Ryse hésita, ses doigts se resserrant involontairement autour du plateau. Mais elle n’avait jamais su désobéir à cette femme qui, malgré son statut, l’avait toujours traitée avec une certaine bienveillance.
Elle reposa le plateau sur une desserte et s’approcha lentement. Le fauteuil qu’elle occupait était grand, imposant, et contrastait avec la silhouette délicate de la vieille femme qui lui faisait signe de s’asseoir juste à côté d’elle. Ryse s’exécuta, gardant les yeux baissés, le cœur battant fort dans sa poitrine. Léonie Harris prit une profonde inspiration avant de poser sa main sur la sienne. « Il est temps de parler sérieusement, Ryse. » L’oméga se raidit légèrement. Elle ne savait pas pourquoi, mais une angoisse sourde se répandait en elle. Madame Harris attendit quelques secondes avant d’annoncer d’une voix calme mais ferme : « Tu vas épouser Nigel. » Le monde de Ryse bascula en une fraction de seconde. Elle releva brusquement les yeux vers la matriarche, les lèvres entrouvertes sous l’effet du choc. « Quoi… ? » souffla-t-elle, incapable de comprendre ce qu’elle venait d’entendre. Madame Harris ne répéta pas. Elle la fixa simplement, son regard plein de détermination. « Vous êtes liés, que vous le vouliez ou non. Tu es une oméga, Ryse, et Nigel est un alpha. Sa fiancée est une bêta, et tu sais ce que cela signifie. » Ryse sentit son estomac se nouer. Oui, elle le savait. Les bêtas pouvaient parfaitement s’unir aux alphas, mais ils n’avaient pas la compatibilité biologique que les omégas partageaient avec eux. Pour assurer une descendance forte, il était attendu qu’un alpha ait une compagne oméga. Mais cela… Cela ne la concernait pas. « Je ne veux pas, » murmura-t-elle enfin, la voix tremblante. Madame Harris ne sembla pas surprise. « Je sais que c’est brutal, et je ne te demande pas d’accepter immédiatement. Mais crois-moi, Ryse, il n’y a pas d’autre choix. » Ryse se leva brusquement. « Il y a toujours un choix, Madame, » répliqua-t-elle, la gorge serrée. Son regard croisa celui de Madame Harris une dernière fois avant qu’elle ne recule d’un pas. « Je suis désolée… mais je ne peux pas. » Et sans attendre de réponse, elle tourna les talons et quitta la salle à manger, sentant les larmes lui brûler les yeux alors qu’elle montait précipitamment les escaliers pour rejoindre sa chambre. L’air lui semblait étouffant. Son monde s’effondrait sous ses pieds, et elle ne savait plus comment respirer. Chapitre 4 Léonie Harris referma la porte de la salle à manger d’un geste mesuré, mais son regard était dur, déterminé. Elle n’avait pas l’intention de laisser les choses traîner plus longtemps. Nigel pouvait bien s’emporter, taper du poing sur la table et prétendre qu’il était maître de son destin, mais certaines décisions ne lui appartenaient pas entièrement. Et ce mariage en faisait partie. Les mains jointes devant elle, la matriarche traversa le hall du manoir à pas lents, mais chaque mouvement était empli de cette autorité silencieuse qui lui était propre. Elle savait déjà où elle trouverait son fils. La grande double-porte vitrée menant au jardin était entrouverte, laissant entrer une légère brise printanière. Nigel était là, assis sur un banc de pierre, le dos légèrement courbé, les coudes appuyés sur ses genoux. À côté de lui, Éloïse lui parlait d’une voix douce, posant délicatement une main sur son bras dans une tentative évidente de l’apaiser. Léonie ne ralentit pas. Dès qu’elle arriva à leur hauteur, elle s’adressa directement à Éloïse, son ton calme mais ferme. « Éloïse, je vais devoir parler à mon fils en privé. » La jeune femme sursauta légèrement et se redressa, comme prise au dépourvu. « Oh… bien sûr, Madame. » Elle jeta un regard incertain à Nigel, mais celui-ci ne dit rien. Il gardait les yeux baissés, la mâchoire crispée. Éloïse se mordit la lèvre, puis se leva à contrecœur. « Je vais… nous chercher du thé, » murmura-t-elle avant de s’éloigner, laissant derrière elle une légère fragrance florale. Lorsque le silence retomba, Léonie prit place sur le banc à côté de son fils, sans le regarder immédiatement. Nigel poussa un soupir agacé. « Mère, si c’est pour me faire la morale, je— » « Tu vas épouser Ryse. » Sa voix claqua comme un fouet. Nigel releva brusquement la tête, les yeux écarquillés. « Quoi ?! » Léonie inspira profondément, gardant son calme face à l’éruption prévisible de son fils. « Tu as très bien entendu. » Nigel serra les poings. « Il en est hors de question. » « Il n’y a rien à discuter, Nigel. Tu es un alpha, et elle est une oméga. C’est ainsi que les choses doivent être. » Son fils éclata d’un rire amer. « C’est ainsi que les choses doivent être ? Tu te rends compte de ce que tu dis ? On est en train de parler de mon mariage, de ma vie, et tu me dis que je n’ai pas le choix ? » Léonie tourna enfin la tête vers lui, son regard perçant. « Et que comptes-tu faire, Nigel ? Épouser Éloïse et espérer que tout ira bien ? Espérer que la nature acceptera votre union sans poser de problème ? Tu sais aussi bien que moi que ce n’est pas ainsi que fonctionne notre monde. » Nigel serra la mâchoire si fort que les muscles de son cou se contractèrent douloureusement. « Je refuse de me plier à ces traditions archaïques ! » Léonie haussa légèrement un sourcil. « Des traditions archaïques qui ont pourtant maintenu l’équilibre entre les alphas et les omégas depuis des générations. » Nigel se leva brusquement, incapable de rester assis plus longtemps. Il marcha quelques pas dans l’herbe fraîche, les mains sur les hanches, le regard perdu au loin. « Ryse ne veut pas de ce mariage non plus, » finit-il par dire d’une voix rauque. Léonie ne bougea pas. « Cela ne change rien. » Nigel se retourna lentement vers elle, un éclat d’incrédulité dans les yeux. « Comment peux-tu dire ça ?! Tu l’apprécies pourtant, non ? Elle a grandi sous ton toit, tu la considères presque comme une fille. Alors pourquoi veux-tu la condamner à ça ? » Léonie le fixa un instant avant de répondre, sa voix plus douce cette fois. « Parce que c’est sa place. »Et au premier étage, dans une chambre lumineuse décorée de tons bleus et blancs, le petit Rygel remuait dans son sommeil, loin de tout ce tumulte d’adultes. Il ne savait pas encore qu’il venait d’être arraché à l’amour pur d’une mère, qu’il était devenu l’enjeu d’un combat silencieux, entre amour, douleur, possession et regrets.Une semaine s’était écoulée depuis l’arrivée de Rygel chez Nigel. Une semaine faite de silences tendus, de routines imparfaites et de pleurs trop longs la nuit. L’enfant, autrefois paisible dans les bras de sa mère, s’agitait, pleurait sans cesse, refusait de s’alimenter correctement. L’infirmière Brigitte, qui avait veillé sur lui avec tout le professionnalisme qu’on attendait d’elle, commençait à s’inquiéter.Ce matin-là, Rygel avait vomi deux fois et s’était mis à gémir sans relâche. Brigitte posa sa main sur son front moite, fronça les sourcils, et le berça tout doucement. Malgré ses gestes tendres, le petit continuait de pleurer, de hurler, jusqu’à s’endo
La salle d’audience était froide, silencieuse, presque irréelle. Chaque banc occupé semblait porter le poids d’un drame que personne n’osait nommer. D’un côté, Nigel, vêtu de noir comme s’il était venu enterrer quelque chose — ou quelqu’un. À ses côtés, Éloïse, droite et calme, jouant parfaitement le rôle de la compagne dévouée. En face, Ryse, fragile silhouette dans une robe beige trop large, les traits tirés par les nuits sans sommeil, les cernes creusant son regard brisé. À sa droite, Charles, droit, ferme, les mains serrées sur son dossier, prêt à tout pour défendre Ryse. Plus loin, Léonie, silencieuse, venue en observatrice mais incapable de rester indifférente. Le juge, une femme dans la cinquantaine au visage sévère, feuilletait les documents d’une main rapide. — Madame Ryse Harris, Monsieur Nikola Nigel Harris Après étude du dossier, auditions des deux parties et considérations des preuves fournies, nous allons statuer sur la garde de l’enfant, Nikola-Rygel Harris. Un si
Nigel la fixa un moment, puis soupira longuement. Il s’avança de quelques pas et, sans un mot, laissa ses phéromones se libérer dans l’air.Ryse sentit l’atmosphère s’alourdir d’un coup. Une vague invisible s’insinua dans son esprit, chaude, étouffante, irrésistible. Ses pupilles se dilatèrent, son cœur s’affola. Son esprit, déjà fatigué par les nuits sans sommeil, se retrouva envahi par cette présence dominante, impérieuse.— Nigel, murmura-t-elle, la voix brisée. Arrête… s’il te plaît… pas ça…Mais il ne répondit rien.Il s’assit face à elle, les yeux rivés aux siens, et appuya doucement le stylo dans sa main.— Signe.Elle tenta de résister, de se lever, de fuir cette sensation envahissante. Mais ses jambes ne répondaient plus. Sa volonté flanchait, noyée sous cette pression olfactive qui brouillait ses pensées. Dans un geste mécanique, elle abaissa la plume et signa. Trois fois.Une larme roula sur sa joue.Nigel reprit aussitôt les feuilles, les rangea dans sa sacoche sans un mot
Le soleil s’élevait à peine dans le ciel que Léonie se trouvait déjà dans son bureau, les mains jointes sous son menton, le regard fixe sur l’écran de son téléphone. La conversation qu’elle s’apprêtait à avoir n’était pas banale. Elle le savait. Mais elle n’en pouvait plus de rester les bras croisés.Elle inspira profondément avant de composer le numéro de son fils.Il décrocha au bout de quelques sonneries, la voix un peu sèche, à peine réveillée.— Maman ? Tout va bien ?— Non, Nigel. Rien ne va. Il faut qu’on parle.Un silence. Puis un soupir.— Je suppose que ça a à voir avec Ryse.— Bien évidemment. Elle m’a tout dit. Tu veux lui prendre son enfant, l’arracher à elle comme s’il s’agissait d’un objet ! Tu as perdu l’esprit ?Nigel resta un moment silencieux avant de répondre avec une étonnante froideur :— Je n’ai pas perdu l’esprit. C’est justement parce que je sais ce que je fais que je prends cette décision. C’est la meilleure chose à faire.— Meilleure pour qui ? Pour toi ? Po
Elle hésita, puis lui tendit son fils, les mains tremblantes. Elle alla s’asseoir dans le canapé pendant que Charles berçait le petit.— Il a les yeux de sa mère, dit-il doucement. Et son cœur aussi, j’espère…Ryse enfouit son visage entre ses mains, secouée par des sanglots silencieux.— Je ne veux pas qu’il me l’enlève, Charles. Il n’a jamais voulu de lui. Il a été cruel, froid, absent. Et maintenant, il vient me le voler. Comme si j’étais incapable. Comme si j’étais… rien.Charles la rejoignit sur le canapé, toujours tenant Rygel contre lui, et la regarda avec une intensité calme.— Écoute-moi bien. Tu n’es pas rien, Ryse. Tu es sa mère. Tu as tout sacrifié pour cet enfant. Tu l’as porté. Tu l’as aimé. Tu continues à te battre seule, chaque jour. Ce que Nigel fait… c’est lâche. C’est une tentative désespérée de contrôle. Mais il ne gagnera pas.Elle releva les yeux, pleins d’espoir mêlé à la peur.— Tu peux m’aider ?— Je vais tout faire pour, répondit-il d’un ton résolu. Je vais c
grande villa de Nigel baignait dans un silence paisible, brisé par les bruits de marteaux, de perceuses et de cartons qu’on ouvrait à la hâte. Dans une des pièces du deuxième étage, une armée de décorateurs installait ce qui serait bientôt la chambre de Nikola-Rygel.Éloïse tournait sur elle-même, observant chaque détail : les murs bleu pastel ornés de petits nuages en relief, le grand berceau blanc laqué, les meubles adaptés à la taille d’un nourrisson. Il y avait des peluches dans un coin, des vêtements pliés sur une commode, et un tapis moelleux en forme d’ours.Elle souriait de toutes ses dents, heureuse, presque euphorique.— C’est parfait, murmura-t-elle. Vraiment parfait.Nigel, appuyé contre l’encadrement de la porte, observait la scène sans dire un mot. Il n’avait pas participé aux choix de la décoration. Tout avait été confié à Éloïse, qui s’en était donné à cœur joie.— Tu vois, dit-elle en se retournant vers lui, tu n’avais pas à t’inquiéter. Rygel sera bien ici. Je me su