Elle aurait voulu crier. Hurler. Aller le récupérer, le serrer contre elle et lui dire qu’elle ne l’avait pas abandonné. Mais elle était là, seule, sans rien, alors qu’on volait peu à peu toute trace de son existence dans la vie de son fils.Alice resta silencieuse. Elle lui posa doucement une main sur l’épaule.— Tu veux rentrer te reposer ? Tu veux qu’on en parle ?— Non… Je veux rester. Travailler m’aide à ne pas m’effondrer.Alice acquiesça. Elle comprenait sans avoir besoin de tout savoir. Certaines douleurs n’avaient pas besoin de longs discours. Elles se lisaient dans les yeux, dans la posture, dans la respiration même.— Alors prends ton temps. Et si jamais tu veux en parler, je suis là.Ryse hocha la tête, ravalant ses larmes.Ce jour-là, elle termina son service comme elle avait commencé : en silence, concentrée, présente. Mais une rage sourde grondait en elle. Nigel pensait sans doute qu’elle allait disparaître de la surface du monde. Qu’elle allait s’éteindre dans un coin
Ryse sentit sa gorge se serrer. C’était la première fois, depuis des semaines, qu’on lui tendait la main sans conditions. Elle sentit presque les larmes monter mais se força à sourire.— Oui… demain matin, si vous voulez. Je suis libre.— Parfait ! Sept heures pile. Je t’expliquerai comment on organise le service du petit-déjeuner, comment fonctionne la machine à café, et tu apprendras le reste sur le tas. D’accord ?— D’accord. Merci… vraiment, merci beaucoup.Alice pencha un peu la tête, attendrie.— Tu as l’air d’avoir traversé pas mal de choses. Ici, on est comme une petite famille. Si tu fais bien ton travail, tu auras toujours ta place. Et si un jour tu as besoin de parler, je suis là aussi.Ryse hocha la tête, incapable de répondre. Elle quitta le café en silence, le cœur battant d’une émotion étrange. Elle traversa la rue, récupéra son seau et retourna à la pension, les pas plus légers. La nuit tombait doucement, mais pour la première fois depuis longtemps, elle n’avait pas pe
Nigel ferma les yeux une seconde. Il l’avait vu venir.— Je m’en doutais. Maman, je t’en prie. Ce n’est pas le moment. J’ai une réunion importante tout à l’heure, je ne peux pas…— Tu vas m’écouter, Nigel, le coupa-t-elle, le ton dur. J’ai fermé les yeux sur beaucoup de choses. Je t’ai laissé gérer cette histoire comme tu l’entendais, malgré ce que j’en pensais. Mais là, tu as dépassé les bornes.Nigel se leva d’un bond, contournant son bureau.— Ce n’est pas toi qui as vécu ce que j’ai vécu. Tu crois que c’était facile pour moi ? Tu crois que j’ai voulu tout ça ? Cette marque ? Cet enfant ? Ce mariage que je n’ai jamais voulu ? Ryse savait que je n’aimais pas les Omégas, elle savait que mon cœur était avec Éloïse, et pourtant elle s’est accrochée.Léonie haussa les sourcils, la colère montant.— Elle s’est accrochée ? Elle a souffert, Nigel ! Tu l’as marquée, tu l’as mise enceinte, tu l’as mariée de force sous prétexte d’honneur, et maintenant tu la jettes comme une moins que rien ?
Chapitre 56Les yeux de Léonie se remplirent de larmes. Elle se leva difficilement, marchant jusqu’au portrait de famille accroché au mur. Une photo ancienne, où Ryse, encore adolescente, souriait timidement à côté d’un Nigel jeune, plein d’avenir.— Je croyais… je croyais qu’il allait la protéger. Qu’il allait la respecter. C’est moi qui ai voulu qu’ils se marient. C’est moi qui ai forcé cette union. Je suis responsable de ce désastre.— Tu n’es pas responsable de ses choix, Léonie, répondit Charles doucement. Mais tu peux m’aider à réparer ce qui peut encore l’être.Elle le regarda, les yeux brillants.— Tu vas la retrouver ?— Je te le promets. Je vais la retrouver, coûte que coûte. Je vais fouiller chaque recoin, chaque chemin, chaque ville. Elle ne mérite pas cette vie de misère et de rejet. Elle mérite d’être entourée, aimée, respectée.Un silence s’installa entre eux. Léonie essuya ses larmes.— Si tu la retrouves… dis-lui que je suis désolée. Que j’ai été aveugle. Que je l’att
Le moteur de la voiture de Charles vrombissait dans le silence tranquille de la forêt. Les oiseaux s’étaient tus, comme si eux aussi redoutaient ce qui allait arriver. Charles roulait vite, bien trop vite pour ce chemin sinueux, mais la colère lui nouait les entrailles. Depuis des jours, il tentait de joindre Ryse. Depuis qu’il avait appris par un contact commun que Nigel avait officiellement obtenu la garde du petit Rygel, et surtout qu’il avait mis Ryse dehors comme une criminelle, une honte le consumait. Il se gara brutalement devant l’ancienne maison où Ryse vivait encore récemment. Le lieu semblait abandonné. Il n’y avait pas de voiture. La lumière était éteinte, et l’air pesait. Il descendit de voiture, les poings serrés, le souffle court. Une vieille silhouette se dessina dans l’entrebâillement de la porte : la gouvernante. — Monsieur Charles… murmura-t-elle, visiblement embarrassée. — Où est-elle ? demanda-t-il d’un ton sec. La femme hésita, se triturant les doigts.
La lumière du jour filtrait à travers les voilages beiges de la grande chambre, répandant une douceur tranquille dans la pièce. Le silence n’était interrompu que par les bruits paisibles de succion du petit Rygel, lové contre le bras d’Éloïse, qui lui donnait le biberon avec un air de tendresse calculée. Ses gestes étaient lents, précis, presque maternels, bien qu’elle n’ait jamais véritablement désiré cet enfant. Assis sur un fauteuil face à elle, Nigel l’observait en silence, les bras croisés, le regard un peu ailleurs. Il semblait fatigué, mais aussi soulagé, comme si une lourde charge avait été en partie évacuée de ses épaules. Il ne pensait plus à Ryse. Du moins, c’était ce qu’il se répétait chaque matin. Il fallait aller de l’avant. Il avait pris sa décision. Éloïse leva les yeux vers lui tout en berçant le bébé doucement. — Tu ne dis rien, Nigel. Tu regrettes ce que tu as fait ? Il secoua la tête. — Non. Elle hocha lentement la tête, l’air concentrée. Puis, après un