Remords de mes frères après mon départ

Le jour où j'ai accepté le poste du Chef Guérisseur, c'était justement le soir de la Fête de la Pleine Lune, le jour le plus sacré pour les familles de loups-garous, celui où elles se réunissent pour célébrer ensemble.

Ma mentor m'a accompagnée jusqu'à la porte des chambres de soins, sa voix douce lorsqu'elle m'a offert son dernier conseil : « Dans cinq jours, tu commenceras tes quinze années d'isolement, Emma. N'oublie pas de dire au revoir comme il faut à ta famille. »

Le Territoire du Nord a toujours été froid. Je suis restée dans le recoin d'une rue pendant ce qui m'a semblé être des heures, essayant de rassembler assez de courage pour tenter un lien mental avec mes frères.

Sans surprise, ils avaient coupé ce lien depuis longtemps.

Dans un soupir, j'ai sorti mon téléphone et appelé mon frère Alpha, Rolland. Vingt ans de vie ensemble, ça devait bien valoir quelque chose.

Peu importe à quel point les choses s'étaient dégradées entre nous, on méritait au moins un dernier repas ensemble.

Il a ignoré mes appels à plusieurs reprises, avant de finalement éteindre complètement son téléphone.

Ravalant ma fierté, j'ai composé le numéro de mon frère Bêta, Alex.

Cette fois, après des sonneries qui semblaient avoir durer une éternité, il a fini par répondre, comme s'il me faisait une faveur.

Craignant qu'il ne raccroche, j'ai précipité mes mots : « C'est la Fête de la Pleine Lune aujourd'hui. Est-ce qu'on pourrait… le fêter ensemble à la maison ? »

Un silence pesant s'est installé. J'ai ajouté, d'une voix prudente : « J'ai acheté des cadeaux pour tout le monde... J'ai même trouvé une robe de la Déesse de la Lune pour Gia, c'est son style préféré. »

Gia, c'était l'Oméga orpheline que mes frères avaient adoptée.

La voix d'Alex est revenue, froide et sèche : « À cause de toi, Gia n'est même pas encore sortie de l'hôpital. On est tous ici à s'occuper d'elle. Tu oses encore parler de la fête ? »

J'ai fait semblant de ne pas entendre le mépris dans sa voix : « Alors… je pourrais apporter les cadeaux à l'hôpital ? On pourrait fêter ça là-bas, tout en s'occupant d'elle. Ça irait ? »

Je n'avais jamais supplié comme ça. Depuis l'arrivée de Gia, Rolland, Alex et moi n'avions cessé de nous disputer pendant des années.

Même lors de nos pires disputes, je n'avais jamais baissé la tête à ce point.

Mais cette fois… c'était différent. Une séparation comme celle-là, qui savait quand, ou même si, on se reverrait ?

Alex est resté silencieux.

Après une pause inconfortable, la voix douce et enfantine de Gia a brisé la tension : « Je veux la robe de la Déesse de la Lune. »

J'ai répondu aussitôt : « Je l'apporte tout de suite. »

De peur qu'ils changent d'avis, j'ai mis fin à l'appel sans attendre.

Après avoir raccroché, j'ai fait un détour au centre commercial pour récupérer les cadeaux que j'avais précommandés. Au fil des années, j'avais travaillé dur et économisé 150 000 euros, chaque centime avait été investi dans ces présents.

Pour Rolland, mon frère Alpha, j'ai choisi un cristal de guérison précieux. En tant que guerrier de la meute, il se blessait souvent. Pour Alex, mon frère Bêta, j'ai trouvé un ancien grimoire qu'il convoitait depuis longtemps pour ses études en magie.

Et puis… la robe de la Déesse de la Lune pour Gia. J'en avais toujours rêvé pour moi-même, sans jamais oser en assumer le prix.

Aujourd'hui, c'est à Gia que je l'offrirais. C'était ma dernière fête avec mes frères, et je voulais qu'ils soient heureux.

Les cadeaux en main, j'ai filé à l'hôpital.

La chambre n'avait qu'une petite table, à peine assez grande pour trois personnes.

Alex a levé les yeux vers moi quand je suis entrée.

Avant qu'il ne dise quoi que ce soit, j'ai attrapé une chaise et me suis installée près de la grande fenêtre qui allait du sol au plafond.

Du coin de l'œil, je l'ai vu s'interrompre un instant, apparemment surpris par mon geste. Mais la surprise n'a duré qu'un moment.

Il est vite retourné à ce qu'il faisait, aidant Gia à enfiler sa nouvelle robe et à ajuster le tissu argenté autour de ses épaules.

Les chaises étaient dures. Rolland a pris un coussin et l'a glissé derrière le dos de Gia pour la soutenir.

Gia, joyeuse et toute contente, a tournoyé dans la robe, le visage illuminé de bonheur.

« Elle est trop belle ! » s'est-elle écriée, en tournant un peu trop vite.

Je n'ai pas pu m'empêcher de les regarder.

C'est à ce moment-là que Gia a trébuché sur l'ourlet trop long de la robe, poussant un petit cri.

Rolland s'est précipité pour la rattraper avant qu'elle ne tombe.

Alex s'est levé d'un bond, posant ses mains sur ses épaules pour la stabiliser.

« Fais attention, » ont-ils dit en même temps, leurs voix teintées d'inquiétude.

Une scène familière s'est rejouée devant moi.

Sauf qu'autrefois, c'était moi à la place de Gia.

Perdue dans mes souvenirs, j'ai oublié de détourner le regard.

Jusqu'à ce qu'Alex, après s'être assuré que Gia allait bien, sente mes yeux posés sur lui et lève les siens vers moi.

Ses yeux, encore pleins de tendresse pour elle quelques secondes plus tôt, sont devenus glacials dès qu'ils ont rencontré les miens.

Et, pour être honnête, ça m'a blessée plus que je ne voulais l'admettre.

J'ai aussitôt baissé les yeux et me suis levée pour proposer mon aide.

« Je vais recoudre l'ourlet, il est trop long, » ai-je dit en m'avançant.

Mais dans ma précipitation, j'ai accroché le pied d'une chaise et suis tombée lourdement, m'écorchant la paume sur le sol rugueux de l'hôpital.

« Qu'est-ce que tu fais ? » a grogné Rolland, « tu lui as acheté une robe aussi longue exprès ? Tu sais qu'elle est maladroite. »

Les mots sont restés coincés dans ma gorge. « Non, je… »

« La robe est parfaite, » a dit Gia, « je dois juste faire plus attention. »

Je me suis relevée, grimaçant à cause de la brûlure sur ma peau.

Alex m'a regardée, froidement.

« Tu veux qu'on te plaigne, c'est ça ? Tu es tellement jalouse que tu ne peux même pas nous voir aider Gia sans faire un drame ? »

L'accusation a fait plus mal que la chute.

Je n'ai rien dit. Je me suis relevée seule, en silence.

Le sang perlait de ma paume, mais je l'ai cachée dans mon dos.