Chapitre 6

Quand nous sommes arrivés en hâte à l'hôpital de la meute, j'ai vu Damien effondré sur un banc de pierre devant la salle de soins.

Son gilet tactique noir était maculé de larges taches de sang séché et de traces blanchâtres laissées par l'argent. Ses cheveux sombres, trempés de sueur, collaient à son front.

La lumière avait quitté son regard, ne laissant place qu'à la panique et à l'impuissance. Le dos voûté, il se tenait penché en avant.

Je ne l'avais jamais vu aussi brisé.

Les amis de Sofia se sont précipités aussitôt pour lui demander ce qui s'était passé.

Damien a passé une main égarée dans ses cheveux, la voix tendue par la douleur et la culpabilité : « Tout est ma faute… Je n'aurais pas dû dire ces choses qui l'ont mise en colère. Je n'aurais pas dû la laisser partir seule au volant… Elle était juste bouleversée par notre dispute… Sinon elle n'aurait pas roulé si vite, elle n'aurait pas foncé sur cette putain de barrage et ces pièges à pointes d'argent… »

C'était alors que le médecin le plus expérimenté de la meute est sorti, le visage grave : « Son pronostic vital est engagé. Le poison d'argent dévore ses entrailles et sa louve primitive, en elle, s'éteint. Nos sérums ne font que ralentir l'inévitable. »

« Une seule issue : un transfert hématique forcé, irriguant ses veines du Sang-Pouvoir d'un Alpha. Seule cette puissance brute peut purifier le poison et rallumer l'étincelle. Un Alpha consentirait-il à offrir l'essence vitale de son sang... sachant que sa propre force en sera diminuée, pour un temps ? »

Les regards se sont croisés, avant de se fixer finalement sur Damien.

Lui seul, l'Alpha de la meute de la Tempête Rude, possédait la lignée la plus pure et la plus puissante.

Sans la moindre hésitation, cet homme s'est levé, a vacillé, et a ôté sa veste tachée de sang. Il a enfilé la blouse stérile que lui tendait le médecin et a suivi rapidement un assistant vers la salle de soins.

Une trentaine de minutes plus tard, la porte s'est ouverte à nouveau. Damien en est sorti, soutenu par un assistant médical.

L'homme d'ordinaire si indomptable était maintenant pâle comme la cire, les lèvres décolorées, comme si toute force l'avait quitté. Il tenait à peine debout.

En m'apercevant à côté, il a failli s'effondrer sur moi.

Instinctivement, j'ai tendu les bras pour le retenir. Son corps était lourd et froid.

L'assistant, toujours pressé, a expliqué : « Les signes vitaux de la patiente sont temporairement stabilisés, mais le poison d'argent montre des signes de résurgence. Il faudra au moins une autre transfusion du Sang-Pouvoir d'un Alpha, pour consolider le traitement et éliminer complètement les toxines résiduelles. Pouvez-vous contacter un autre ? »

Pendant ce temps d'attente, la meute avait épuisé tous ses contacts. Aucun loup de lignée Alpha pure ne pouvait arriver à temps.

Devant le silence angoissé des présents, Damien est devenu plus agité encore. Il a lutté pour tenter de se relever, comme si la seule volonté pouvait le soutenir.

« Je… je peux encore », a-t-il murmuré, faible mais têtu.

Cet assistant l'a regardé comme on regarde un homme prêt à se détruire : « Vous avez déjà prélevé au-delà de ce que votre corps peut supporter ! Une nouvelle extraction endommagerait gravement votre loup. Vous pourriez perdre la capacité de vous métamorphoser, et vos forces en seraient durablement diminuées. »

À ces mots, les visages se sont crispés. Plusieurs se sont avancés pour l'en dissuader.

« Alpha, arrêtez ! Nous pouvons trouver une autre solution. Peut-être contacter des meutes alliées… Nous leur fournissons chaque année des ressources importantes, après tout. »

Mais Damien a secoué la tête avec fermeté, le regard rivé sur la porte close de la salle de soins : « Sofia… elle n'a pas ce temps. »

Voyant son état proche de l'irrationnel, j'ai fini par intervenir. Ma voix a résonné, claire, dans le couloir silencieux : « Les médecins font déjà tout ce qu'ils peuvent. Ils trouveront un moyen d'obtenir du Sang-Pouvoir. Inutile de… t'épuiser ainsi. »

Damien a eu un bref temps d'arrêt. Son regard a glissé sur moi, sans la moindre hésitation.

Il a ignoré mes paroles, s'est dégagé de l'assistant qui le soutenait. Puis, se retournant, il s'est traîné vers la porte, le corps vacillant, mais la démarche résolue.

Quand sa silhouette déterminée a disparu derrière la porte, le silence s'épaissit encore. Quelqu'un a laissé échapper un soupir chargé de lassitude et d'amertume.

« Dès qu'il s'agit de Sofia, Damien perd la raison ! Vous vous souvenez, l'année de son intronisation ? Il a provoqué un duel parce qu'un novice avait bousculé Sofia pendant l'entraînement. Il ne maîtrisait pas encore pleinement sa forme du loup… il s'est brisé la jambe et a passé un mois alité... »

« Et bien avant ça, pour lui rapporter ce fameux 'Cœur de l'Océan', il a plongé seul dans les profondeurs du lac obscur, infesté de créatures aquatiques… Il a failli ne jamais remonter. Aujourd'hui c'est pareil. Pour la sauver, il est prêt à sacrifier son loup. Je… j'ai toujours cru qu'elle était la plus importante à ses yeux. C'est pour ça que… parfois, j'essayais de leur laisser du temps ensemble. Mais voir ça maintenant… » La voix s'est perdue dans un nouveau soupir.

Ils chuchotaient entre eux, comme s'ils avaient oublié ma présence, moi, sa compagne légitime, à quelques pas de là.

À mesure qu'ils énuméraient ces souvenirs de Damien et Sofia, dont j'ignorais tout jusqu'alors, une étrange torpeur m'a envahie.

Ce n'était qu'à cet instant, en entendant cette litanie de preuves de dévotion, chaque fois risquée au péril de sa vie, que j'ai perçu avec une clarté brutale à quel point mon ancien espoir, « peut-être pourrais-je un jour prendre la place de Sophia », avait été absurde et ridicule.

Aimer ou ne pas aimer : il n'y a jamais eu de zone grise entre ces deux rives. La ligne de partage a toujours été tranchante.

Le temps a semblé s'étirer avant que les soins d'urgence ne prennent enfin fin.

La porte s'est ouverte. Le médecin en est sorti, le visage marqué par l'épuisement. Derrière lui, on a poussé Sofia, encore inconsciente mais aux traits un peu moins pâles, puis Damien, presque évanoui, soutenu par deux assistants.

Tous se sont précipités, l'anxiété au ventre, pour s'enquérir de leur état.

Le médecin a essuyé son front, son regard se posant un instant sur Damien inanimé, avec une sorte de respect mêlé de mélancolie.

S'adressant au groupe assemblé autour du lit, il a murmuré, ému : « Ils doivent être le couple destiné, ces deux-là… Rencontrer un homme prêt à payer un tel prix, jusqu'à sacrifier son loup, c'est rare. »

Restée en marge du groupe, seule, j'ai laissé flotter sur mes lèvres un sourire amer et moqueur.

Ainsi, même au bord de la mort, même avec son épouse légitime présente aux yeux de tous, ils demeuraient aux regards de chacun le couple parfait, forgé par le destin.

Et moi ?

Du début à la fin, je n'avais jamais été qu'un simple décor du grand récit de leur amour.