Le silence pesait lourd dans l’appartement modeste que Livia occupait depuis son arrivée à Paris. Les murs blancs semblaient se refermer sur elle alors que ses yeux étaient rivés sur l’écran lumineux de son téléphone. Un nouveau message venait d’apparaître, aussi glaçant que les deux précédents.
“Quitte cet endroit tant qu’il en est encore temps.”
Elle relut la phrase encore et encore, ses doigts crispés sur l’appareil. Son cœur accélérait, ses pensées s’emballaient. Qui pouvait bien lui envoyer ça ? Et pourquoi ? Une part d’elle voulait en parler, chercher de l’aide, mais à qui ? Certainement pas à Raphaël. Leur relation professionnelle, déjà teintée de tensions étranges, ne permettait pas ce genre de confidence.
Depuis la fameuse soirée où elle l’avait sauvé d’un scandale médiatique, Raphaël avait changé d’attitude. Il était devenu encore plus distant, ses rares paroles froides comme l’acier. Tu dois rester concentrée, se dit-elle. Ce n’est qu’une tentative pour te déstabiliser. Elle rangea son téléphone dans son sac et fit quelques pas pour évacuer la peur qui lui nouait l’estomac.
— Moreau, dans mon bureau, maintenant, ordonna Céline d’un ton qui ne laissait aucune place à la discussion.
Livia la suivit, ses talons claquant légèrement sur le sol, le cœur battant plus fort à chaque pas. Céline referma la porte derrière elles et se posta devant elle, un dossier épais à la main.
— Monsieur Valcourt souhaite que vous révisiez ce dossier confidentiel. Vous devez le relire, corriger les éventuelles erreurs et le déposer sur son bureau avant midi. C’est clair ?
— Oui, répondit Livia d’une voix qu’elle tenta de rendre assurée.
— Bien, dit Céline avec un sourire énigmatique. Ne vous trompez pas.
Installée à son bureau, Livia se plongea dans la tâche. Elle vérifia chaque ligne avec soin, corrigea des coquilles mineures, s’assura que la mise en page était parfaite. Lorsqu’elle leva les yeux, il était déjà midi moins dix. Elle se précipita vers le bureau de Raphaël, le dossier serré contre elle.
Elle obéit et referma la porte derrière elle. L’atmosphère dans la pièce était plus lourde qu’à l’accoutumée. Raphaël, assis derrière son bureau, tenait le dossier entre ses mains. Ses yeux sombres se posèrent sur elle, froids et perçants.
— Savez-vous ce qu’il y avait dans ce document ?
— Oui, monsieur. J’ai vérifié chaque ligne avec soin.
Un silence pesant suivit ses mots.
— Votre “soin” ?
Il jeta le dossier sur la table. Les pages se dispersèrent sur le bois vernis, certaines annotées de corrections qui n’étaient pas de Livia.
— Certaines informations sont fausses, lâcha-t-il d’une voix glaciale. Savez-vous qu’une seule erreur aurait pu coûter plusieurs millions à cette entreprise ?
Livia blêmit, secoua la tête, la gorge nouée.
— Je… je n’ai rien changé à part quelques fautes mineures. Je vous le jure.
— Alors vous êtes soit naïve, soit stupide, répliqua Raphaël en se levant brusquement, sa haute silhouette projetant une ombre sur elle. Mais…
Il s’interrompit, ses yeux sombres la détaillant avec une intensité troublante.
— Mais je n’arrive pas à vous détester.
Ces mots, bien qu’emplis de reproche, la frappèrent comme une onde de chaleur. Elle baissa les yeux pour cacher le désordre dans son cœur.
— Sortez, Moreau. Et soyez plus vigilante à l’avenir.
Livia quitta la pièce à pas rapides, tremblante. Dans le couloir, elle s’adossa contre un mur, tentant de reprendre son souffle. Quelqu’un m’a piégée. Le sourire de Céline, plus tôt, lui revint en mémoire. Cette femme avait été trop prompte à lui confier ce dossier.
— Non. Pas encore. Elle ne doit jamais apprendre la vérité.
Livia sentit son cœur se serrer. De quelle vérité parle-t-il ?
Elle recula lentement, le souffle court, priant pour que le parquet ne trahisse pas sa présence. Une chose était certaine : Raphaël cachait bien plus qu’elle ne l’avait imaginé.
La porte se referma derrière Raphaël dans un claquement sec, et le silence retomba dans l’appartement comme un drap mortuaire. Livia resta un instant immobile, la paume tournée vers le ciel, l’écrin noir ouvert à ses pieds. La pluie martelait la fenêtre fraîche, dessinant sur la vitre des arabesques argentées qui miroitaient sous le réverbère.Elle releva lentement les yeux vers lui. Son costume noir était froissé, et son visage portait les stigmates d’une nuit blanche : cernes, traits tirés et un regard où se mêlaient la douleur et l’espoir.— Livia… commença-t-il, la voix étranglée.Elle serra l’alliance dans sa main comme si elle en ressentait le poids physique : chaque ligne gravée, chaque mot oublié, lui revenait en mémoire via ce seul anneau.— Pourquoi ce cadeau ? demanda-t-elle, la mâchoire serrée. Pourquoi maintenant ?Raphaël s’approcha, et son ombre se profila, immense, sur le mur derrière elle.— Parce que je voulais t’offrir la vérité… et la promesse d’un avenir que nous
Livia poussa la porte de son appartement avec la sensation qu’elle basculait au bord d’un gouffre invisible. Les murs, jadis familiers, semblaient se refermer sur elle, étouffant les souvenirs heureux d’une vie qui s’étiolait. Elle déposa son sac avec un soupir lourd, laissant échapper un éclair de fatigue pure. Les volets étaient tirés. La pièce baignait dans une semi-obscurité où se mêlaient l’odeur du café renversé et la poussière accumulée.Elle erra jusqu’à la fenêtre, laissa ses doigts effleurer le rebord froid. Dehors, la lumière jaune des lampadaires léchait le trottoir humide, tandis qu’une fine bruine tombait sans pitié. Chaque goutte semblait murmurer la même question : Où trouver un sens à tout ça ?Dans un sursaut, la sonnerie de l’interphone la ramena à la réalité. Livia ne fit aucun geste. Quelques secondes s’égrenèrent, intenses, puis un nouveau bip retentit. Ce fut Victor, implacable dans son professionnalisme, qui se présenta à l’écran.— Mademoiselle Moreau, Raphaël
Le brouhaha feutré du café du quartier Saint-Germain enveloppait Livia et Raphaël alors qu’ils s’installèrent dans un recoin isolé, à l’écart du passage. Le parquet grinça sous leurs pieds, la fumée légère des machines à expresso tissant un voile presque mystique dans l’air humide. Livia, la mâchoire serrée, n’osait croiser son regard. Raphaël sortit doucement un dossier relié de cuir, son nom — Livia Moreau-Valcourt — embossé en lettres discrètes sur la couverture.Elle sentit son cœur se suspendre. Il posa le dossier sur la table, chaque mouvement mesuré, presque cérémonial.— Je... je ne voulais pas que tu l’apprennes ainsi, murmura-t-il.Elle inspira lentement, ses doigts effleurant la bordure du dossier.— Alors explique-moi, ordonna-t-elle, la voix rauque.Raphaël fit glisser le cuir souple et ouvrit la première page. Des documents officiels, des extraits de testaments, des relevés de propriétés… Tout portait le sceau de Valcourt Industries et la signature de sa mère, suivie de
La rue était silencieuse, comme retenue dans un souffle, lorsque Livia frappa à la porte de l’appartement de son oncle. Le portail en fer forgé grinça sous son passage, et le léger crépitement de ses talons résonna dans la cour pavée, dessinant une musique discrète dans le calme du soir. D’un geste hésitant, elle frôla la poignée et entra, découvrant l’intérieur chaleureux baigné d’une lumière dorée.Son oncle, Pierre Moreau, se tenait près de la cheminée, une tasse de thé fumant entre ses mains. Ses traits étaient graves, marqués par les années et les secrets. Quand il aperçut Livia, un sourire doux se dessina sur son visage, avant de s’effacer rapidement, cédant la place à une inquiétude palpable.— Ma chérie, souffla-t-il, en posant sa tasse et en s’avançant vers elle. Qu’est-ce qui t’amène si tard ?Livia referma la porte derrière elle, jetant un coup d’œil aux étagères chargées de livres et aux photographies anciennes qui ornaient les murs. Elle serra le sac contre sa poitrine.—
De retour à Paris, le crépuscule peignait la Seine d’un rose pâle lorsque Livia sortit du TGV, le cœur battant. Chaque pavé, chaque réverbère semblait danser sous le poids de ses pensées. À ses côtés, Raphaël demeurait silencieux, enveloppé dans son manteau sombre, son regard noir scrutant l’horizon comme une sentinelle hantée.Le taxi la déposa devant son immeuble du Marais. Livia ouvrit la portière en premier et, sans un mot, gravit les marches de l’entrée, ses talons résonnant en échos solitaires. Raphaël la suivit, la mâchoire contractée. Une fois à l’intérieur, elle se retourna, l’éclat doré des appliques jetant des ombres dansantes sur les murs tapissés.— Pourquoi, Raphaël ? demanda-t-elle d’une voix brisée.Il s’arrêta à quelques pas, les mains enfoncées dans les poches.— Je n’avais pas le choix, souffla-t-il.Elle secoua la tête, la poitrine serrée.— Pas le choix ? Tu m’as privée de mes souvenirs, de ma vie. Tu as décidé à ma place.Raphaël leva les mains, le visage empli d
Un coup de feu claqua dans le hall, net, implacable, et tout bascula. Livia n’eut pas le temps de réagir : Raphaël la saisit par le bras et la jeta violemment au sol, son propre corps la recouvrant telle une muraille humaine. Le monde sembla se figer pendant une milliseconde : le feu incandescent dans la chambre d’hôtel, le velours cramoisi des fauteuils de réception, tout devint flou et distant, étranger à cette explosion de violence. Livia sentit la froideur du carrelage contre sa tempe, ses doigts agrippant nerveusement le tissu de son vêtement.— Reste à terre ! ordonna Raphaël, la voix rauque et grave, retentissant comme un ordre de combat.Mais la riposte était déjà en route. En un mouvement coordonné, Victor et deux agents de sécurité surgirent du vestibule, armes braquées. L’assaillant masqué, hurlant dans un râle sourd, pointait encore son arme à bout de bras, comme défiant tout et tous. Son masque noir, désormais taché de sueur et de poussière, voilait un visage déformé par