Cassandra
Le silence à l’intérieur de la voiture devient insupportable. Un silence lourd, épais, tranchant. Il vibre dans l’habitacle, se colle à ma peau, s’insinue dans ma gorge comme un poison lent. Je serre les dents. Je me force à respirer. Une inspiration. Une expiration. Mais rien ne calme l’effroi qui s’est niché dans mon ventre.
Noah ne parle pas. Il conduit, mâchoire contractée, regard fixé sur l’asphalte comme si chaque mètre parcouru était une réponse. Comme s’il pouvait rouler assez vite pour échapper à la vérité que je viens de lui balancer. Il est en colère. Je le sens. Dans sa posture, dans ses gestes secs, dans sa respiration trop régulière pour être naturelle. Mais ce n’est pas la colère qui me fait peur.
C’est ce qu’elle cache.
L’inquiétude.
Et quand Noah s’inquiète, c’est qu’il est déjà en train de chercher une solution. Un plan. Une porte de sortie. Il réfléchit, il calcule. Il m’a toujours protégée comme ça. Même quand je ne le méritais pas.
Je me recroqueville un peu plus sur le siège passager, les bras serrés autour de moi. Je grelotte. Il ne fait pas froid, pas vraiment. Mais mon corps, lui, n’a pas encore compris que je suis hors de danger immédiat. L’adrénaline commence à retomber et me laisse vide, fragile. Tremblante. J’ai envie de pleurer. De hurler. De frapper quelque chose. Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Pas avec lui. Si je craque, il croira que je suis à bout. Il croira que je ne peux plus tenir.
Et je dois tenir.
– Où on va ? je murmure, d’une voix étranglée.
Il cligne des yeux, comme s’il revenait d’un rêve — ou d’un cauchemar.
– Chez moi. C’est plus sûr.
Je hoche la tête. Pas de protestation. Pas de discussion. Il a raison. Son appartement est un sanctuaire, un bastion. L’un des rares endroits où j’ai déjà dormi sans craindre d’être égorgée dans mon sommeil. C’est dire.
Mais même ce bunker ne pourra rien contre la vraie menace.
Mon estomac se noue brutalement. J’ai du mal à respirer. Une pensée me traverse comme un coup de poignard.
Ezra.
Il était encore vivant quand j’ai fui. Blessé, peut-être inconscient. Je l’ai vu tomber. Je l’ai vu rester au sol pendant que je m’échappais. Mais il respirait. Il était là.
Mais pour combien de temps ?
– Tu crois qu’il… qu’il va parler ? je souffle, sans oser le regarder.
Noah ne répond pas tout de suite. Il serre un peu plus le volant, ses phalanges blanchies par la pression. Puis :
– Ezra est solide. Il sait ce qu’il risque. Il tiendra.
Mais il ne finit pas sa phrase. Il s’interrompt. Et je sais pourquoi.
– Mais Adrien est… ?
Il hésite. Cherche un mot qui ne serait pas une insulte. Un mot qui ne sonne pas comme un aveu de défaite.
– Persuasif, finit-il par lâcher.
Je ferme les yeux. Et l’image d’Adrien surgit, brutale. Son visage lisse, presque séduisant. Ses yeux noirs, si profonds qu’on s’y noie. Son calme glacial. Sa voix douce, tranchante comme un rasoir. Le genre d’homme qu’on écoute sans réfléchir. Qu’on suit les yeux fermés. Qu’on craint, même quand il sourit.
J’ai cru pouvoir le doubler. J’ai cru pouvoir lui voler ce qu’il protégeait. J’ai cru pouvoir fuir.
Quelle idiote.
La voiture s’engouffre dans un parking souterrain. Les néons grésillent au plafond, comme s’ils hésitaient à rester allumés. L’écho de nos pneus sur le béton sonne comme une alarme. Noah coupe le moteur. Un silence encore plus lourd retombe. Il se tourne vers moi.
– Tu vas me dire ce qu’il s’est passé, maintenant ? Toute l’histoire. Pas seulement des morceaux.
Je baisse la tête. Mes mains tremblent dans mon giron. J’ai peur. Pas de lui. De moi. De ce que j’ai fait. De ce que je suis devenue. Mais il mérite la vérité.
Alors je parle.
Je raconte la mission. La planque. Le transfert. Les documents interceptés. La liste. La descente qui a mal tourné. Ezra qui s’est fait prendre. Et moi, qui ai fui comme une lâche. Mais ce n’est pas tout.
Je ne lui dis pas encore ce que j’ai vu sur cette liste. Pas tout. Pas les noms. Pas son nom.
Noah m’écoute sans m’interrompre. Quand j’ai terminé, il se lève lentement. Passe une main sur son visage, l’air de quelqu’un qui vient de comprendre qu’il est au bord d’un gouffre.
– Tu te rends compte de ce que t’as déclenché, Cass ?
Je hoche la tête. Oui. Je sais. Je l’ai su dès que j’ai appuyé sur “envoyer”.
– Il va tuer pour récupérer ce que tu as.
Je plonge ma main dans ma poche. Mon cœur se fige. Une seconde d’angoisse. Et puis je le sens : le petit disque dur. Toujours là. Toujours intact.
– Je l’ai encore.
Noah me fixe, comme s’il avait envie de me secouer. Un mélange d’incrédulité, de rage, et de… peur.
– Putain, Cass…
Il inspire profondément, tente de contenir sa colère. Puis il sort son téléphone.
– Je dois appeler quelqu’un.
– Qui ?
Il hésite. Trop longtemps.
– Quelqu’un en qui j’ai encore un peu confiance.
---
Adrien
Le vent me fouette le visage alors que je descends les escaliers métalliques du parking privé. Il fait nuit. Pas une nuit tranquille. Une nuit électrique, tendue. Chargée de présages.
J’ai laissé Ezra aux bons soins de mes hommes. Il ne dira rien ce soir. Mais demain… demain, il parlera. Je le briserai. Je les brise tous, à la fin.
Mais Cassandra… Cassandra n’est pas comme les autres.
Elle pense comme moi. Elle planifie. Elle observe. Elle sait que je la retrouverai. Que ce n’est qu’une question d’heures. De minutes, peut-être.
Elle n’aurait jamais dû fuir.
Je monte dans la voiture. Mon téléphone vibre. Je décroche.
– Elle est avec Noah, dit Clément, la voix tremblante.
Je ferme les yeux.
Évidemment.
– Tu es sûr ?
– On les a vus entrer ensemble dans un immeuble sécurisé, au sud du pont. Caméras partout. Aucun lien avec leurs identités. C’est bien planqué.
Je serre les dents. Bien sûr qu’elle irait vers lui. Noah, le bon soldat. L’éternel protecteur. Prêt à mourir pour elle. Il a toujours été prévisible.
– Ne fais rien pour l’instant. J’arrive.
Je raccroche. Le temps m’est compté. Chaque seconde compte. Si elle a copié les données… si elle les a transmises…
Non.
Elle ne l’a pas fait. Pas encore. Elle me connaît. Elle sait ce que je suis prêt à faire. Ce que je ferai. Elle sait que je n’ai aucune limite.
Et elle sait que je ne me contenterai pas de la punir.
Je détruirai tout ce qu’elle aime.
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Cassandra
Noah raccroche. Il s’est raidi. Son visage s’est fermé.
– On a une fenêtre. Une heure. Peut-être un peu plus. Ensuite, Adrien nous trouvera.
Je me lève. Mon cœur bat trop vite.
– Alors on bouge.
Il hoche la tête. Mais avant d’ouvrir la porte, il se fige. Se tourne vers moi. Me prend la main.
Son regard, un instant, n’est plus celui du stratège. Il redevient celui de l’homme. Celui qui m’a aimée. Peut-être m’aime encore. Malgré tout.
– Je t’ai dit un jour que je t’abandonnerais pas. Tu te souviens ?
Je le fixe. La gorge nouée. La mémoire pleine d’échos.
– Je m’en souviens.
Il sourit. Un sourire triste. Amer.
– J’espère que tu tiendras aussi ta promesse.
Je fronce les sourcils.
– Laquelle ?
Son regard se durcit. Redevient acier.
– Celle de ne plus jamais me mentir.
Et cette fois, je n’ai plus la force de répondre.
AdrienL’air de la forêt est lourd. Saturé d’humidité, chargé de souvenirs. Il pèse sur mes épaules comme une main invisible. Chaque pas réveille un craquement sous mes bottes, comme si la terre elle-même protestait contre ma venue. Clément marche à ma droite. Silencieux. Il a compris que je ne suis pas d’humeur à parler. Ce soir, ce n’est pas une mission. Ce n’est pas une chasse. C’est une leçon. Un dernier chapitre écrit avec des balles.Derrière nous, deux hommes suivent, visages peints de noir, armes à la main. Leur respiration est discrète, disciplinée. Je les ai choisis pour ça. Pas pour leur loyauté. Pour leur efficacité. Ils savent ce qu’on vient faire ici. Ils n’ont pas besoin qu’on leur dise que c’est une exécution.La maison apparaît entre les branches. Modeste, en retrait. Elle aurait pu être un refuge. Elle l’a été. Une fois. Un leurre. Une illusion offerte à Cassandra, comme une carotte à un animal méfiant. Je l’ai laissée croire. Parce que même l’espoir est une laisse,
CassandraLes roues tournent dans l’obscurité. La route file sous nous comme un serpent noir. Trop vite, pas assez. Chaque virage me donne l’impression qu’on est suivis. Chaque ombre me murmure des menaces. Noah garde les yeux rivés sur l’asphalte, les phares éteints. Il conduit comme un homme qui n’a plus peur de la mort. Comme un homme qui a trop attendu pour fuir. Comme un homme qui ne regarde plus derrière lui parce que ce qu’il a laissé est déjà en cendres.Moi, je serre le sac sur mes genoux, mes doigts crispés sur la fermeture. Dedans, il y a le disque dur. Dedans, il y a nos vies, nos preuves, nos derniers mots. Le cœur de la guerre, dans quelques grammes de plastique et de métal. Je le sens battre. Ou peut-être est-ce mon cœur. Je ne fais plus la différence.Je voudrais lui parler. Lui dire que j’ai peur. Que je ne veux pas mourir. Pas encore. Pas maintenant. Pas comme ça. Mais les mots restent coincés entre mes dents. Parce que si je parle, je vais trembler. Et si je tremble
CassandraOn quitte le parking sans un mot de plus, Noah en tête, moi sur ses talons. L’air de la nuit est glacé. Pas par la température. Par la peur. Elle s’infiltre partout, comme un brouillard épais. J’entends encore ses mots dans ma tête. Une heure. Peut-être un peu plus.Ce n’est rien, une heure. Soixante minuscules minutes. Une éternité, quand on attend la mort. Un éclair, quand on la fuit.On grimpe dans l’ascenseur. Je regarde notre reflet dans les parois de métal. Nos visages. Fatigués. Marqués. Le mien tremble à peine. Juste assez pour que je sache que je suis encore vivante.Noah compose un code. Une porte blindée s’ouvre sur un appartement épuré, trop bien rangé pour être un vrai chez-soi. Tout ici sent la cachette. Le repli stratégique. Le lieu où l’on soigne ses plaies et où l’on recharge ses armes.– Fais vite, me lance-t-il. Prends ce que tu veux. De quoi tenir quelques jours.– Et toi ? je demande.– Je prends le reste.Il se dirige vers une armoire murale. L’ouvre. À
CassandraLe silence à l’intérieur de la voiture devient insupportable. Un silence lourd, épais, tranchant. Il vibre dans l’habitacle, se colle à ma peau, s’insinue dans ma gorge comme un poison lent. Je serre les dents. Je me force à respirer. Une inspiration. Une expiration. Mais rien ne calme l’effroi qui s’est niché dans mon ventre.Noah ne parle pas. Il conduit, mâchoire contractée, regard fixé sur l’asphalte comme si chaque mètre parcouru était une réponse. Comme s’il pouvait rouler assez vite pour échapper à la vérité que je viens de lui balancer. Il est en colère. Je le sens. Dans sa posture, dans ses gestes secs, dans sa respiration trop régulière pour être naturelle. Mais ce n’est pas la colère qui me fait peur.C’est ce qu’elle cache.L’inquiétude.Et quand Noah s’inquiète, c’est qu’il est déjà en train de chercher une solution. Un plan. Une porte de sortie. Il réfléchit, il calcule. Il m’a toujours protégée comme ça. Même quand je ne le méritais pas.Je me recroqueville un
CassandraL’air est glacial, mais je ne le ressens presque pas. Mes poumons brûlent, mes muscles hurlent, mon cœur bat trop fort, mais je ne ralentis pas. Courir. Toujours courir. Si je m’arrête, je suis morte. Si je trébuche, je suis foutue.La ville s’étend devant moi comme un labyrinthe sans fin, un enchevêtrement de ruelles sombres, de néons vacillants et de silhouettes indistinctes qui se fondent dans la nuit. Je connais chaque détour, chaque passage oublié, chaque trou où disparaître. Mon instinct me guide mieux que ma raison. Derrière moi, les sirènes résonnent encore, déchirant le silence nocturne. Elles s’éloignent, mais pas assez. Pas encore.Je m’enfonce dans les bas-fonds, là où personne ne pose de questions. Les docks. Les entrepôts abandonnés. Un monde où l’ombre règne en maître, où les témoins se font rares et les morts disparaissent sans laisser de traces.L’entrepôt 17 se dresse enfin devant moi, silhouette massive et inquiétante contre le ciel étoilé. Mon souffle est
CassandraLa nuit tombe sur la ville. Je ne trouve pas le sommeil.Ezra est dans le salon, et moi, je tourne en rond dans la chambre qu’il m’a laissée.Il va venir.Et je ne sais pas ce que je veux.Être reprise par Adrien signifierait retourner dans une cage. Mais rester ici… c’est plonger dans une guerre entre deux hommes qui ne reculeront devant rien.Je m’approche de la fenêtre, écartant légèrement le rideau.Une voiture est garée en bas.Ils sont déjà là.Mon souffle se bloque.Je me retourne précipitamment.Ezra est déjà debout dans le salon, son téléphone à l’oreille, une arme à la main.Nos regards se croisent.L’attaque commence.---CassandraMon cœur bat trop vite. L’adrénaline monte en moi comme un poison. Chaque seconde s’étire, suspendue entre la panique et l’instinct de survie. J’entends déjà des pas lourds dans l’escalier. Ils sont là.Ezra verrouille la porte d’un geste sec, son regard tranchant fixé sur moi. Il ne parle pas tout de suite, mais son corps tendu, prêt à
Ezra coupe le moteur devant son immeuble. L’atmosphère est lourde, électrique. Cassandra reste silencieuse, le regard rivé sur le bâtiment comme si elle hésitait à y entrer. Elle sait que passer cette porte signifie franchir un point de non-retour.— On n’a pas le choix. Il sait déjà que je t’ai prise. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il agisse.Elle inspire profondément, ses doigts crispés sur le tissu de son manteau. Puis, sans un mot, elle ouvre la portière et sort de la voiture. Ezra la suit de près, scrutant les alentours du coin de l’œil. L’immeuble est calme, mais il sait que ce n’est qu’une illusion.Lorsqu’ils entrent dans l’appartement, une pénombre tamisée les enveloppe. Ezra referme la porte derrière eux et tourne les verrous. Il se tient immobile un instant, écoutant le silence. Pas de mouvement suspect. Pas de bruit inhabituel. Pourtant, il sait qu’ils ne sont pas en sécurité.— Fais comme chez toi.Cassandra ne répond pas. Elle reste figée près du canapé, les
CassandraMon souffle est court. Mon cœur bat à un rythme effréné, tambourinant contre ma poitrine comme un oiseau piégé. Adrien conduit sans un mot, son profil dur, sa mâchoire contractée.Je ne peux pas laisser ça arriver.Chaque minute qui passe me rapproche d’une cage dont je ne pourrais plus m’échapper. Mon regard glisse vers la porte de la voiture. Trop risqué. Mais je ne peux pas rester là, à attendre mon destin.« Adrien… »Il ne répond pas, fixant la route devant lui.« Tu crois vraiment que me forcer à t’épouser te rendra heureux ? »Un rictus amer déforme sa bouche.« Le bonheur n’a rien à voir avec ça. »« Alors quoi ? Le contrôle ? »Cette fois, il tourne la tête vers moi, et ce que je vois dans son regard me glace.« La certitude. »Je serre les poings. Il ne doute pas une seule seconde de ce qu’il fait. Il a décidé et, à ses yeux, il n’y a pas d’alternative. Mais moi, j’en vois une.« Tu fais une erreur. »Il rit doucement.« L’erreur, Cassandra, c’est de croire que tu
CassandraAssis en face de moi, son regard sombre me transperce en silence. Il ne dit rien, mais je sens son malaise, sa colère contenue. Ce que j’ai vu dans ses yeux cet après-midi n’était pas de l’indifférence.— Cassandra.La voix de Victor me ramène à la réalité. Je me redresse, posant ma fourchette.— Oui ?— Je suppose que mon fils t’a expliqué l’importance de votre union.Je sens Adrien me fixer. Il attend ma réponse.— Bien sûr.— Bien. Parce qu’ici, nous ne tolérons pas l’hésitation. Tu es une Morel, maintenant. Tu devras agir en conséquence.Sa voix est froide, tranchante. Ce n’est pas une mise en garde, c’est un ultimatum.Ezra lâche son verre un peu trop brusquement. Tous les regards se tournent vers lui.— Peut-être que Cassandra devrait avoir le choix.Silence.Adrien se tend, Victor le fusille du regard. La tension est palpable.— Je ne savais pas que tu avais ton mot à dire, Ezra.La voix de Victor est glaciale. Ezra soutient son regard sans flancher.— Je dis seulemen