Chapitre 4 : Les Dents du Serpent
Assane
Je n’arrive pas à croire ce que je viens de voir.
Je suis passé tout près de l’implosion, tout près de tout détruire. Mais quand je vois Awa, là, toute perdue, les yeux pleins de cette culpabilité que je ne sais même plus si elle mérite vraiment, quelque chose en moi se tord.
Je pourrais la haïr. Je pourrais la fuir et la laisser s’enfoncer dans la folie de ses propres mensonges. Mais je l’aime encore, je l’aime comme je n’ai jamais aimé personne. Et cette putain de vérité, aussi douloureuse soit-elle, je ne peux pas l’ignorer.
Alors je rentre chez moi, seul, dans l’obscurité, comme un homme brisé.
La colère bouillonne en moi, m’étouffe.
J’ai été naïf, aveuglé par ma propre fierté, par l’idée que ma femme serait fidèle, qu’elle m’appartenait comme je lui appartenais. Mais je vois bien maintenant que tout ça n’était qu’une illusion.
Elle a choisi Malik.
Et je ne sais pas si c’est à lui qu’elle a donné son corps, mais c’est son âme qu’elle m’a volée. Il a pris ce qui était à moi. Et ça, je ne le pardonnerai jamais.
La nuit m’enveloppe comme une couverture froide, mais je ne m’arrête pas. Je marche à en perdre haleine, mon esprit tournant autour de ce même nom, ce même visage. Malik.
Je sais ce qu’il a fait. Il a vu une faille et il en a profité. Comme un serpent, il s’est glissé dans l’ombre de ma vie, et maintenant, il m’a tout pris. Il est ce qui se cache sous la surface, ce poison qui se répand lentement, jusqu’à ce qu’il me détruise entièrement.
Je m’arrête enfin au bord du lac, l’eau noire reflétant la lueur pâle de la lune. Le calme de l’endroit contraste avec l’agitation qui gronde en moi.
J’ai besoin de comprendre. Pourquoi ? Pourquoi a-t-elle choisi Malik ? Pourquoi a-t-elle trahi ce que nous avions construit ?
Je ferme les yeux. L’image de son sourire se forme dans mon esprit, mais je l’éclate, je la brise, je la réduis en poussière. J’imagine ses bras autour de lui, la douceur de son corps contre celui de mon frère, le regard qu’elle lui a donné…
Elle m’a trahi. Elle a choisi l’obscurité.
Je n’ai plus de place pour la douceur. Je n’ai plus de place pour l’amour.
Je n’ai plus de place pour elle.
— Assane…
La voix de Malik me fait sursauter.
Il est là, dans l’ombre, juste derrière moi.
Il est là. Il m’observe.
Je ne le regarde pas, mais je le sens, cette présence pesante derrière moi, cette chaleur qui empoisonne l’air.
— Tu as l’air perturbé, frère.
Il n’a pas changé. Toujours aussi calme, toujours aussi sûr de lui. Comme si la trahison était son quotidien. Comme s’il ne ressentait rien.
Je me retourne lentement, mes poings serrés.
— Tu oses encore me parler après tout ce que tu as fait ?
Je vois son sourire s’étirer sur son visage, une lueur d’amusement dans ses yeux. Il sait ce qu’il a fait. Il le sait et il s’en nourrit.
— Je vois que tu as compris, Assane. Mais tu devrais être plus calme. Il s’approche lentement, comme un prédateur qui prend son temps. Si tu veux la vérité, je te l’annoncerai sans détour.
Je le fixe. Chaque mot qu’il prononce m’irrite.
— La vérité ? La vérité, c’est que tu m’as pris ce qui m’appartenait, Malik. La vérité, c’est que tu as choisi de me trahir pour ta propre satisfaction. Tu t’es joué de moi, de ma femme, et tu crois que tout va bien se passer ?
Il s’arrête enfin à une distance suffisante, mais son regard ne vacille pas.
— Je ne t’ai rien pris, Assane. Il me regarde froidement, sans un remord. Je t’ai montré ce que tu étais trop naïf pour voir. Je t’ai montré qu’elle n’était jamais à toi. Elle n’a jamais été tienne. Tu t’es trompé depuis le début.
Je le regarde, une rage silencieuse brûlant en moi.
— Tu penses vraiment que tu peux m’échapper ? Je m’avance, mes bras tendus, mes yeux fouillant son visage pour y trouver la moindre trace de peur. Mais il n’en montre aucune. Tu crois vraiment que tu as le contrôle de cette situation ?
Il hausse un sourcil, mais son sourire persiste. Il est plus sûr de lui que jamais.
— Je ne suis pas celui qui a quelque chose à perdre, Assane. Il fait une pause. Tu vois, tu as été aveuglé par un amour qui n’était qu’un mirage. Tu t’es laissé duper. Et maintenant, tu veux te venger, mais tu sais au fond de toi que tu n’es pas prêt.
Il a raison. Je ne suis pas prêt. Pas encore.
Mais ça ne veut pas dire que je vais laisser cela se passer sans rien faire.
— Je ne te laisserai pas détruire ma vie.
Je me tourne brusquement et m’éloigne, ma tête pleine de nouvelles résolutions. J’ai pris ma décision. Je vais détruire cette mascarade.
Je vais tout réduire en cendres.
Et lui aussi.
CHAPITRE 124 — Ce qu’on a laissé trop longtemps dormir AWALe panneau de la capsule clignote. ACTIVATION EN COURSStabilisation génétique : 41%Éveil cognitif : IncompletLa température chute encore.Mais cette fois, le froid ne vient plus des murs.Il monte de l’intérieur.Un froid ancien, cellulaire.Comme si mon propre sang s’inversait.Je sens mes nerfs se tendre comme des câbles tirés à l’extrême.Ma peau devient une frontière.Entre ce que je suis… et ce que j’aurais pu être.Le silence devient dense.Presque vivant.Pas le silence de l’absence.Le silence d’une chose qui attend qu’on la regarde.Je braque mon arme.Pas par peur.Par nécessité.Je dois garder un point fixe.Quelque chose de simple. Un poids. Un centre.La vitre craque.Un bruit sec. Une ligne en zigzag.Un motif presque organique.Comme si le verre lui-même cherchait à respirer.Derrière : elle.Ma silhouette.Mon corps.Mais plus jeune.Plus calme.Trop calme.Ses yeux sont ouverts.Mais ce n’est pas une cons
CHAPITRE 123 — Ce qu’on ne veut pas retrouverAWALe sas se referme dans un souffle métallique.Un son trop lent pour être mécanique.Trop lourd pour n’être que technique.Comme un soupir étouffé.Devant moi : un tunnel de métal ancien.Murs rongés. Odeur de condensation stagnante.Un cliquetis diffus, régulier, pulse quelque part dans les entrailles du bunker.Ni horloge, ni machine.Un rythme sans nom. Organique.Je sors une lampe thermique.L’écran s’allume d’un bleu pâle.Les murs sont froids.Mais au sol…Des zones récentes.Des résidus de chaleur humaine, pâles et dispersés.Des empreintes dans le silence.Pas les nôtres.Je me retourne.Lorenzo tient debout. À peine.Son souffle est court.Une goutte de sueur file entre ses sourcils.Sa main crispée sur la canne. L’autre main tremble.Je murmure :— Tu peux encore reculer.Il me regarde, les pupilles noircies par la douleur.Mais sa voix reste calme :— Tu savais très bien que je ne reculerais pas.Je hoche la tête.Pas parce q
CHAPITRE 122— Ce qu’on ne veut pas retrouver---AWALe sas se referme dans un souffle métallique.Pas de lumière.Juste un cliquetis diffus, quelque part dans les entrailles du bunker.Je sors une lampe thermique.Les murs sont froids.Mais au sol, des zones récentes.Des empreintes humaines.Pas les nôtres.Je me retourne vers Lorenzo.Il se tient debout. Juste.Son souffle est court. Sa main crispée sur la canne.— Tu peux encore reculer, murmuré-je.Il secoue la tête.— Tu savais très bien que je ne reculerais pas.Je hoche la tête.Et j’ouvre la première porte.---SECTEUR A — OBSERVATIONDes vitres blindées, craquelées par le temps.Derrière, des cellules.Certaines contiennent encore des silhouettes…Pas humaines.Pas tout à fait mortes non plus.Je coupe l’alimentation de sécurité.Un verrou cède dans un claquement sec.Nous entrons.Des dossiers traînent au sol.Des photos imprimées.Des visages.Certains flous, masqués par des codes-barres.D’autres reconnaissables.Je m’age
CHAPITRE 121 — Ce qui brûle encoreLORENZOJe me réveille avec un goût métallique dans la bouche.Et une certitude, collée au fond de mes os comme une écharde :Elle est partie.Pas en mission.Pas pour quelques jours.Pour de bon.Je reste allongé quelques secondes, immobile.Écouter le silence est pire que d’écouter la douleur.Il n’y a plus rien dans cette chambre que le souffle lent des machines, le clignotement régulier d’un moniteur cardiaque, et cette sensation d’abandon, plus glaciale que la morphine injectée dans mes veines.Je tourne la tête.La chaise près de mon lit est vide.Elle ne l’a pas quittée depuis des jours.Même dans son sommeil, son corps était tendu, prêt à bondir.Mais cette nuit, elle est partie. Sans un mot. Sans un contact.Elle a fait ce qu’elle sait faire.Disparaître avant que ça saigne trop.Je serre les draps. Ils sont encore froissés sur le bord.La trace d’elle.Et je ressens une colère sourde.Pas contre elle.Contre ce monde qui l’a rendue ainsi.C
CHAPITRE 120 — Le protocole du sangAWALa nuit est tombée sur Kyari, lourde et grise.Une de ces nuits qui effacent les lignes entre les vivants et les morts.Je suis dans le secteur Est.Zone industrielle.Bloc F27, ancienne usine désaffectée.Le premier nom.Le premier de la liste.Milo Kessan.Identité actuelle : technicien en cybersécurité pour un conglomérat pharmaceutique.Ancien opérateur du projet Phase Noire.Statut : dormant probable.J’ai attendu quatre heures dans l’ombre.Observé ses habitudes.Noté chaque tic nerveux.Chaque variation dans ses allées et venues.À 22h43, il entre dans l’ancien hangar.Seul. Comme d’habitude.Je me fonds dans la pénombre.Le froid me mord, mais mon corps ne frissonne pas.J’avance.Pas après pas.Ma respiration se synchronise avec mes souvenirs. Entraînement. Module 3.Neutraliser sans bruit. Observer les inflexions. Analyser les angles d’entrée. Les failles musculaires. Les humeurs avant l’impact.Je me souviens de tout.Même de ce que
CHAPITRE 119 — Ce que je n’ai pas vu venirLORENZOL’odeur de l’antiseptique me colle à la gorge.J’ai l’impression d’être resté coincé dans une même seconde étirée jusqu’à l’absurde.Tout est ralenti.Les bruits, la lumière, le souffle.Mais elle, je l’ai reconnue tout de suite.Awa.Même si je ne pouvais pas parler. Même si mes yeux ne se sont ouverts qu’un instant.C’était elle. Son odeur. Sa main. Son silence.Et cette promesse qu’elle garde toujours au fond de la gorge, comme une lame retournée.« Je vais régler ça. »Je l’ai entendue.Mais c’est ce que je n’ai pas entendu qui m’inquiète.Je suis seul maintenant.Enfin, presque.Il y a la machine qui mesure mes battements.La lumière qui filtre à travers le vitrage mat.Et cette tension dans l’air, comme si le bâtiment tout entier retenait son souffle.Je bouge légèrement.Mon ventre me lance.C’est net. Précis.Une brûlure localisée. Propre. Comme la morsure d’un animal bien dressé.Je ferme les yeux.Et je me souviens.FLASHUn