Je pensais mourir en prison.
Les premiers jours, j’ai attendu. Une lettre. Une visite. Une explication. J’étais sûre que Dante viendrait. Qu’il comprendrait. Mais rien ne s’est passé. Le silence a été ma première punition.
On ne m’a jamais laissée tranquille. Certaines détenues disaient que j’avais essayé de tuer une innocente par jalousie. D’autres me méprisaient sans même savoir pourquoi. Il suffisait de mon nom. De mon visage. Les gardiennes ne valaient pas mieux. Quand elles ne fermaient pas les yeux sur les violences, elles y participaient.
Mon corps est devenu une carte de souvenirs que je n’ai jamais voulu collectionner. Des marques, des bleus, des cicatrices. L’une d’elles court sur mon front, fine mais visible, longue de trois centimètres. Je fais tout pour la cacher avec mes cheveux. Parfois, je me dis que c’est bien qu’elle soit là. Qu’elle me rappelle ce que j’ai survécu.
Les nuits étaient pires. Le sommeil était rare. Les souvenirs de Dante, eux, étaient constants. Je revoyais son regard. La haine dans ses yeux. Et moi, figée, impuissante.
Puis, un jour, tout a changé.
Cela faisait trois mois que j’étais enfermée. Je n’avais plus de forces, plus de voix. Je m’étais habituée à ne plus attendre. Pourtant, ce matin-là, une gardienne est venue. Elle m’a tendu une lettre, presque à contrecœur.
— Elena Moreau s’est réveillée, a-t-elle dit sans même me regarder.
J’ai cru que j’avais mal entendu.
— Quoi ? Qu’est-ce que vous venez de dire ?
— Elle est sortie du coma. Ton avocat dit que c’est grâce à un traitement spécial. Apparemment, Withemore a fait venir un médecin très réputé. Quelqu’un de l’étranger.
Dante…
Mon cœur s’est emballé. Il l’avait sauvée. C’était une bonne chose. Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi pas plus tôt ?
— Et… elle… Elena ? Elle a dit quelque chose sur moi ?
— Elle dit qu’elle te pardonne.
Je suis restée sans voix.
Mais il restait une question que je n’osais pas formuler. Je l’ai pourtant murmurée, comme un espoir fragile :
— Et Dante ?
La gardienne haussa les épaules.
— Lui ? Pas un mot pour toi.
J’ai encaissé cette réponse comme un coup de poing. Ce silence de sa part… c’était pire que la haine.
Trois ans se sont écoulés.
Trois longues années à survivre dans cet enfer. À me battre pour ne pas devenir folle. À apprendre à respirer dans l’obscurité.
Et ce matin, ils m’ont appelée. Ils m’ont dit que j’étais libre.
J’ai enfilé les vêtements que je portais le jour de mon arrestation. Une robe beige, trop grande pour moi désormais. Des chaussures élimées. On m’a rendu mes affaires dans un petit sac plastique. Dedans, il n’y avait presque rien. Une pièce de monnaie, un ticket de bus jauni, et mon silence.
Quand j’ai franchi les portes de la prison, j’ai cru que mes jambes allaient me lâcher. Le soleil m’a brûlé les yeux. Le ciel était d’un bleu éclatant. L’air était chaud. Presque doux.
Personne ne m’attendait.
Personne n’était venu.
J’ai inspiré, une fois, deux fois. Puis j’ai fait le premier pas.
J’étais libre. Mais plus rien ne serait jamais pareil.
Je ne savais même pas dans quelle direction aller. Je n’avais pas de téléphone, pas de carte, pas de destination. Alors j’ai marché.
Pendant des heures, j’ai avancé, mes chaussures me blessant les pieds à chaque pas. Le bitume me paraissait plus dur qu’avant. Ou peut-être que c’était moi qui n’avais plus l’habitude. Chaque bruit, chaque klaxon, chaque voix me faisait sursauter. Le monde dehors allait vite. Trop vite. Il m’avait oubliée.
Enfin, je suis tombée sur un arrêt de bus. J’ai attendu en silence, les yeux fixés sur l’horizon, comme si je pouvais y lire une direction à suivre. Quand le bus est arrivé, j’ai fouillé dans mon sac en plastique et tendu ma seule pièce de monnaie. Le chauffeur m’a regardée avec pitié, puis a haussé les épaules et m’a laissée monter.
Je me suis assise tout au fond, le plus loin possible des regards.
Les rues défilaient par la vitre, et je ne reconnaissais rien. De nouveaux immeubles. Des vitrines que je n’avais jamais vues. Des gens rivés à leurs écrans, des enfants avec des écouteurs, des panneaux publicitaires criards. Le monde avait continué à tourner sans moi. Il ne m’avait pas attendue. J’étais une étrangère dans ma propre ville.
Une boule s’est formée dans ma gorge. J’ai eu envie de descendre, de courir, de hurler mais je suis restée.
Comme une marionnette sans fil, je suivis Dante jusqu’à la voiture après notre journée au bureau.Tout le long du trajet, le silence était pesant. Il conduisait comme il était : droit, rigide, précis. La mâchoire contractée, les doigts serrés sur le volant.Le téléphone de Dante vibra dans la console centrale. Rafael Hopkins était affiché à l’écran. Il le prit sans quitter la route des yeux. Le haut parleur de la voiture était activé.— Ouii ? fit-il sèchement.— T’es vivant, mec ? T’as disparu, grogna une voix grave, familière de ce genre d’homme enfantin qui ne pense qu’à faire des blagues.— On boit un verre ce soir. Bar Montclair. On est déjà là avec Luka et Vincent. Tu ramènes ta sale tête ?Je ne bougeai pas, mais mon estomac se serra. Je n’avais aucune envie de suivre Dante dans un bar.— J’ai quelqu’un avec moi, répondit Dante d’un ton neutre.Un silence amusé.— Et alors ? Ramène-toi.Je déglutis. Dante ne répondit pas. Il se contenta d’un :— J’arrive.Puis il raccrocha san
Quand je franchis les portes vitrées de la Whithemore Corporation, un silence pesant sembla s’abattre sur le hall Tous les yeux se sont braqués sur moi. Des employés mirent fin à leurs discussions, d’autres interrompirent leur travail, certains me dévisageaient de la tête au pied. J’étais mal à l’aise.Dante avançait devant moi d’un pas déterminé, droit. Moi, je me sentais minuscule derrière lui.— Qui est elle ? — Tu crois que c’est sa nouvelle copine ? — Non, impossible. Il n’a jamais ramené personne ici. — Que penserait Mademoiselle Elena ?Mon cœur s’accéléra. Je sentis mes joues s’enflammer. J’avais envie de courir, de faire demi-tour mais mes jambes continuaient d’avancer mécaniquement. L’ascenseur s’ouvrit. Nous entrâmes. Dante appuya sur le bouton du dernier étage. Les portes se refermèrent sur les murmures.Le silence dans la cabine était lourd. Je ne comprenais pas pourquoi il avait le besoin de m’emmener ici.Le couloir du dernier étage était silencieux, luxueux, baigné
— Lila, tu viens avec moi. Maintenant, gronda Dante, la mâchoire serrée, les veines saillantes sur ses tempes.Je n’arrivais plus à respirer. Jason s’était instinctivement interposé entre nous, son corps frêle mais droit, planté là comme une barrière de calme face à la fureur.— Elle n’est pas un objet, Dante, dit-il d’un ton posé. Tu ne peux pas juste débarquer comme ça et décider à sa place.Sa voix était douce mais ferme.Dante rit sans joie. Un rire froid qui me glaça le sang.— Tu crois que tu la protèges, toi ? Que tu es qui, exactement ? Son chevalier blanc ? Tu n’as aucune idée de ce que tu es en train de faire.Jason se tourna vers moi, ignorant la menace qui grondait dans l’air.— Lila, regarde-moi. Tu veux repartir avec lui ? Ou tu veux rester ici, avec moi ? C’est à toi de décider.Je restai figée.Le vent soulevait doucement mes cheveux. Jason était rassurant avec son regard plein de patience, de respect et de douceur. Et lui, de l’autre côté, était prêt à exploser. Son r
Point de vue de LilaJe m’étais baissée, le chiffon humide en main, pour ramasser les éclats de verre brisé sur le sol. L’eau s’était infiltrée jusque sous la table.Un bruit résonna depuis l’étage : un chuintement familier puis l’eau de la douche.Je me redressai lentement, la main encore humide, le chiffon trempé. Mes yeux se posèrent machinalement vers l’escalier. Il ne redescendait pas.Le cœur serré, je me surpris à me demander ce qu’ils faisaient. Ce qu’elle faisait. Ce qu’il… faisait.Mon imagination, traitresse, se mit en marche. La peau nue d’Elena glissant contre la sienne. Les lèvres de Dante sur une autre bouche.Il n’y avait pas de cris à l’étage. Pas de voix. Juste cette eau qui coulait, encore et encore. Mais c’était suffisant pour comprendre ce qui se passait.Je terminai de rassembler les morceaux de verre dans un torchon, le cœur déchiré et les pensées en vrac pendant qu’eux, ils prenaient leur douche ensemble.Je refermai le robinet, les mains ruisselantes d’eau sav
La table était dressée avec une précision chirurgicale : nappe blanche repassée à la perfection, couverts en argent alignés avec discipline, assiettes en porcelaine. L’odeur délicate des plats haut de gamme livrés à la hâte par la secrétaire de Dante flottait dans l’air.Je m’étais assise en silence, à la place qu’Elena m’avait désignée. A ma droite, Dante, les traits fermés. En face, Elena.— Dante, passe-moi le sel, veux-tu ? demanda-t-elle d’un ton sucré.Dante, sans un mot, lui tendit le petit pot d’argent. Mais elle saisit sa main au passage, la caressa comme par inadvertance, effleura ses doigts avec lenteur. Son regard s’accrocha au sien, et elle murmura presque sensuellement :— Merci, Dante.Je me raidis.Elena pousse une petite grimace en reposant sa fourchette avec un soupir.— Hmm… Ce plat… je ne sais pas, c’est un peu trop épicé, non ? souffla-t-elle en plissant le nez. Peut-être que c’est moi… Mon palais est si sensible ces derniers temps.Elle se tourna vers Dante avec
Lila a eu le culot de me demander un salaire. Je n’en reviens toujours pas. Peut-être qu’elle plaisantait ? Peut-être que c’était une provocation à sa façon… une petite pique comme elle savait en faire avant. Mais non. Elle était sérieuse.Le souvenir d’Elena m’est revenu comme un coup de poing dans le ventre.« Elle te manipule, Dante. Tu penses qu’elle t’aime, mais elle calcule. Elle veut ton nom, ta richesse, ton statut. Rien d’autre. »J’ai tourné la tête vers Elena, assise avec cette posture délicate, cette fragilité qui appelait à la protection. Son regard croisait le mien avec une tendresse retenue. Elle n’a rien dit. Elle n’en avait pas besoin. Elle attendait que je tire moi-même mes conclusions.Alors, je me suis redressé, la mâchoire contractée.— Tu avais raison, Elena, ai-je murmuré, sans quitter Lila des yeux. Finalement, tu la connaissais mieux que moi.Lila a cligné des paupières. Une fraction de seconde, j’ai vu la douleur traverser son regard. Elle n’a pas parlé. Et