Chapitre 3 : Le venin du doute
Assane
Je la regarde dormir.
Ou plutôt, faire semblant de dormir.
Sa respiration est trop irrégulière, son corps trop tendu. Je vois ses paupières frémir parfois, comme si elle se battait contre ses propres pensées.
Elle croit que je ne vois rien, que je me laisse aveugler par mon amour pour elle.
Mais Awa oublie une chose essentielle : je ne suis pas un homme aveugle.
Cela fait des semaines que je remarque des changements en elle. Des silences trop longs, des gestes plus prudents, une façon d’éviter mon regard. Et puis, il y a cette tension, ce frisson qu’elle ne peut réprimer quand il est là.
Malik.
Mon propre frère.
Une rage sourde monte en moi, un poison qui se propage lentement, mais sûrement.
Elle croit peut-être que je ne vois rien, que je suis trop occupé avec mon travail, avec la famille, avec le village. Mais Awa ne comprend pas que lorsqu’un homme sent qu’on lui arrache ce qui est à lui, il ne dort plus. Il observe.
Et j’observe.
Je me redresse lentement, quittant la natte où nous dormons. Mes pieds touchent la terre fraîche, mais je n’y prête pas attention. J’ai besoin d’air.
Dehors, la nuit est noire, pesante. Loin des habitations, le chant des criquets se mêle aux bruissements du vent.
Je marche sans bruit, mon esprit bouillonnant.
Depuis quand cela dure-t-il ?
Je veux croire que je me trompe, que je suis un fou paranoïaque jaloux de son propre frère.
Mais les regards qu’ils échangent, ces moments où elle s’éclipse trop longtemps… ça ne peut pas être une coïncidence.
Mon père disait toujours : Un homme qui doute est un homme déjà trahi.
Je serre les poings.
Non.
Si Awa a trahi mon amour, alors je la briserai avant qu’elle ne me détruise.
---
Le matin, elle agit comme si tout allait bien.
Elle m’accueille avec un sourire timide, prépare le petit-déjeuner, discute des tâches du jour.
Elle pense que je vais gober son masque.
Je la laisse croire que oui.
Je l’embrasse sur le front comme d’habitude, je plaisante légèrement, je joue mon rôle. Mais en moi, quelque chose s’est déjà fissuré.
Quand elle sort du village avec son panier, je la suis.
Je veux voir où elle va.
Avec qui.
Je me cache entre les arbres, avançant sans bruit.
Son chemin est familier. Trop familier.
Vers la rivière.
Mon souffle se coupe un instant.
Et puis, je le vois.
Lui.
Malik est déjà là, appuyé contre un arbre, l’attendant comme un voleur dans la nuit.
Awa ralentit, regarde autour d’elle.
Puis, elle s’approche.
Mon sang devient du feu.
Je m’accroupis derrière un tronc, mes yeux rivés sur la scène.
— Tu es sûr qu’il ne se doute de rien ? demande Malik à voix basse.
— Je ne sais pas, souffle Awa.
Son ton tremble.
Malik pose une main sur son bras.
Elle ne le repousse pas.
Elle ne le repousse pas.
C’est tout ce que j’ai besoin de voir.
Je tourne les talons, la rage hurlant dans mes veines.
Elle m’a trahi.
Et pour ça, elle paiera.
Awa
Je suis perdue.
Je sais que je me perds, que je m’enfonce dans un abîme dont je ne reviendrai peut-être jamais. Mais je n’ai pas le choix, n’est-ce pas ?
Je ferme les yeux un instant, me forçant à respirer lentement. Le parfum de la terre humide de la rivière emplit mes narines. Je suis là, seule, avec Malik, et je me demande si tout cela vaut vraiment la peine. Si c'est la vie que j'ai choisie ou si c'est le poison du doute qui me ronge petit à petit.
Malik est à mes côtés. Il ne dit rien. Il n'a jamais besoin de parler. Il est simplement là, à attendre que je me perde de plus en plus, que je tombe un peu plus dans ses bras, dans son monde.
Mais je suis toujours consciente, toujours lucide, un peu plus chaque jour.
Malik... Malik... J'aimerais le repousser, tout effacer. Mais une partie de moi... une partie de moi est attirée par la noirceur de son âme, par la manière dont il me fait oublier tout le reste.
Je baisse la tête. Un instant de faiblesse. Mais j’ai l’impression qu’il m’enferme à chaque regard, qu’il me lie à lui. J’ai l’impression d’être devenue une simple marionnette, et je déteste ça.
Un bruit dans les buissons.
Je me fige.
C’est lui.
Je me retourne brusquement. Mais il n’est pas là. Il s’est retiré. Il m’a laissée seule.
L’angoisse m’envahit. Pourquoi cette peur ? Pourquoi suis-je incapable de me débarrasser de ce sentiment qui m’étouffe à chaque instant où je pense à lui ? À Assane ?
Je n’ai plus de repères.
Je suis en train de sombrer dans une folie douce.
— Awa.
La voix, grave et basse, m’arrache de mes pensées.
Assane.
Je lève la tête et je le vois, là, à quelques mètres, dans l’ombre des arbres. Ses yeux sont sombres, froids. Il me regarde sans un mot. Mais je sens la tension, je sens la colère dans son regard. Il n’a pas besoin de parler.
Je suis prise au piège.
J’ai honte. Mais c’est une honte qui me ronge et que je ne peux plus ignorer. Le poison de la culpabilité est bien plus violent que tout ce que j’ai ressenti jusqu’ici.
Assane avance lentement, chaque pas résonne comme un coup de tonnerre.
Je veux m’excuser, expliquer, mais les mots me manquent. Que puis-je dire de toute façon ? Que faire face à un homme qui vous regarde comme si vous étiez la plus grande des traîtresses ?
Il s’arrête devant moi, son visage impassible. Il est si proche, je peux sentir la chaleur de son corps, mais il est si distant.
— Tu penses que je ne sais rien ?
Sa voix est douce, presque calme, mais j’entends la douleur cachée derrière ses mots.
Je me sens aussi vulnérable qu’une enfant prise en faute. Je ne trouve rien à dire. Rien qui puisse réparer ce que j’ai brisé.
— Assane, je... je ne voulais pas...
— Tu ne voulais pas ? Il s'approche encore plus près, et je recule d’un pas, le cœur battant. Tu ne voulais pas quoi ? Trahir ton mari ? Me faire croire que tout allait bien, que je n’étais qu’un homme innocent ?
Il y a une lueur dans ses yeux. Une lueur que je connais bien. La colère. Et cette colère me terrifie.
— Ce n’est pas ce que tu crois.
C’est tout ce que je parviens à dire. Mais cela sonne faux, même à mes propres oreilles. Je peux voir son regard se durcir encore plus, comme s’il allait m’écraser sous le poids de sa déception.
— Tu es incapable de me mentir, Awa.
Il se tourne brusquement et s’éloigne.
Mais au moment où il s’apprête à disparaître dans l’ombre de la forêt, il se retourne et me fixe, les yeux brûlants.
— Je t’aime, Awa. Mais si tu me trahis encore, si tu me mens encore une seule fois, je ne serai plus là.
Je ferme les yeux. Il sait tout.
Je suis perdue.
CHAPITRE 124 — Ce qu’on a laissé trop longtemps dormir AWALe panneau de la capsule clignote. ACTIVATION EN COURSStabilisation génétique : 41%Éveil cognitif : IncompletLa température chute encore.Mais cette fois, le froid ne vient plus des murs.Il monte de l’intérieur.Un froid ancien, cellulaire.Comme si mon propre sang s’inversait.Je sens mes nerfs se tendre comme des câbles tirés à l’extrême.Ma peau devient une frontière.Entre ce que je suis… et ce que j’aurais pu être.Le silence devient dense.Presque vivant.Pas le silence de l’absence.Le silence d’une chose qui attend qu’on la regarde.Je braque mon arme.Pas par peur.Par nécessité.Je dois garder un point fixe.Quelque chose de simple. Un poids. Un centre.La vitre craque.Un bruit sec. Une ligne en zigzag.Un motif presque organique.Comme si le verre lui-même cherchait à respirer.Derrière : elle.Ma silhouette.Mon corps.Mais plus jeune.Plus calme.Trop calme.Ses yeux sont ouverts.Mais ce n’est pas une cons
CHAPITRE 123 — Ce qu’on ne veut pas retrouverAWALe sas se referme dans un souffle métallique.Un son trop lent pour être mécanique.Trop lourd pour n’être que technique.Comme un soupir étouffé.Devant moi : un tunnel de métal ancien.Murs rongés. Odeur de condensation stagnante.Un cliquetis diffus, régulier, pulse quelque part dans les entrailles du bunker.Ni horloge, ni machine.Un rythme sans nom. Organique.Je sors une lampe thermique.L’écran s’allume d’un bleu pâle.Les murs sont froids.Mais au sol…Des zones récentes.Des résidus de chaleur humaine, pâles et dispersés.Des empreintes dans le silence.Pas les nôtres.Je me retourne.Lorenzo tient debout. À peine.Son souffle est court.Une goutte de sueur file entre ses sourcils.Sa main crispée sur la canne. L’autre main tremble.Je murmure :— Tu peux encore reculer.Il me regarde, les pupilles noircies par la douleur.Mais sa voix reste calme :— Tu savais très bien que je ne reculerais pas.Je hoche la tête.Pas parce q
CHAPITRE 122— Ce qu’on ne veut pas retrouver---AWALe sas se referme dans un souffle métallique.Pas de lumière.Juste un cliquetis diffus, quelque part dans les entrailles du bunker.Je sors une lampe thermique.Les murs sont froids.Mais au sol, des zones récentes.Des empreintes humaines.Pas les nôtres.Je me retourne vers Lorenzo.Il se tient debout. Juste.Son souffle est court. Sa main crispée sur la canne.— Tu peux encore reculer, murmuré-je.Il secoue la tête.— Tu savais très bien que je ne reculerais pas.Je hoche la tête.Et j’ouvre la première porte.---SECTEUR A — OBSERVATIONDes vitres blindées, craquelées par le temps.Derrière, des cellules.Certaines contiennent encore des silhouettes…Pas humaines.Pas tout à fait mortes non plus.Je coupe l’alimentation de sécurité.Un verrou cède dans un claquement sec.Nous entrons.Des dossiers traînent au sol.Des photos imprimées.Des visages.Certains flous, masqués par des codes-barres.D’autres reconnaissables.Je m’age
CHAPITRE 121 — Ce qui brûle encoreLORENZOJe me réveille avec un goût métallique dans la bouche.Et une certitude, collée au fond de mes os comme une écharde :Elle est partie.Pas en mission.Pas pour quelques jours.Pour de bon.Je reste allongé quelques secondes, immobile.Écouter le silence est pire que d’écouter la douleur.Il n’y a plus rien dans cette chambre que le souffle lent des machines, le clignotement régulier d’un moniteur cardiaque, et cette sensation d’abandon, plus glaciale que la morphine injectée dans mes veines.Je tourne la tête.La chaise près de mon lit est vide.Elle ne l’a pas quittée depuis des jours.Même dans son sommeil, son corps était tendu, prêt à bondir.Mais cette nuit, elle est partie. Sans un mot. Sans un contact.Elle a fait ce qu’elle sait faire.Disparaître avant que ça saigne trop.Je serre les draps. Ils sont encore froissés sur le bord.La trace d’elle.Et je ressens une colère sourde.Pas contre elle.Contre ce monde qui l’a rendue ainsi.C
CHAPITRE 120 — Le protocole du sangAWALa nuit est tombée sur Kyari, lourde et grise.Une de ces nuits qui effacent les lignes entre les vivants et les morts.Je suis dans le secteur Est.Zone industrielle.Bloc F27, ancienne usine désaffectée.Le premier nom.Le premier de la liste.Milo Kessan.Identité actuelle : technicien en cybersécurité pour un conglomérat pharmaceutique.Ancien opérateur du projet Phase Noire.Statut : dormant probable.J’ai attendu quatre heures dans l’ombre.Observé ses habitudes.Noté chaque tic nerveux.Chaque variation dans ses allées et venues.À 22h43, il entre dans l’ancien hangar.Seul. Comme d’habitude.Je me fonds dans la pénombre.Le froid me mord, mais mon corps ne frissonne pas.J’avance.Pas après pas.Ma respiration se synchronise avec mes souvenirs. Entraînement. Module 3.Neutraliser sans bruit. Observer les inflexions. Analyser les angles d’entrée. Les failles musculaires. Les humeurs avant l’impact.Je me souviens de tout.Même de ce que
CHAPITRE 119 — Ce que je n’ai pas vu venirLORENZOL’odeur de l’antiseptique me colle à la gorge.J’ai l’impression d’être resté coincé dans une même seconde étirée jusqu’à l’absurde.Tout est ralenti.Les bruits, la lumière, le souffle.Mais elle, je l’ai reconnue tout de suite.Awa.Même si je ne pouvais pas parler. Même si mes yeux ne se sont ouverts qu’un instant.C’était elle. Son odeur. Sa main. Son silence.Et cette promesse qu’elle garde toujours au fond de la gorge, comme une lame retournée.« Je vais régler ça. »Je l’ai entendue.Mais c’est ce que je n’ai pas entendu qui m’inquiète.Je suis seul maintenant.Enfin, presque.Il y a la machine qui mesure mes battements.La lumière qui filtre à travers le vitrage mat.Et cette tension dans l’air, comme si le bâtiment tout entier retenait son souffle.Je bouge légèrement.Mon ventre me lance.C’est net. Précis.Une brûlure localisée. Propre. Comme la morsure d’un animal bien dressé.Je ferme les yeux.Et je me souviens.FLASHUn