AlessiaIl ne m’a pas adressé un mot.Mais il est resté.Je suis demeurée plantée au milieu du salon, les bras croisés contre ma poitrine nue, dissimulée à peine sous le tissu trop léger d’un t-shirt que je n’avais pas pris la peine de changer. J’étais descendue sans réfléchir, sans stratégie, comme on descend au combat — avec la peur logée dans la gorge, la dignité accrochée aux cils.Il était là. Bien sûr qu’il l’était.Assis dans l’ombre, les coudes posés sur les genoux, le dos voûté, la tête penchée comme si le poids du monde reposait sur ses épaules. On aurait dit une statue sculptée dans le silence, pétrifiée dans sa culpabilité.J’ai avancé. D’un pas mesuré, douloureux. Chaque foulée me coûtait quelque chose. Chaque mouvement arrachait un lambeau d’orgueil à ce qui restait de moi.— Je n’ai pas dormi, ai-je murmuré.Il a levé les yeux vers moi. Son regard n’exprimait ni surprise ni remords. Juste une présence nue, désarmée. Comme s’il le savait. Comme s’il n’avait pas dormi non
AlessiaIl m’a trouvée.Et je l’ai laissé entrer.Je devrais avoir honte.Je devrais avoir peur.Je devrais appeler ça une rechute, une faiblesse, un abandon.Mais non.J’appelle ça lui.Lorenzo.Il n’a rien dit. Il n’a rien exigé.Il est juste passé le seuil, détrempé, figé, comme un fantôme qui n’avait jamais vraiment quitté les lieux.Il a retiré son manteau. Lentement.Comme s’il voulait me laisser le temps de fuir.De me barricader.De changer d’avis.Mais je n’ai pas bougé.Il l’a déposé sur le dossier du fauteuil, avec cette lenteur pesante qui n’appartient qu’à lui. Celle qui rend chaque geste chargé. Chaque silence menaçant.Puis il s’est assis. Comme s’il n’était jamais vraiment parti. Comme s’il avait toujours eu la clé.Je suis restée debout. À distance.Mon cœur cognait trop fort dans ma poitrine.Pas à cause du froid. Pas uniquement.C’était autre chose. Un grondement sous la peau. Un feu sale et addictif qui ne s’éteint jamais vraiment.— Tu vas dire quelque chose ? je
LorenzoLa pluie me fouette le visage, mais je ne bouge pas.Parce que je sais qu’elle m’entend.Même de loin.Même quand elle prétend l’inverse.Je murmure son nom, cette fois.Pas comme une menace.Pas comme une prière.Comme une défaite.Alessia.Je t’ai détruite.Mais ce que je ne t’ai jamais dit,c’est que je me suis détruit avec toi.Et ce soir, je viens réclamer ce qu’il reste.De toi.De moi.De nous.AlessiaJe ne dors plus.Je n’essaie même plus.Je compte les fissures du plafond. Les battements de mon cœur. Les minutes jusqu’au matin.Mais le matin ne vient jamais vraiment.Il fait toujours sombre quand on a peur.Je suis revenue ici. Dans cette maison vide, celle de ma tante. Celle qui ne sent plus rien. Ni chaleur. Ni présence. Ni sécurité. Juste la poussière et les fantômes.Je laisse le chauffage éteint. Je veux sentir le froid.Celui de dehors. Celui de dedans.Peut-être qu’en grelottant assez fort, j’arriverai à faire taire l’envie de lui.Lorenzo.Je ne devrais même
EmilyJe me suis maquillée. Très lentement. Comme une armure. Chaque trait de khôl, chaque rougeur camouflée, chaque touche de fond de teint est une gifle à mon humiliation. Je me recompose. Je me repeins.Je redeviens la femme qu’il a choisie de regarder hier soir.Pas celle qu’il regrette ce matin.Quand j’entre dans la cuisine, il est déjà là.Assis.Immobile.Le regard dans le vide.Il tient une cigarette entre ses doigts, mais elle est éteinte.Je n’ose pas parler. Mes talons claquent. Il ne lève même pas les yeux.Mais je sens qu’il sait que je suis là.Il sait toujours.— Elle est partie, je murmure.Toujours ce silence.Mon cœur se comprime. J’ai froid. Ou chaud. Je ne sais plus.Je cherche ses yeux. Il me fuit.Je déteste ça.— C’est ce que tu voulais, non ? Qu’elle parte ?Rien.Et puis, un souffle. Presque un ricanement.— Ce que je veux, Emily… tu serais incapable de le comprendre.Il relève enfin les yeux vers moi.Et dans son regard… ce n’est pas de la haine.C’est pire.
AlessiaJe savais. Depuis le moment où j’ai entendu la porte claquer derrière moi. Depuis le silence trop lourd, trop chargé. Depuis le parfum qui n’était pas le mien dans sa chambre. J’ai su.Mais ce n’était pas la trahison qui me faisait trembler.C’était le fait de l’avoir laissé faire.Je m’étais levée ce matin-là avec un vertige au creux de la poitrine, comme une main invisible qui pressait contre mon sternum. Une intuition. Un souffle glacé sur ma nuque. J’ai marché dans cet appartement comme on traverse un champ de mines. Chaque pas une gifle. Chaque silence un hurlement.Il n’était plus seul.Je ne l’ai pas confronté. Je ne l’ai même pas regardé.Parce que regarder Lorenzo, c’est se perdre. Il t’arrache les pupilles pour y verser ses ténèbres. Et toi, tu crois que c’est de l’amour.Je suis partie.Sans bruit.Et pourtant, je hurlais à l’intérieur.Je me suis réfugiée dans un lieu sans nom, un appartement prêté par une amie qui ne posait pas de questions. Une planque sans miroi
LorenzoElle est accrochée à moi comme une morsure. Une morsure de possession. De revanche. Sa robe remonte sous mes paumes, ses hanches frémissent sous la colère. Ce n’est pas un baiser qu’elle m’offre : c’est une déclaration de guerre. Et moi, j’y réponds comme je sais le faire. Froidement. Brutalement. Sans une once de tendresse.Je la plaque contre la porte. Le bois gémit dans son dos. Elle respire fort, halète presque. Ses ongles se plantent dans ma nuque, puis glissent jusqu’à mes épaules. Elle veut griffer, marquer, mordre. Je la laisse faire. Je veux qu’elle croit qu’elle peut renverser la partie. Juste assez longtemps pour qu’elle oublie la règle essentielle : c’est moi qui distribue les cartes.— Dis mon nom, ordonne-t-elle, la voix tremblante d’un désir imbibé de rage. Rappelle-toi à qui tu appartiens.Je souris contre sa peau. Lentement. Cruellement. Mon souffle brûle son oreille. Une main sur sa gorge, juste pour qu’elle sente que sa vie m’appartient si je le décide. Just
LorenzoJe suis encore nu lorsqu’elle me regarde. Pas avec les yeux d’une amante. Avec ceux d’une femme qui sait. Qui voit. Qui comprend, trop peut-être.Le silence est revenu. Mais ce n’est plus celui du défi. C’est celui d’un entre-deux, fragile, suspendu, où tout peut basculer.— Bianca… souffle-t-elle, le regard accroché à mon visage fermé.Je me lève. Me rhabille lentement, presque mécaniquement. Comme un soldat qui enfile son armure après une nuit volée au champ de bataille.— Elle n’a pas le droit d’être là, je murmure.Mais c’est faux. Je le sais. Et Alessia le devine.Elle s’approche. Enfile sa chemise sur ses épaules. Mes doigts veulent l’arrêter, la retenir. Mais je me retiens. Parce que je sais ce qui vient. Parce que je le redoute autant que je le mérite.— Tu l’as laissée revenir ? me demande-t-elle sans hausser le ton.Je ne réponds pas tout de suite. Je cherche mes clés. Mon téléphone. Mon regard ne parvient pas à croiser le sien.— Je ne l’ai pas arrêtée, dis-je enfin
LorenzoLe silence d’Alessia s’imprime dans l’air comme une empreinte de feu.Ce n’est pas un silence de peur. Ni même de recul.C’est un silence qui me défie. Qui m’oblige à rester là, face à moi-même. Face à elle.Je referme la porte du sanctuaire derrière nous. Ce lieu que personne ne voit. Ce lieu où dorment les restes de ce que j’ai été. Les chaînes visibles, oui. Mais surtout celles que j’ai moi-même forgées, une à une, pour me protéger de ce qu’elle est en train de détruire : mon armure.Elle fait le tour lentement. Ses doigts glissent sur les cadres. Les lettres. Les traces.Elle ne dit rien.Et pourtant, je l’entends hurler à l’intérieur.Je m’assois. Parce que je sens que si je reste debout, je vais vouloir fuir. Et si je fuis, je la perds.— Tu n’as pas besoin de tout comprendre maintenant, dis-je.Elle me tourne le dos. Sa voix est calme, mais coupante.— Tu ne me diras plus ce dont j’ai besoin.Touché.Je la regarde, les mains jointes, le dos tendu.Alessia n’est pas comm
AlessiaLe silence est plus lourd que tous leurs mots.Il n’écrase pas seulement l’air entre nous, il pèse contre mes os, comme un poids que je ne sais plus porter.La pièce est vide à présent. Les murs suintent encore la mémoire de ce qu’il m’a montré, mais lui, il est déjà ailleurs. Comme si ce baiser n’avait jamais existé. Comme si ce moment de vulnérabilité brûlante n’avait été qu’un mirage vite effacé.Je le suis dans les couloirs sombres, encore une fois. Mais cette fois, mon cœur est lourd d’un feu nouveau. Un feu qui brûle de questions, de doutes. De colère. Ce n’est plus la curiosité qui m’anime. C’est le besoin vital de savoir si je suis en train de me perdre dans une illusion soigneusement construite ou si je suis, pour lui, une faille dans l’armure.Quand nous atteignons sa chambre, je me fige.— C’est ici que tu dors ?Il hoche la tête, l’air absent. Il retire sa veste, la pose sur le dossier d’un fauteuil de cuir. Les gestes sont précis, maîtrisés. Habituels. Mais je ne