Amara
L’intensité de la bataille est telle que l’air semble vibrer autour de nous. L’obscurité s’épaissit à chaque instant, chaque mouvement, comme si la forêt elle-même devenait une entité vivante et hostile. Les créatures que la créature appelle à l’aide surgissent des ombres, déformant la réalité autour de nous. Des créatures semblant faites de brume et de cauchemar, leur forme à peine discernable, mais leur intention bien claire : notre destruction.
Mais nous ne cédons pas. Chaque coup de l’épée, chaque flèche tirée, chaque souffle que je prends me semble plus lourd, plus percutant, comme si nous poussions tous nos limites. Nous n’avons pas le choix. Ce n’est pas seulement la survie qui est en jeu, c’est l’âme même d’Eryx et, par extension, de nous tous. Nous devons le sauver, et en le sauvant, nous nous sauverons nous-mêmes.
Eryx, derrière moi, est en pleine furie. Il combat avec une violence pure, ses coups déchirant l’air, mais dans ses yeux, il y a quelque chose de plus : une libération. Il se défait de ses chaînes intérieures à chaque mouvement, à chaque créature qu’il abat. Son corps tout entier est une arme, mais c’est son esprit, son cœur qui se battent vraiment. Je le vois, il se redécouvre dans cette lutte, dans cette confrontation avec son passé. Il n’est plus l’ombre d’un homme fuyant ses erreurs. Il est devenu une force, une volonté inébranlable. Il est celui qu’il a toujours été, mais qu’il avait oublié.
Selene se bat à mes côtés, sans hésitation, sans peur. Son épée virevolte dans des arcs parfaits, découpant les créatures comme des ombres fragiles. Elle est maître dans l’art de la guerre, mais ce que je vois dans ses yeux va au-delà de la maîtrise de l’épée. C’est de la détermination, de l’amour aussi. Elle protège Eryx non seulement par devoir, mais parce qu’elle croit en lui. Elle croit qu’il peut encore changer, qu’il peut se libérer de son passé, de ses démons.
Thalia, quant à elle, est une ombre furtive. Elle se déplace comme un serpent, l’arc en tension constante. Chaque flèche qu’elle tire trouve sa cible, et chaque fois que l’une de ces créatures s’effondre, je vois un éclat de satisfaction dans ses yeux. Mais au fond, je sais que, comme nous tous, elle ressent aussi la pression de la situation. Le poids de la confrontation est lourd, et même elle, la plus froide de nous tous, ne peut échapper à cette réalité.
Amara – Il faut que ça s’arrête. Il faut que nous finissions cette bataille avant qu’il ne soit trop tard.
Je sais que la clé de cette victoire réside dans l’affrontement final. Tout autour de nous n’est qu’un prélude, une danse macabre avant l’apogée. Je le ressens dans chaque fibre de mon corps. Si nous tuons la créature, tout pourra enfin cesser. Mais cela implique une chose : un sacrifice. Je le sais. J’ai vu les signes, ressenti les murmures qui me traversent l’âme. Si nous vainquons, ce ne sera pas sans prix. Et je suis prête à le payer, car je n’ai pas le choix. Aucun de nous n’a le choix.
Selene – « Amara, fais attention. Il n’est pas seul. »
Je me retourne à temps pour voir une créature s’élancer vers moi, un cri perçant échappant de sa gorge difforme. Son corps est une masse de tentacules et de peau déformée, mais ses mouvements sont rapides, comme un éclair. Je bloque instinctivement son attaque, mon épée heurtant son armure de chair, mais je sens la puissance de l’attaque qui me propulse en arrière. Mes pieds glissent sur le sol, et je manque de tomber. Je n’ai pas le temps de me relever. La créature est déjà sur moi.
Mais une silhouette se place entre nous, un mur de protection. Eryx est là, son épée fend l’air avec une force incroyable, tranchant la créature en deux avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir. Ses yeux sont en feu, et son corps est recouvert de blessures, mais il n’y a pas de doute dans son regard. Il est vivant. Il est puissant. Et surtout, il est libre.
Eryx – « Je ne suis plus ce que j’étais. »
Je le regarde, et pour la première fois depuis des années, je vois un homme qui n’est plus enchaîné. Un homme qui se bat pour lui-même, pour ses amis, pour sa rédemption. Il est l’âme de cette bataille, et je sais qu’il a pris une décision cruciale. C’est lui qui va briser ce cercle infernal.
L’ombre de la créature, qui se trouve maintenant devant nous, s’élargit alors que le vent se lève encore. Il est là, comme une incarnation du mal, mais il n’est plus invincible. Nous avons l’avantage, parce que nous sommes ensemble. Selene, Thalia, Eryx, et moi. Nous avons tout donné jusqu’ici, et maintenant, il est temps de finaliser ce combat.
Je fais un pas en avant. Eryx me regarde, et je vois dans ses yeux tout ce qu’il porte en lui. Son passé, ses regrets, ses espoirs. Nous avons traversé trop de choses ensemble pour revenir en arrière. C’est le moment de tout lâcher, de tout effacer. Je sais ce que je dois faire.
Amara – « Nous le détruirons ensemble. »
Je bondis, mes bras levés, mon épée prête à trancher. Selene et Thalia se précipitent aussi, et Eryx fonce, son épée frappant avec la puissance d’un homme qui a tout perdu et tout gagné. Nous sommes les derniers remparts face à l’obscurité. Et cette obscurité ne gagnera pas. Pas aujourd’hui.
Le choc est brutal. Le bruit du métal frappant la chair, des râles de la créature se mêlant à nos cris, est un vacarme effrayant, presque surnaturel. Mais nous tenons bon. Nous nous battons jusqu’à ce que, finalement, la créature s’effondre dans un cri de rage. Ses derniers souffles emplissent l’air, puis tout se tait. La forêt, qui semblait vivante de terreur, reprend son calme.
Nous sommes debout, blessés, épuisés, mais victorieux. Et au-delà de la bataille, il y a quelque chose de plus grand qui se dégage. Eryx est libéré. Nous avons fait ce que nous devions faire. Il n’est plus le prisonnier de son passé. Il a trouvé sa voie, et nous avons été là pour le guider.
Amara – La nuit est enfin terminée. Mais ce n’est que le début d’une autre lutte. Celle pour nous-mêmes.
ThaliaLes premières lueurs de l’aube se glissent timidement à travers les arbres dénudés. Le ciel, jadis si sombre, porte maintenant les couleurs d’un nouveau commencement. Un bleu clair, presque irréel, se mêle à la lumière rosée qui effleure la terre encore chaude de la veille. Le vent a cessé, et la paix semble aussi fragile que le verre, mais elle est là. Pour l'instant, elle est là.Je marche seule parmi les ruines, mes pas écrasant doucement la cendre, la terre encore humide sous mes bottes. Un parfum doux, de terre, d’herbes et d’embruns, flotte dans l’air. La nature, elle, reprend son souffle. Elle se régénère lentement, tout comme nous. Nous avons appris, à travers nos blessures et nos combats, que la résilience ne se trouve pas dans l’absence de douleur, mais dans la capacité à la transformer, à la canaliser pour faire naître autre chose.Chaque matin, en ce moment, je me réveille avec l'impression de n'être qu'à moitié là. Une partie de moi reste dans le passé, prisonnière
ThaliaLes étoiles brillent, mais elles sont faibles ce soir.Le ciel n’a jamais été aussi vaste, ni aussi silencieux. Ce silence n’est plus celui de la mort, ni celui de l’attente. C’est celui de l’espoir naissant. D’une vie qui se tisse lentement sous la lueur des cieux dévastés.Je me tiens sur la colline qui surplombe le Bastion. La nuit est fraîche. L’air emporte avec lui le dernier souffle des ombres.Sous mes pieds, la terre a repris un peu de sa couleur, un peu de son souffle. Les herbes repoussent là où le feu est passé, timides mais résolues. La cendre n’a pas tout recouvert. La vie, au contraire, a pris ses racines, là où nous avons semé l’espoir.Je ferme les yeux et laisse le vent me frôler. Chaque brise me rappelle la promesse d’un monde réinventé. Ce n’est plus la guerre qui nous lie, mais la guérison. Et même dans les plus sombres recoins de mon âme, une petite lumière a commencé à briller. C’est une lumière fragile, mais elle existe.Je me retourne. Amara me rejoint,
ThaliaTousEt dans le silence d’après,parmi les ruines, les cendres, les souvenirs brûlés,nous respirons.Nous reconstruirons.Pierre après pierre.Souffle après souffle.Serment après serment.Parce que nous sommes encore là.Parce qu’ils n’ont pas tout pris.Parce que même dans l’oubli, le feu trouve toujours un chemin.Et ce feu…c’est nous.Je descends du rempart, les jambes engourdies, le cœur encore trop bruyant.Chaque pas est une épreuve, non à cause de la douleur, mais parce que la réalité pèse désormais plus lourd que la peur. Le silence n’est plus une menace : il est un appel. Une page blanche. Et j’ai peur de mal l’écrire.Le Bastion tient.Nous sommes vivants.Mais que fait-on de cette victoire, quand tout autour ne sont que ruines ?— Tu ne dors pas ? me demande Amara, en approchant doucement.Je secoue la tête, les yeux rivés sur l’ancienne cour d’entraînement, désormais jonchée de débris et de restes calcinés. Là, autrefois, résonnaient les cris d’effort, les rires
ThaliaJe tombe à genoux.Non par faiblesse.Mais parce que la terre m’appelle. Parce qu’elle respire encore.Parce qu’elle saigne avec nous.Sous mes doigts, le sol vibre, tiède. Vivant.Comme un cœur enfoui sous des siècles de silence.Elle nous a entendus.La source n’a pas disparu.Elle s’est tue pour survivre.Et aujourd’hui, elle palpite encore, fragile, mais présente.Chaque pulsation est une réponse. Une promesse.Je ferme les yeux et pose mon front contre la pierre.Elle sent la suie, le sang séché, le passé.Mais au creux de tout ça… une chaleur.Ancienne. Inaltérable.Les ombres ont fui, mais leur venin rôde encore dans l’air.Il s’infiltre dans les pierres, dans nos veines, dans nos souvenirs.Il faudra du temps pour tout purifier.Peut-être une vie entière. Peut-être deux.Peut-être qu’on ne verra jamais la fin de ce combat.Mais on a planté quelque chose, ici.Une racine. Un feu souterrain.— Tu vas bien ? demande Amara.Je relève les yeux.Son visage est noirci de cendr
ThaliaLe sol tremble sous mes pieds.Pas violemment. Non.Comme une bête qui se réveille. Un grondement profond, enroué, ancien, qui monte lentement des entrailles du monde.Chaque battement de mon cœur résonne dans les pierres du Bastion, dans ses veines minérales, comme un écho venu d’un autre âge.Je m’accroche à la rambarde. Mes doigts blanchissent. Pas de peur. D’instinct. D’animalité.Amara s’approche.Elle ne dit rien. Elle n’a pas besoin.Elle sait. Elle sent. Elle brûle du même pressentiment que moi.Je lis dans son regard la même chose que dans le mien :Nous avons trop attendu.— Leurs pas ne résonnent pas, je murmure, le souffle tremblant.— Ils glissent, souffle Amara. Comme des spectres.— Ou comme des souvenirs. Qui refusent de mourir.Je me redresse.Autour de nous, les murs sont tendus comme des nerfs à vif.Chaque fenêtre, chaque fente, chaque brèche devient un œil ouvert.On nous regarde.Pas eux. Quelque chose d’autre.Quelque chose de plus ancien, de plus affamé,
ThaliaJe sens la tension vibrer dans le marbre.Chaque veine de la pierre résonne comme une corde tendue à l’extrême.Ils sont là. Tout proches.Invisible présence. Respiration étrangère.Je ne sais pas combien. Je ne sais pas où.Mais je sais une chose : ils ne fuient jamais l’annonce. Ils la suivent. Toujours.Comme des charognards assoiffés d’un dernier souffle.Leur flèche, plantée dans le pilier central, tremble encore.Un serment. Un avertissement. Un ricanement de mort.Je fixe le message.L’encre n’a pas coulé.L’écriture est droite, presque élégante.Aucune rature. Aucun mot de trop.Juste une phrase.« Le Néant réclame ce qui lui appartient. »— Il faudra barricader les niveaux supérieurs, je dis.— Ce ne sera pas suffisant, répond Amara, le regard fixé sur l’extérieur.— Rien ne l’est jamais, murmure Selène.Mais ce n’est pas une plainte.C’est un fait. Une vérité gravée dans nos os.AmaraJe m’avance jusqu’aux vitraux brisés.Le vent s’y engouffre, froid et tranchant, por
EryxJe suis là.Derrière les colonnes.Dans l’ombre des pierres qui brûlent encore du souvenir de leur triomphe.Elles sont debout.Les trois.Inflexibles. Inaltérables. Incorruptibles.Leurs silhouettes découpent la lumière filtrée à travers les vitraux éclatés.Elles ne tremblent pas.Elles n’hésitent pas.Elles reconstruisent.Je devrais fuir.Je le sais.C’est ce que ferait un homme sensé. Un homme libre. Un homme qui ne porte pas le poids des trahisons dans sa poitrine.Mais je ne suis plus cet homme.Peut-être ne l’ai-je jamais été.Je reste.Cloué par une force que je ne comprends pas.Ou peut-être est-ce précisément ça, le sens de la loyauté : continuer à regarder ce qu’on ne peut pas affronter.Je les observe.La salle est silencieuse, et pourtant, chaque pas qu’elles font claque comme un tambour.Chaque mot devient loi. Chaque geste, promesse.Elles ne prennent pas le trône : elles le réveillent.Comme si leur présence rendait à ces murs leur mémoire, leur majesté oubliée.
ThaliaLa salle retient son souffle.Les pierres se souviennent.Les murs vibrent. Les colonnes tremblent.Ce n’est pas la peur. C’est la mémoire.Le souvenir du pacte ancien.Des serments brisés.Des reines chassées.Je suis assise.Et lui, l’homme au rire sec, ne rit plus.Il pensait que notre retour ne serait qu’un murmure.Mais nous sommes le grondement.Son regard vacille.Il recule, une main sur la garde de son épée, l’autre sur l’accoudoir du trône qu’il a profané.Ce trône ne lui appartient pas. Il ne l’a jamais fait.Il l’a volé aux morts et piétiné les vivants.— Vous n’êtes que trois, murmure-t-il. Trois femmes contre un royaume.Je penche légèrement la tête.Et dans ma voix, il n’y a ni colère ni pitié.Juste la vérité. Inflexible. Tranchante comme un souvenir trop longtemps refoulé.— Trois reines. Pas trois femmes. Trois tempêtes. Trois volontés forgées dans l’exil.Trois cicatrices devenues armes. Trois cendres redevenues flammes.Il tire son épée.Il croit encore que l
ThaliaLe jour s’est levé sur une terre qui n’a plus peur.Le camp est derrière nous. Les cris, le sang, les adieux étouffés par la fureur.Les morts nous regardent depuis les cendres. Mais ils ne nous retiennent pas.Nous marchons.Vers le nord. Vers ce royaume que nous avions abandonné.Ils l’appelaient le Bastion Blanc.Un trône taillé dans la roche, entre les neiges et les flammes.Une forteresse de femmes. D’armes. De serments.Un refuge bâti sur les serments et défendu par le sacrifice.Je l’ai laissé derrière moi. Trop jeune. Trop amoureuse. Trop fatiguée.Je pensais fuir la guerre. Je ne faisais que retarder l’inévitable.Mais il m’attendait. Comme la lame. Comme le cri.Et aujourd’hui, je reviens.Pas seule.Amara marche à mes côtés. Les épaules droites, le regard fixe.Selène ferme la marche, la lame toujours propre, toujours prête.Nos capes claquent dans le vent. Nos pas frappent la pierre avec la régularité des tambours.Nous portons le même silence. La même rage. La même