Chapitre 2

La famille Blanc a reçu le message de l'entremetteuse. Bien qu'ils aient été mécontents, ils ont fini par accepter à contrecœur.

Le soir même, l'argent a été envoyé chez nous.

Aurore a paradé du bout du village jusqu'à l'autre, exhibant fièrement la montre de marque qu'elle venait de recevoir.

Mes parents, sous la lueur d'une lampe, ont compté des billets, au point d'en user les doigts.

Et moi, ce que j'ai pu obtenir se réduisait à un vieux morceau de tissu élimé.

Toute la nuit, j'ai travaillé avec la machine à coudre offerte par la famille Blanc pour me confectionner une chemise et une robe.

Aurore, à côté, lançait ses piques venimeuses : « C'est pour toi, ça ? Si tu abîmes cette machine à coudre, maman n'aura plus de quoi me faire de nouvelles robes ! »

J'ai arraché le dernier fil, et je suis rentrée en silence dans ma chambre. Sur la table, j'ai aperçu le cahier blanc d'Aurore. J'ai esquissé un sourire.

Aurore, elle n'a aucune idée de ce qu'il faut endurer pour entrer à l'université.

Dans ma vie précédente, les concours venaient tout juste d'être rétablis. Dans notre village, aucun professeur n'avait la moindre expérience des examens.

Mes parents voulaient que je rentre travailler aux champs, mais j'ai refusé. J'ai harcelé de questions les jeunes instruits venus de la ville.

Quand ils sont tous repartis chez eux, je me suis débrouillée seule : avec mes vieilles chaussures trouées, j'ai parcouru une dizaine de kilomètres à pied jusqu'au bourg voisin pour y emprunter des manuels.

En gardant les vaches sur la montagne, je dévorais mes livres sous les arbres, un morceau de galette sèche et une gorgée d'eau froide pour tout repas.

En dehors des travaux, je ne faisais que réviser. C'est ainsi que j'ai réussi à entrer dans la meilleure université de la ville.

Mes parents aimaient se vanter, mais ne mentionnaient jamais mes efforts. Ils racontaient partout que j'étais née avec un don, qu'il m'avait suffi de lire quelques pages pour réussir.

Aurore les a crus. Elle s'est persuadée qu'elle aussi était un génie et qu'elle pourrait, au dernier moment, réviser à la hâte et réussir l'examen.

Elle croyait tenir entre ses mains le manuel secret de la réussite, sans comprendre qu'on ne sort pas vivant de cette famille sans un labeur impitoyable.

Très vite, le jour de mon mariage avec Cédric est arrivé.

Les parents de Cédric avaient réservé un restaurant en ville. Mes parents, qui n'y avaient jamais mis les pieds, étaient intimidés et mal à l'aise. Aurore Lambert, en les voyant se comporter ainsi, en a éprouvé un profond dégoût.

« Ce n'est qu'un petit restaurant… Rien à voir avec un palace de luxe comme le Ritz ! »

Évidemment, ce n'était pas comparable au train de vie luxueuse qu'elle avait menée dans sa vie précédente grâce à ses pots-de-vin.

Le mariage était modeste, mais les rituels avaient été respectés.

Ma belle-mère a pris mes mains et m'a dit doucement : « Aurélie, nous aurions voulu organiser une cérémonie plus grandiose, mais l'argent a été rassemblé dans l'urgence, la famille n'a pas les moyens. Pardonne-nous. »

J'ai souri et répondu que ce n'était rien. Aurore, elle, s'est aussitôt offusquée : « Un chef n'a qu'à lever la main pour qu'on se batte à lui offrir de l'argent. À qui veulent-ils faire croire qu'ils sont pauvres ? »

Ma belle-mère s'apprêtait à répliquer, quand soudain, un tumulte a éclaté derrière la porte du salon privé.

« Cédric, ne fais pas l'idiot ! Toute la famille de la mariée est là, tu ne peux pas annuler comme ça ! Tu veux faire perdre la face à ton père ? »

Cédric… voulait rompre le mariage ?

Ma belle-mère, embarrassée, s'est levée en souriant, prête à sortir pour calmer la situation.

Je n'avais que peu de souvenirs de Cédric, mais je savais qu'il était un homme loyal et attaché aux liens du passé.

Dans ma vie précédente, quand il avait été muté aux confins du pays, Aurore avait refusé de le suivre à cause des conditions de vie trop dures. Il n'avait rien dit.

Et plus tard, quand Aurore avait commis ses exactions sous le nom de son beau-père et que tout avait éclaté, Cédric, malgré l'humiliation, lui avait encore donné une somme en guise de séparation.

Pour lui, la reconnaissance était sacrée. Il n'aurait jamais dû songer à rompre ainsi devant tout le monde.

Je fixais la porte qui tremblait sous les allées et venues de ses camarades d'enfance. Tous se pressaient dehors pour tenter de le convaincre.

À travers l'entrebâillement, j'ai aperçu son visage : ses sourcils en épée, ses yeux brillants. Il est devenu plus robuste, plus impressionnant qu'enfant.

« Quoi qu'il en soit, je n'épouserai pas ce porte-malheur. Je veux bien payer ma dette, mais cette femme-là, je ne peux pas l'épouser aujourd'hui ! »

Porte-malheur… ?

Un frisson glacé m'a traversé le cœur. Une douleur aiguë m'a saisi la poitrine.