Le frottement du chiffon contre le bois poli résonnait doucement dans la chambre baignée de lumière. Ryse s’appliquait, passant le tissu humide sur chaque surface avec la minutie d’un travail qu’elle connaissait par cœur. Elle venait de finir de faire le lit, et les draps blancs parfaitement tendus donnaient à la pièce un aspect immaculé. Ici, tout devait être parfait, impeccable, sans la moindre trace de poussière ou de négligence.
Elle repoussa une mèche de cheveux blonds derrière son oreille et recula de quelques pas pour inspecter son travail. La grande chambre d’amis, qui n’avait pas été occupée depuis des mois, était désormais prête. D’un geste automatique, elle ramassa son seau et son chiffon, puis se dirigea vers le couloir silencieux. Les journées de Ryse étaient toujours les mêmes : du matin au soir, elle s’occupait du nettoyage, du linge, parfois de la cuisine quand on avait besoin d’aide. C’était une routine bien rodée, une existence discrète au sein de cette immense demeure où elle avait grandi sans jamais vraiment y appartenir. Elle longea le couloir aux murs ornés de tableaux anciens et poussa la porte de la chambre suivante. Une brise légère entrait par la fenêtre entrouverte, soulevant légèrement les rideaux blancs. Ici, l’air sentait la lavande, l’odeur familière des draps fraîchement lavés. Ryse commença son travail avec la même application, effaçant toute trace de poussière avant de lisser le couvre-lit d’un geste précis. Son esprit vagabonda un instant alors qu’elle replia une couverture. Aujourd’hui, Nigel revenait. Dix ans. Dix ans depuis qu’il était parti pour les États-Unis, emportant avec lui l’image du grand frère qu’il avait toujours été pour elle. Il l’avait protégée, écoutée, soutenue, surtout après la mort de sa mère. Mais il était parti, et le temps avait fait son œuvre. E aujourd’hui. . Nigel était le fils héritier de la famille Harris. Son retour ne changerait rien à son quotidien. Lorsqu’elle eut terminé la dernière chambre, elle descendit au rez-de-chaussée, ses pas légers à travers les longs couloirs. L’air se chargeait déjà d’odeurs appétissantes, et lorsqu’elle entra dans la grande cuisine en pierre, l’atmosphère chaleureuse la fit sourire malgré elle. « Ah, Ryse ! Tu tombes bien ! » s’exclama Martha, la cuisinière, en essuyant ses mains pleines de farine sur son tablier. « Viens m’aider à éplucher ces légumes, le dîner doit être prêt à temps ! » Ryse posa son seau dans un coin et retroussa ses manches avant de prendre place à la grande table de bois massif. Elle attrapa un couteau et une carotte avant de commencer à éplucher avec l’aisance de l’habitude. « La maison est prête pour son retour ? » demanda Martha en pétrissant une pâte avec énergie. Ryse hocha la tête sans lever les yeux. « Oui, tout est en ordre. » Martha poussa un soupir. « Je me demande à quoi il ressemble maintenant… Dix ans, c’est long. Il était un beau garçon, il doit être devenu un homme impressionnant. » Ryse esquissa un petit sourire. « Peu importe à quoi il ressemble, il ne va pas passer ses journées avec nous en cuisine. » La cuisinière éclata de rire. « Ça, c’est sûr ! Un héritier comme lui a d’autres préoccupations. » Ryse continua son travail en silence, laissant Martha discuter avec les autres domestiques. Elle était reconnaissante de ces moments simples, où elle pouvait s’occuper sans penser à ce qui l’attendait. Car même si elle se disait que rien ne changerait, une petite part d’elle savait que l’arrivée de Nigel marquerait un tournant.. Et même si Ryse n’éprouvait pour lui qu’un attachement fraternel, elle savait que cette maison ne serait plus jamais la même. Le soleil déclinait doucement à travers les grandes fenêtres de la cuisine lorsqu’elle termina ses tâches. Le dîner était presque prêt, la maison était impeccable. Tout était en place pour accueillir le fils prodigue. Le jour déclinait lentement, teintant le ciel d’orange et de rose à travers les rideaux fins de la chambre de Ryse. Assise sur le bord de son lit, elle laçait distraitement sa cheville fine, profitant du rare moment de répit que lui offrait la fin de sa journée. Ses muscles endoloris par les heures de travail protestaient légèrement, mais elle avait l’habitude. Elle ferma les yeux un instant, laissant le silence de sa chambre l’envelopper. Dans cette maison où elle avait grandi en tant que fille de la domestique mais depuis la mort de sa mère , elle n’avait plus eu de véritable place. Ni vraiment domestique, ni vraiment membre de la famille, elle naviguait entre les deux mondes sans s’attarder sur ce que cela signifiait. Mais ce soir, ce silence fut soudain brisé. Des éclats de voix résonnèrent depuis le rez-de-chaussée, portés par l’enthousiasme d’une réunion longtemps attendue. Des rires, des exclamations, un accueil chaleureux qui ne pouvait signifier qu’une chose : Nigel était enfin rentré. Ryse ouvrit les yeux, fixant le plafond dans l’obscurité naissante de sa chambre. Elle hésita un instant, puis se leva, lissant sa robe d’un geste automatique. Elle ne s’attendait pas à grand-chose de cette soirée, mais quelque chose l’attirait tout de même vers le salon. Peut-être une simple curiosité, peut-être ce besoin inconscient de voir de ses propres yeux à quel point il avait changé. Ses pas furent légers dans l’escalier alors qu’elle descendait, effleurant la rambarde de bois poli. Plus elle approchait du grand salon, plus les voix devenaient distinctes, emplies d’émotion et de joie. Lorsqu’elle franchit l’encadrement de la porte, la scène qui s’offrit à elle lui parut presque irréelle. Au centre de la pièce, madame Harris serrait un homme dans ses bras, les yeux brillants de larmes. « Mon fils… Mon garçon, te voilà enfin ! » Il était grand. Beaucoup plus grand que dans ses souvenirs. Nigel Harris n’était plus le jeune homme qu’elle avait connu. Son dos large, sa stature imposante, tout en lui dégageait une force tranquille, une prestance naturelle qui imposait le respect. Son visage, sculpté par les années, arborait des traits plus marqués, une mâchoire forte, des yeux sombres où l’ombre du passé s’était mêlée à la maturité. Son costume élégant lui donnait un air distingué, bien loin du garçon insouciant qui parcourait autrefois les couloirs de cette maison. Ryse resta en retrait, observant la scène sans un mot. À côté de Nigel, une jeune femme se tenait droite, le regard curieux mais empreint d’une certaine douceur. Elle était belle. D’une beauté délicate et raffinée, avec ses cheveux bruns soigneusement coiffés et sa robe parfaitement ajustée à sa silhouette élancée. Une femme qui appartenait à son monde. « Mère, je te présente Éloïse », c’est ma fiancée , déclara Nigel en se tournant vers elle. Éloïse s’inclina légèrement, un sourire charmant aux lèvres. « C’est un plaisir de vous rencontrer enfin, madame Harris. Nigel m’a beaucoup parlé de vous. » Madame Harris lui adressa un sourire poli, mais Ryse, elle, remarqua l’éclat fugace dans les yeux de la maîtresse de maison. Un éclat indéchiffrable, peut-être même un soupçon de déception. Mais tout cela ne concernait pas Ryse. Elle n’était qu’une simple observatrice de cette scène qui n’avait rien à voir avec elle. Pourtant, lorsque Nigel redressa la tête, son regard balaya la pièce et croisa le sien. Un instant suspendu. Ryse sentit son cœur rater un battement. Pas à cause d’un quelconque trouble romantique – non, ce n’était pas cela. Mais ce regard… Ce regard qui la fixait comme si elle était une étrangère. Comme si elle n’avait jamais existé. Nigel n’eut aucune réaction. Aucune reconnaissance dans ses yeux. Juste une indifférence polie. Ryse sentit un frisson glisser le long de son dos. Dix ans s’étaient écoulés, et il ne restait plus rien du garçon qui la prenait dans ses bras lorsqu’elle pleurait. Elle n’était plus qu’une ombre parmi tant d’autres dans cette maison qui l’avait vue grandir. Et ce soir, plus que jamais, elle en prit pleinement conscience. Chapitre 2 (suite) Le silence entre eux dura une fraction de seconde, mais il sembla s’étirer à l’infini. Ryse n’était pas du genre à attendre quoi que ce soit de Nigel, pas après tant d’années. Pourtant, elle se surprit à avancer d’un pas, puis d’un autre, jusqu’à se retrouver face à lui. Il était encore plus impressionnant de près, son aura écrasante, presque intimidante. Elle déglutit légèrement, puis, dans un geste aussi naturel que maladroit, elle lui tendit la main. « Bon retour, Nigel. »Ryse prit place à l’arrière de la voiture, juste à côté de Léonie. Le véhicule sentait bon le cuir et les fleurs fraîches, sûrement un parfum de la gouvernante. La jeune oméga gardait les mains jointes sur ses genoux, le regard légèrement baissé. Elle pouvait sentir la présence imposante de Nigel à l’avant, le dos droit, le visage fermé, concentré sur la route. Elle aurait voulu s’enfoncer dans le siège, disparaître.Mais à côté d’elle, Madame Harris lui adressait des sourires rassurants. Elle posa délicatement une main sur celle de Ryse.— Dis-moi, ma chérie… Est-ce que tu es bien traitée ici ?Ryse cligna des yeux, hésita. Devait-elle dire la vérité ? Dire qu’elle vivait dans la solitude ? Qu’elle ne recevait ni visite, ni appel ? Qu’elle mangeait seule et pleurait la nuit dans son oreiller, en se demandant comment elle allait élever un enfant dans cette ambiance ?— Oui… ça va, murmura-t-elle, fuyante.Léonie fronça les sourcils. Elle ne la croyait pas une seule seconde. Le ton de
Depuis le jour où Nigel avait quitté sa maison après leur dernière altercation, Ryse avait eu l’impression que tout avait changé. Elle avait espéré qu’il reviendrait, qu’il viendrait la voir, qu’il s’excuserait pour les choses cruelles qu’il lui avait dites. Mais les jours s’étaient transformés en semaines, et Nigel n’avait fait aucun effort pour renouer le contact avec elle.Elle se retrouvait seule, confinée dans cette grande maison, entourée par un luxe qui ne faisait plus que souligner son isolement. Elle n’avait jamais été une femme qui aimait se faire dorloter. Mais être enfermée ici, sans personne pour lui tenir compagnie, lui faisait plus de mal qu’elle ne l’aurait imaginé. Elle avait besoin de savoir où en était leur relation, où en était leur futur. Le bébé grandissait dans son ventre, mais l’absence de Nigel, son indifférence apparente, rendait tout encore plus difficile à vivre.Elle s’était accrochée à l’idée qu’il finirait par revenir vers elle. Mais après plusieurs sema
Ryse resta un moment dans le salon, le regard figé sur l’endroit où Nigel venait de disparaître. Les paroles qu’il avait prononcées, si cruelles et blessantes, résonnaient encore dans son esprit. Elle n’arrivait pas à oublier la manière dont il l’avait traitée, comme si elle n’était rien de plus qu’un simple objet. Mais plus que cela, c’était la douleur dans ses yeux, cette froideur qu’il affichait alors qu’il lui lançait des menaces. Il ne la comprenait pas. Ni lui, ni personne d’ailleurs. Elle était fatiguée de jouer ce rôle d’ombre dans la vie des autres.Elle se leva lentement, ses mains tremblant légèrement alors qu’elle caressait doucement son ventre. Le regard perdu dans le vide, elle se dirigea vers la cuisine. Le silence de la maison lui paraissait oppressant, chaque pas résonnant dans le hall comme un écho de la tension qui régnait dans l’air. Elle n’avait jamais voulu tout cela. Cette vie. Ce mariage forcé. Ce bébé. Mais elle n’avait pas le choix. Le destin l’avait conduite
Le soleil peinait encore à percer les rideaux épais de la chambre quand Nigel ouvrit les yeux. L’odeur dans la pièce était différente. Trop douce. Trop familière. Et surtout, trop dérangeante.Il tourna la tête, lentement, le corps engourdi par un mélange d’épuisement et de tension retenue. Son regard se posa sur elle.Ryse.Elle dormait, la tête tournée vers le mur, son dos nu partiellement recouvert par le drap. Sa respiration était régulière, calme, comme si de rien n’était. Comme si la nuit qu’ils venaient de traverser n’avait rien de tragique.Mais dans la tête de Nigel, le tumulte grondait.Il se redressa brusquement, repoussant les draps, pris d’un dégoût qu’il ne s’expliquait pas. Il se leva, se passa les mains sur le visage puis dans les cheveux, et jura entre ses dents. Comment avait-il pu… ? Comment avait-il pu se laisser aller à ça ?Et avec elle ? Avec elle ?Comme si elle l’avait senti se lever, Ryse se tourna doucement. Son regard encore ensommeillé se posa sur lui. Ell
Ryse se leva lentement de son lit, sentant la douleur lancinante irradier de sa nuque, là où la marque de Nigel brûlait sous sa peau. Un pic de douleur la fit se plier en deux, l’obligeant à poser une main sur le côté de son cou. La chaleur de la marque semblait s’étendre à chaque respiration, chaque battement de cœur. Elle se força à se lever malgré la souffrance, le corps engourdi par l’inconfort.Elle avait à peine posé un pied hors du lit lorsque son nom résonna, brisé par l’écho de la nuit : “Ryse !” Ce cri, empli de colère et d’angoisse, la fit se figer sur place. Ses mains tremblaient légèrement alors qu’elle se retrouvait dans une sorte de paralysie, incapable de bouger. Elle chercha la source de ce cri, son cœur battant la chamade.À peine eut-elle le temps de réfléchir que la porte de sa chambre s’ouvrit brusquement, et Nigel entra dans la pièce. Son visage était marqué par une expression qui oscillait entre la colère et la préoccupation. Ryse recula instinctivement, sentant
Le week-end arriva bien plus vite que Ryse ne l’avait imaginé. Toute la semaine, la maison avait été animée par des allées et venues incessantes. Des ouvriers s’affairaient à aménager le jardin que Nigel lui avait promis. Depuis sa chambre, elle les entendait travailler, planter, creuser, ériger des treillages pour les rosiers grimpants.Elle aurait aimé descendre et observer de plus près, mais elle savait que la gouvernante veillait. Nigel avait été clair : elle ne devait pas sortir seule, et cela la frustrait terriblement. Pourtant, lorsqu’elle vit le résultat final, une joie enfantine l’envahit.C’était magnifique.Le jardin était conçu comme un petit havre de paix, avec un banc en bois blanc sous un grand cerisier, une allée bordée de buissons fleuris et une fontaine en pierre qui chantonnait doucement. Tout était exactement comme elle l’avait décrit lorsqu’elle avait timidement exprimé ses préférences.Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit… bien.Aujourd’hui, Nig
Le lendemain matin, après une nuit agitée par le poids de ses pensées, Ryse décida d’appeler Nigel. Elle n’aimait pas lui parler, mais elle devait au moins essayer d’obtenir un semblant de liberté.Elle inspira profondément avant de composer son numéro. Le téléphone sonna plusieurs fois avant qu’il ne décroche enfin.— Quoi encore ? demanda-t-il d’un ton sec.Ryse serra le poing. Il ne prenait même pas la peine d’être courtois avec elle. Pourtant, elle ne se laissa pas intimider et s’efforça de garder une voix neutre.— J’aimerais savoir si je peux sortir de temps en temps… juste pour aller au marché ou me promener un peu.Il y eut un silence, comme s’il réfléchissait à sa demande. Puis, il éclata de rire, un rire froid et moqueur.— Tu veux sortir ? répéta-t-il. Tu crois vraiment que tu es en vacances ?Ryse sentit son estomac se nouer. Elle savait qu’il refuserait, mais elle ne s’attendait pas à une telle condescendance.— Ce n’est pas ça, tenta-t-elle d’expliquer calmement. C’est j
Après le déjeuner, Nigel reposa sa serviette sur la table et sortit quelques billets de sa poche pour payer l’addition. Éloïse, toujours accrochée à son bras, lui lança un regard interrogateur.— On y va ? demanda-t-elle en souriant.— Oui, mais je vais d’abord raccompagner Ryse, répondit Nigel d’un ton neutre. Toi, rends-toi directement à l’entreprise, je te rejoins là-bas.Éloïse fronça légèrement les sourcils, mais ne fit pas de commentaire. Elle déposa un baiser léger sur la joue de Nigel avant de s’éloigner.Ryse suivit Nigel en silence jusqu’à la voiture. Elle s’installa à l’arrière, comme à l’aller. Nigel ne fit aucun commentaire et démarra.Un silence pesant s’installa dans l’habitacle, seulement troublé par le bruit du moteur. Ryse se mordait la lèvre, hésitant à parler. Finalement, elle prit son courage à deux mains et lâcha d’une voix tremblante :— Je ne veux plus qu’Éloïse dise que c’est son enfant.Nigel, qui était concentré sur la route, tourna légèrement la tête vers e
Le trajet jusqu’à la clinique s’était déroulé dans un silence pesant. Ryse se sentait étouffée à l’arrière de la voiture, consciente du regard d’Éloïse qui la scrutait de temps à autre à travers le rétroviseur. Son cœur battait à un rythme irrégulier, non pas par excitation, mais par appréhension. Elle savait que cette visite était importante, qu’elle marquerait une nouvelle étape irréversible dans sa vie.Lorsque Nigel gara la voiture devant l’imposante clinique privée, Ryse inspira profondément. Le bâtiment immaculé se dressait devant eux, symbole d’un monde auquel elle n’avait jamais appartenu. Elle sentit une boule d’angoisse se former dans sa gorge.— Descends, ordonna simplement Nigel en ouvrant sa portière.Ryse s’exécuta sans un mot et le suivit dans l’entrée du bâtiment. L’intérieur était luxueux, à l’image du reste de la famille Harris. Tout était fait pour le confort des patients : des fauteuils moelleux, une douce musique en fond et un parfum de lavande qui flottait dans l