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Chapitre 3

Author: Gérard Poincaré
Aurore a éclaté d'un rire insolent.

« Aurélie, je ne pensais pas que ta réputation de porte-malheur arriverait si vite jusqu'aux oreilles de ton mari ! »

Puis, baissant la voix, elle a ajouté avec un sourire venimeux : « Une maudite avec un malchanceux, voilà une paire parfaite. »

J'ai serré les poings, mes jointures ont craqué sous la pression.

Cédric est entré, bousculé par ses amis d'enfance, le visage fermé, à contrecœur.

Aurore, les bras croisés sur sa poitrine, se tenait droite, sa silhouette grande et élancée se détachant de la foule.

Mais Cédric, comme s'il n'y avait personne autour, me fixait uniquement.

Je suis restée un instant figée devant les traits sculptés de Cédric.

De près, ses sourcils sévères et son regard froid étaient encore plus beaux que ceux des acteurs qu'on voyait dans les magazines de cinéma.

Pas étonnant qu'Aurore, chaque fois qu'elle parlait de lui, tienne toujours à préciser qu'il n'était pas mal du tout.

Quand Cédric a observé ma tenue, il a immédiatement compris que la mariée avait été remplacée.

Ses épais sourcils s'étaient brusquement froncés et, sans réfléchir, il a lâché : « Comment ça, c'est toi ? Celle qui doit m'épouser, ce n'est pas Aurore ? »

Aurore, déjà agacée d'avoir été éclipsée, s'est vexée encore plus en entendant ces mots.

Sans hésiter, elle a répliqué : « Qui voudrait donc épouser un simple soldat comme toi ? Regarde-toi donc, tu ne te rends même pas compte que tu n'es pas à la hauteur ! »

Puis, d'un geste sec, elle a relevé le menton et détourné le visage.

Le visage de Cédric a aussitôt changé, il venait de réaliser qu'il avait parlé trop vite.

Je lui a répondu d'une voix calme : « Tu as dit vouloir épouser la fille qui t'avait sauvé autrefois. Cette fille, c'est moi. »

Son regard s'est figé, son torse se soulevait de manière perceptible et il me fixait avec un sérieux presque solennel, comme s'il avait attendu ce moment depuis longtemps.

« … Je le savais. »

Mes pupilles ont tremblé, et une idée folle a traversé mon esprit.

« Pardon… Continuons la cérémonie. Ce mariage, je l'accepte ! »

Tout le monde est resté abasourdi. Ma belle-mère s'est empressée de détendre l'atmosphère :

« Voilà qu'il en perd la tête, tout excité à l'idée de se marier ! Quel grand benêt ! »

Cédric s'est détendu enfin ; un rouge vif est monté de son cou jusqu'à ses joues.

Aurore a retroussé ses lèvres, reniflé froidement, et elle est retournée à son siège.

La suite de la cérémonie s'est déroulée sans accroc. Mais, à la fin, Aurore a réclamé haut et fort que Cédric lui trouve un professeur particulier en ville, car la campagne ne lui permettait pas de réviser correctement.

Cédric a gardé le silence, visiblement peu enclin à s'en mêler.

Mais ma belle-mère a accepté d'emblée : « La fille de la famille, ça ne se refuse pas. Nous allons l'aider, bien sûr ! »

On l'a logée aussitôt dans une pension pour préparer ses examens.

Avant de repartir, mes parents m'ont donné leurs recommandations à tour de rôle :

« N'oublie pas ta propre famille, même après ton mariage. Prends un peu des bonnes choses chez les Blanc pour ta sœur, afin qu'elle puisse reprendre des forces. »

« Prépare-lui ses trois repas chaque jour et viens laver son linge correctement. »

« Le concours d'entrée à l'université est une affaire sérieuse. La servir, c'est ton devoir principal ! »

Allongée de travers sur le lit, Aurore grignotait les dragées qu'elle avait rapportées du banquet de noces, l'air triomphant.

« Tu as entendu ? Ne crois pas que le fait d'épouser le fils d'un haut gradé te rende exceptionnelle. Où que tu ailles, tu resteras destinée à être ma servante ! »

Mes parents acquiesçaient, convaincus qu'elle avait raison : il ne faut jamais oublier d'où l'on vient.

J'ai ravalé ma colère et je me suis tue.

Durant deux semaines entières, j'ai fait l'aller-retour entre la pension et la maison de mes beaux-parents.

Cédric, me voyant épuisée, a ordonné finalement à la cuisinière de s'occuper des repas.

Aurore a balancé aussitôt un bol à terre devant elle : « Retourne dire à Aurélie qu'elle ne vienne pas jouer la grande dame devant moi ! Si je n'avais pas renoncé à ce mariage, elle serait encore en train de garder les vaches au fond des champs ! »

Quand Cédric a entendu ces paroles, il a voulu prendre ma défense et la renvoyer au village.

Mais Aurore, devant lui, s'est mise à le railler avec un ton froid et moqueur :

« Cédric, arrête de te pavaner. Fais attention à ne pas être muté un jour dans une terre perdue, à l'extrême frontière, et à n'y jamais revenir. »

« Tss, peut-être que tu mourras là-bas, et que personne même n'ira t'enterrer. »

Dans ma vie précédente, j'avais entendu des rumeurs sur lui lorsque je vivais en ville.

On disait qu'il avait trouvé sa tombe dans une forêt désolée, aux confins du pays, et que ses restes n'avaient jamais été rapatriés.

Cédric a lancé un regard noir à Aurore, tremblant de colère, prêt à répliquer.

J'ai dû le tirer hors de la pièce. Pour la première fois, il m'a explosé sa colère au visage : « Pourquoi prends-tu toujours son parti, et jamais le mien ? »

Je suis restée sans voix. Une étrange tension est montée entre nous.

Mais je savais que le moment n'était pas encore venu.

Le dernier jour de l'examen, j'étais encore plus nerveuse qu'Aurore. Si je ne me trompais pas, c'était aussi le jour où l'ordre de mutation de Cédric devait arriver.

Aurore a franchi fièrement les portes de la salle d'examen, me lançant par-dessus l'épaule :

« Aurélie, après aujourd'hui, je verrai bien de quoi tu oseras encore te vanter devant moi ! »

Mes parents l'ont regardée s'éloigner, le visage gonflé d'orgueil, comme si, d'un instant à l'autre, notre lignée allait s'élever grâce à elle.

Moi, j'avais les paumes couvertes de sueur.

Quand je me suis retournée, Cédric, de l'autre côté de la rue, agitait un grand dossier en papier kraft.

Le cachet administratif qui y était apposé a sauté à mes yeux, me figeant sur place.
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