Amara
Le silence est devenu oppressant, comme une chape de plomb tombant lentement sur nous. Le vent ne souffle plus, la forêt est figée. Chaque pas résonne de manière inquiétante sur le sol couvert de feuilles mortes, comme un écho annonciateur d’une menace invisible. L’air devient plus lourd, chargé d’une énergie sombre et palpable, et je sais que ce n'est qu'une question de temps avant que quelque chose ne vienne briser cette lourde tranquillité.
Selene serre son poing sur le manche de son épée, prête à dégainer, tandis que Thalia se positionne à ma gauche, son regard scrutant chaque recoin de la forêt. L’atmosphère est électrisée. Nous attendons, les muscles tendus, la menace imminente suspendue dans l’air. Et puis, un bruit, léger mais distinct, brise le silence. Un craquement. Une branche cassée sous le poids d’un corps.
Je vois les yeux de Eryx se plisser, son corps se tendant dans une vigilance parfaite, mais je note quelque chose de nouveau dans sa manière de se comporter. Il n'est pas seulement prêt à se battre ; il est terrifié. Ce n'est pas un simple instinct de survie, non, il connaît cette terre. Il a déjà ressenti cette présence.
Amara – « Eryx, qu’est-ce qui se passe ? »
Je n’ai même pas le temps d'ajouter quoi que ce soit que Selene réagit. Ses yeux se durcissent alors qu’elle tourne lentement la tête pour se concentrer sur Eryx. Elle semble comprendre avant même qu’il ne réponde.
Eryx – « C’est… c’est lui. »
Un frisson de terreur m’envahit, une angoisse profonde que je n’arrive pas à saisir pleinement. Eryx n’a pas besoin de dire de qui il parle. Je sais qu’il fait référence à l'entité qui a hanté son passé, ce spectre du péché qu’il porte sur ses épaules, cette créature qu’il fuit depuis si longtemps. Je peux voir la peur se peindre sur son visage. Il a toujours été un homme impitoyable, mais cette peur-là, je ne l’avais jamais vue.
Selene – « Nous devons partir, maintenant. »
Mais il est trop tard.
Du fond de la forêt, un murmure étrange, une voix faible mais métallique, parvient à nos oreilles. Ce n'est pas une langue que nous comprenons, mais la résonance du son frappe d'une manière étrange, comme un appel. Eryx s’immobilise, ses yeux écarquillés par une terreur palpable. Je vois une lutte se jouer dans son regard, une partie de lui désirant fuir, une autre part l’incitant à avancer.
Eryx – « Nous ne pouvons pas… il va nous rattraper. »
Ses mots tombent lourdement dans l’air, et je les sens comme une sentence. Un poids qui nous écrase tous. La créature, ce "lui", est plus proche qu’on ne le pense. Et le pire, c’est qu’il semble attendre quelque chose. Nous.
Je lève la main, une tentative d’apaisement, mais le vent commence à souffler de nouveau, comme pour nous avertir du danger imminent.
Amara – « Il faut tenir. Pas de fuite. On doit l’affronter. »
Thalia, toujours aussi déterminée, hoche la tête.
Thalia – « Je suis prête. Peu importe ce que c’est, on ne se laissera pas avoir. »
Selene, quant à elle, fait un signe de la tête, et je peux voir dans ses yeux qu’elle ressent aussi l’intensité du moment. Ce n’est pas seulement un combat physique qui nous attend, c’est aussi un combat mental, psychologique. La créature qui s’approche n’est pas simplement un ennemi : elle incarne tout ce que nous avons peur d’affronter. Nos démons. Nos échecs. Nos péchés.
Puis, au loin, une silhouette émerge lentement de l’ombre des arbres. Une forme floue, comme une ombre mouvante, qui semble se fondre dans la forêt elle-même. Il est grand, imposant, une silhouette noire contre l’obscurité qui semble engloutir le paysage. Son visage est presque impossible à distinguer, mais il émane de lui une aura de malveillance pure, une aura qui fait frissonner même les arbres.
Eryx – « C’est lui… »
La voix d’Eryx tremble cette fois. Il s’effondre presque sous le poids de la révélation. Il connaît cette créature, il sait ce qu’elle peut faire, et la terreur qu’il ressent est palpable, contagieuse.
Selene, avec une froideur calculée, dégainé son épée. Son regard reste fixé sur la silhouette, et je sais qu'elle est prête à tout, même à sacrifier une partie d'elle-même pour détruire ce qu'elle voit comme une abomination. Mais moi, je ne peux m'empêcher de me demander : est-ce vraiment la solution ? Combien de sacrifices devons-nous faire avant d’avoir droit à la rédemption ?
L’ombre se déplace, ses mouvements lents mais mesurés. À chaque pas qu’il fait, l’air semble se charger de plus en plus d’une énergie malsaine, comme si l’atmosphère elle-même se déformait sous son pouvoir. La lumière vacille autour de nous, la forêt elle-même semblant retenir son souffle.
Amara – « Il faut frapper maintenant ! »
Selene – « Attends… il est plus puissant que tout ce que nous avons affronté jusqu’à présent. Il va falloir utiliser plus que la force brute. »
Eryx fait un pas en arrière, puis un autre, comme si la simple idée de s’approcher de la créature était une trahison envers sa propre âme. Mais il sait aussi qu’il n’a pas le choix. Il a vécu dans l’ombre de cette créature trop longtemps pour ignorer l’inévitable.
Eryx – « Il… il sait tout de moi. Il… il ne me laissera pas partir. »
Sa voix est brisée, pleine de douleur et de résignation. Je comprends alors. Ce n’est pas simplement un monstre que nous devons combattre. Ce n’est pas un simple ennemi. Cette créature est l'incarnation de la faute d’Eryx, de tout ce qu’il a perdu, de toutes les vies qu’il a détruites dans sa quête de pouvoir et de vengeance. Il ne peut pas simplement la tuer. Il doit d'abord la regarder dans les yeux. Il doit confronter son propre passé pour pouvoir avancer.
Le vent se lève à nouveau, plus fort, comme un signe de la confrontation imminente. Nous n’avons plus le temps de tergiverser. C’est un choix. Un choix que nous devons faire maintenant.
Amara – « Nous devons l’affronter. Ensemble. Il n’y a pas de retour en arrière. »
Les ombres se resserrent autour de nous, et je sais que ce que nous sommes sur le point de faire pourrait tout changer. Nos vies, nos âmes, tout ce que nous avons construit, tout ce que nous avons perdu, va se jouer dans cette confrontation. Et je ne sais pas si nous en sortirons vivants. Mais nous n’avons pas le choix.
ThaliaLes premières lueurs de l’aube se glissent timidement à travers les arbres dénudés. Le ciel, jadis si sombre, porte maintenant les couleurs d’un nouveau commencement. Un bleu clair, presque irréel, se mêle à la lumière rosée qui effleure la terre encore chaude de la veille. Le vent a cessé, et la paix semble aussi fragile que le verre, mais elle est là. Pour l'instant, elle est là.Je marche seule parmi les ruines, mes pas écrasant doucement la cendre, la terre encore humide sous mes bottes. Un parfum doux, de terre, d’herbes et d’embruns, flotte dans l’air. La nature, elle, reprend son souffle. Elle se régénère lentement, tout comme nous. Nous avons appris, à travers nos blessures et nos combats, que la résilience ne se trouve pas dans l’absence de douleur, mais dans la capacité à la transformer, à la canaliser pour faire naître autre chose.Chaque matin, en ce moment, je me réveille avec l'impression de n'être qu'à moitié là. Une partie de moi reste dans le passé, prisonnière
ThaliaLes étoiles brillent, mais elles sont faibles ce soir.Le ciel n’a jamais été aussi vaste, ni aussi silencieux. Ce silence n’est plus celui de la mort, ni celui de l’attente. C’est celui de l’espoir naissant. D’une vie qui se tisse lentement sous la lueur des cieux dévastés.Je me tiens sur la colline qui surplombe le Bastion. La nuit est fraîche. L’air emporte avec lui le dernier souffle des ombres.Sous mes pieds, la terre a repris un peu de sa couleur, un peu de son souffle. Les herbes repoussent là où le feu est passé, timides mais résolues. La cendre n’a pas tout recouvert. La vie, au contraire, a pris ses racines, là où nous avons semé l’espoir.Je ferme les yeux et laisse le vent me frôler. Chaque brise me rappelle la promesse d’un monde réinventé. Ce n’est plus la guerre qui nous lie, mais la guérison. Et même dans les plus sombres recoins de mon âme, une petite lumière a commencé à briller. C’est une lumière fragile, mais elle existe.Je me retourne. Amara me rejoint,
ThaliaTousEt dans le silence d’après,parmi les ruines, les cendres, les souvenirs brûlés,nous respirons.Nous reconstruirons.Pierre après pierre.Souffle après souffle.Serment après serment.Parce que nous sommes encore là.Parce qu’ils n’ont pas tout pris.Parce que même dans l’oubli, le feu trouve toujours un chemin.Et ce feu…c’est nous.Je descends du rempart, les jambes engourdies, le cœur encore trop bruyant.Chaque pas est une épreuve, non à cause de la douleur, mais parce que la réalité pèse désormais plus lourd que la peur. Le silence n’est plus une menace : il est un appel. Une page blanche. Et j’ai peur de mal l’écrire.Le Bastion tient.Nous sommes vivants.Mais que fait-on de cette victoire, quand tout autour ne sont que ruines ?— Tu ne dors pas ? me demande Amara, en approchant doucement.Je secoue la tête, les yeux rivés sur l’ancienne cour d’entraînement, désormais jonchée de débris et de restes calcinés. Là, autrefois, résonnaient les cris d’effort, les rires
ThaliaJe tombe à genoux.Non par faiblesse.Mais parce que la terre m’appelle. Parce qu’elle respire encore.Parce qu’elle saigne avec nous.Sous mes doigts, le sol vibre, tiède. Vivant.Comme un cœur enfoui sous des siècles de silence.Elle nous a entendus.La source n’a pas disparu.Elle s’est tue pour survivre.Et aujourd’hui, elle palpite encore, fragile, mais présente.Chaque pulsation est une réponse. Une promesse.Je ferme les yeux et pose mon front contre la pierre.Elle sent la suie, le sang séché, le passé.Mais au creux de tout ça… une chaleur.Ancienne. Inaltérable.Les ombres ont fui, mais leur venin rôde encore dans l’air.Il s’infiltre dans les pierres, dans nos veines, dans nos souvenirs.Il faudra du temps pour tout purifier.Peut-être une vie entière. Peut-être deux.Peut-être qu’on ne verra jamais la fin de ce combat.Mais on a planté quelque chose, ici.Une racine. Un feu souterrain.— Tu vas bien ? demande Amara.Je relève les yeux.Son visage est noirci de cendr
ThaliaLe sol tremble sous mes pieds.Pas violemment. Non.Comme une bête qui se réveille. Un grondement profond, enroué, ancien, qui monte lentement des entrailles du monde.Chaque battement de mon cœur résonne dans les pierres du Bastion, dans ses veines minérales, comme un écho venu d’un autre âge.Je m’accroche à la rambarde. Mes doigts blanchissent. Pas de peur. D’instinct. D’animalité.Amara s’approche.Elle ne dit rien. Elle n’a pas besoin.Elle sait. Elle sent. Elle brûle du même pressentiment que moi.Je lis dans son regard la même chose que dans le mien :Nous avons trop attendu.— Leurs pas ne résonnent pas, je murmure, le souffle tremblant.— Ils glissent, souffle Amara. Comme des spectres.— Ou comme des souvenirs. Qui refusent de mourir.Je me redresse.Autour de nous, les murs sont tendus comme des nerfs à vif.Chaque fenêtre, chaque fente, chaque brèche devient un œil ouvert.On nous regarde.Pas eux. Quelque chose d’autre.Quelque chose de plus ancien, de plus affamé,
ThaliaJe sens la tension vibrer dans le marbre.Chaque veine de la pierre résonne comme une corde tendue à l’extrême.Ils sont là. Tout proches.Invisible présence. Respiration étrangère.Je ne sais pas combien. Je ne sais pas où.Mais je sais une chose : ils ne fuient jamais l’annonce. Ils la suivent. Toujours.Comme des charognards assoiffés d’un dernier souffle.Leur flèche, plantée dans le pilier central, tremble encore.Un serment. Un avertissement. Un ricanement de mort.Je fixe le message.L’encre n’a pas coulé.L’écriture est droite, presque élégante.Aucune rature. Aucun mot de trop.Juste une phrase.« Le Néant réclame ce qui lui appartient. »— Il faudra barricader les niveaux supérieurs, je dis.— Ce ne sera pas suffisant, répond Amara, le regard fixé sur l’extérieur.— Rien ne l’est jamais, murmure Selène.Mais ce n’est pas une plainte.C’est un fait. Une vérité gravée dans nos os.AmaraJe m’avance jusqu’aux vitraux brisés.Le vent s’y engouffre, froid et tranchant, por
EryxJe suis là.Derrière les colonnes.Dans l’ombre des pierres qui brûlent encore du souvenir de leur triomphe.Elles sont debout.Les trois.Inflexibles. Inaltérables. Incorruptibles.Leurs silhouettes découpent la lumière filtrée à travers les vitraux éclatés.Elles ne tremblent pas.Elles n’hésitent pas.Elles reconstruisent.Je devrais fuir.Je le sais.C’est ce que ferait un homme sensé. Un homme libre. Un homme qui ne porte pas le poids des trahisons dans sa poitrine.Mais je ne suis plus cet homme.Peut-être ne l’ai-je jamais été.Je reste.Cloué par une force que je ne comprends pas.Ou peut-être est-ce précisément ça, le sens de la loyauté : continuer à regarder ce qu’on ne peut pas affronter.Je les observe.La salle est silencieuse, et pourtant, chaque pas qu’elles font claque comme un tambour.Chaque mot devient loi. Chaque geste, promesse.Elles ne prennent pas le trône : elles le réveillent.Comme si leur présence rendait à ces murs leur mémoire, leur majesté oubliée.
ThaliaLa salle retient son souffle.Les pierres se souviennent.Les murs vibrent. Les colonnes tremblent.Ce n’est pas la peur. C’est la mémoire.Le souvenir du pacte ancien.Des serments brisés.Des reines chassées.Je suis assise.Et lui, l’homme au rire sec, ne rit plus.Il pensait que notre retour ne serait qu’un murmure.Mais nous sommes le grondement.Son regard vacille.Il recule, une main sur la garde de son épée, l’autre sur l’accoudoir du trône qu’il a profané.Ce trône ne lui appartient pas. Il ne l’a jamais fait.Il l’a volé aux morts et piétiné les vivants.— Vous n’êtes que trois, murmure-t-il. Trois femmes contre un royaume.Je penche légèrement la tête.Et dans ma voix, il n’y a ni colère ni pitié.Juste la vérité. Inflexible. Tranchante comme un souvenir trop longtemps refoulé.— Trois reines. Pas trois femmes. Trois tempêtes. Trois volontés forgées dans l’exil.Trois cicatrices devenues armes. Trois cendres redevenues flammes.Il tire son épée.Il croit encore que l
ThaliaLe jour s’est levé sur une terre qui n’a plus peur.Le camp est derrière nous. Les cris, le sang, les adieux étouffés par la fureur.Les morts nous regardent depuis les cendres. Mais ils ne nous retiennent pas.Nous marchons.Vers le nord. Vers ce royaume que nous avions abandonné.Ils l’appelaient le Bastion Blanc.Un trône taillé dans la roche, entre les neiges et les flammes.Une forteresse de femmes. D’armes. De serments.Un refuge bâti sur les serments et défendu par le sacrifice.Je l’ai laissé derrière moi. Trop jeune. Trop amoureuse. Trop fatiguée.Je pensais fuir la guerre. Je ne faisais que retarder l’inévitable.Mais il m’attendait. Comme la lame. Comme le cri.Et aujourd’hui, je reviens.Pas seule.Amara marche à mes côtés. Les épaules droites, le regard fixe.Selène ferme la marche, la lame toujours propre, toujours prête.Nos capes claquent dans le vent. Nos pas frappent la pierre avec la régularité des tambours.Nous portons le même silence. La même rage. La même