur du véhicule était plus lourd que les nuages qui couvraient la forêt du sud. Kael conduisait, les yeux fixés sur la route sinueuse qui s’enfonçait dans l’épaisseur des bois. Assise à côté de lui, je sentais mes nerfs vibrer comme des cordes tendues. Nyra, tapie au fond de mon esprit, était agitée. Ce n’était pas de la peur. C’était autre chose. Un frisson d’alerte.

Kael fut le premier à rompre le silence.

— Tu penses qu’il s’agit vraiment d’un repaire oublié ? Une simple coïncidence ?

Je tournai légèrement la tête vers lui, sans quitter les bois du regard.

— Rien n’est jamais une coïncidence quand on parle du Conseil.

Il pinça les lèvres, fronça les sourcils, hésita, puis ajouta :

— Tu crois que c’est en lien avec lui ? Avec l’Alpha du Nord ? Elias.

Ce nom. Il flotta dans l’air comme une menace douce. Je le connaissais sans l’avoir jamais vu. On entendait parler de lui depuis des années. L’Alpha des Alphas. Un loup redouté, respecté, dont le nom circulait dans les murmures, jamais à haute voix. Un meneur silencieux, que même les Anciens traitaient avec prudence.

— Ils disent qu’il n’a jamais eu de Luna. Que sa louve l’a repoussée… ou qu’il l’a rejetée, répondit Kael. Difficile à croire qu’un lien pareil ait été brisé.

— Peut-être qu’il n’a jamais eu de lien du tout, murmurai-je, plus pour moi-même que pour lui.

Mais Nyra, elle, ne croyait pas à ce genre de contes. Et en moi, elle se tendait de plus en plus, comme si l’air devenait lourd de présages.

Nous arrêtâmes le véhicule à l’orée d’un vieux sentier. L’endroit n’était pas marqué sur les cartes. Un territoire en friche, trop oublié pour être innocent.

Kael m’adressa un regard bref.

— Prête ?

Je hochai la tête. Nous descendîmes, rejoignant le reste du groupe à pied. Je marchais devant. L’instinct me guidait. Et quelque chose… quelque chose appelait.

Je le sentis avant de le voir.

Le monde se calma. Le vent tomba. Le silence devint presque irréel.

Et puis, là, au cœur d’une clairière baignée de brume, une silhouette. Droite. Immuable.

Un homme.

Il était seul.

Je m’arrêtai net. Mon cœur bondit dans ma poitrine, comme frappé par une force invisible. Mes jambes se figèrent. Nyra hurla en moi.

Je le regardai.

Et dans ce regard gris d’acier, profond, glacé, perçant, je sus.

Je sus. Mais lui… il ne dit rien.

Pas un mot. Pas un geste qui aurait révélé ce que je ressentais. Lui se contentait de m’observer. De jauger.

Et c’est là que mon corps me trahit.

Ma gorge se serra. Ma peau se couvrit de frissons. Mon cœur s’emballa sans mon accord. Nyra, cette part animale et fière de moi, s’agitait, sauvage, incontrôlable. Comme si elle reconnaissait en cet homme… quelque chose de plus profond, de plus ancien que la mémoire.

Non.

Non.

Je refusai d’y croire. Je serrai les poings, les ongles enfoncés dans mes paumes.

Il ne bougeait pas. Son aura, immense, écrasante, emplissait l’espace. Il n’avait besoin de rien dire. Tout, dans son attitude, hurlait qu’il dominait déjà cette terre, ce moment, et même… moi.

Kael s’était figé à mes côtés. Je levai une main brève pour le retenir. Ce moment m’appartenait. Ce regard aussi.

L’homme s’avança de deux pas. Suffisamment pour que je sente sa chaleur dans l’air glacé. Il était grand, plus que je ne l’imaginais. Sa carrure respirait la puissance. Pas brute. Contrôlée. Raffinée.

— Selene Tiaran, dit-il enfin.

Sa voix. Grave. Posée. Elle résonna dans mon ventre comme une onde sismique. Je faillis fléchir, juste une seconde.

Mais je restai droite.

— Et toi, tu dois être Elias, soufflai-je, mon ton plus dur que je ne le voulais.

Il ne répondit rien. Pas une trace de reconnaissance. Pas un mot sur ce lien que je sentais, que je subissais.

Et pourtant… je savais qu’il le ressentait. Ses pupilles s’étaient contractées quand nos regards s’étaient croisés. Sa mâchoire s’était serrée. Son souffle, ralenti. Il savait.

Et il ne disait rien.

Ce silence… ce silence me faisait plus mal qu’un rejet.

— Pourquoi es-tu là ? demandai-je.

Il pencha légèrement la tête, comme pour étudier ma question.

— Le Conseil s’intéresse à toi. J’ai voulu voir pourquoi.

Un frisson parcourut ma colonne.

— Tu travailles pour eux, alors ?

— Je travaille avec eux. Quand ça m’arrange.

Un sourire froid sur ses lèvres. Aucun engagement. Aucun mensonge, non plus.

— Tu n’es pas ce que je m’attendais à trouver, Selene.

— Tu ne m’avais jamais vue, répondis-je sèchement.

— Et pourtant, j’ai l’impression de te connaître.

Cette phrase me coupa le souffle. Il l’avait dit sans y penser. Et aussitôt, son regard s’assombrit. Il le savait. Mais il refusait de l’admettre. Ou de le nommer.

Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il entendait chaque pulsation.

Je me détestai pour ça. Pour ce frisson sur ma nuque, pour cette chaleur dans mon ventre, cette tension entre mes cuisses. Je me détestai parce que mon corps, lui, avait déjà choisi.

Nyra s’était redressée. Fière. Attentive. Presque suppliante.

Mais moi… moi je résistais.

— Si tu es venu en messager du Conseil, tu perds ton temps.

— Je suis venu en observateur, rien de plus.

— Alors observe, lançai-je. Mais ne crois pas que tu peux lire en moi.

Il s’avança d’un pas. Trop proche.

Je sentis son souffle. L’odeur de sa peau. Fumée, bois… et cette maudite note de vanille.

Je détestais le fait que mon cœur battait plus vite encore.

Il ne me toucha pas.

Mais il n’avait pas besoin.

Il me regarda dans les yeux, longtemps. Et dans ce regard, je vis la même lutte que celle qui m’éventrait de l’intérieur.

Puis il se détourna.

— Ce n’est pas encore le bon moment, dit-il simplement.

Et il s’éloigna. Comme si rien ne venait de se passer.

Mais tout venait de changer.

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