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Chapitre 4

Author: Nyx Evernight
last update Last Updated: 2025-07-11 02:21:02

Quelques jours plus tard, elle est de retour dans son bureau à l’université. Autour d’elle, les piles de livres forment presque des murailles, des tours branlantes de papier et de cuir fatigué. Une tasse de café froid laisse des auréoles sombres sur son bureau, mêlées aux post-it griffonnés

d’annotations hâtives. L’air sent l’encre, un peu le bois ciré des étagères, et quelque chose d’indéfinissable, peut-être la poussière des vieux ouvrages.

Son écran diffuse une lumière pâle sur son visage sérieux. Elle surligne un passage dans un antique traité, son marqueur crisse sur le papier jauni. Puis elle note deux mots nerveusement sur un post-it, qu’elle colle au coin d’une page déjà hérissée d’onglets colorés.

On frappe à la porte, trois coups timides.

— Entrez, dit-elle sans lever les yeux.

Adam passe la tête, un sourire mi-farouche mi-excité accroché au visage. Ses cheveux sont légèrement humides, il sent la pluie fraîche, comme un sous-bois après l’averse. Il a cet air d’un chiot qu’on aurait laissé trop longtemps dehors, mais qui ne demande qu’à bondir sur vos genoux pour se faire pardonner.

Puis son expression se fait soudain boudeuse.

— Vous ne m’avez même pas appelé, vous savez…

Moira arque un sourcil, farfouille dans un tiroir, en sort un petit billet froissé et quelques pièces qu’elle pose devant lui.

— Tiens. 5,50 €, pour la bière de l’autre soir. Je ne laisserai pas un étudiant payer pour moi.

Il attrape l’argent, l’air tout à coup très triste, avant de soupirer dramatiquement et de reposer le tout sur son bureau.

— Gardez ça. Vous briseriez mon cœur.

Il s’installe en face d’elle, croise ses mains, et balance légèrement la jambe sous la table, ce petit tic nerveux qu’elle commence à connaître. Pendant un moment, ils parlent de tout et de rien : des derniers exposés, de la conférence soporifique du professeur Girard, des horaires indécents de la bibliothèque. Adam laisse souvent traîner sur elle ses yeux clairs, brillants, comme s’il se nourrissait de chaque réaction qu’elle pouvait avoir. Son sourire accroche le coin de sa bouche dès qu’elle parle, même pour râler contre l’administration.

Puis, avec un air soudain mutin, il se penche un peu en avant :

— Vous savez, j’ai relu le mythe des sirènes dont vous avez parlé en amphi… Je persiste à penser qu’elles n’avaient rien de monstrueux. Elles étaient juste… trop belles pour ce monde. Un peu comme certaines personnes ici présentes.

Moira soupire, secoue la tête, mais un sourire amusé finit par se glisser sur ses lèvres malgré elle.

— Flatter son enseignante, Adam, c’est très mauvais pour la moyenne.

— Tant pis, je prends le risque.

Il baisse un peu la voix, tapote nerveusement du doigt le rebord de son carnet. Puis il lance d’un ton presque nonchalant, mais ses yeux la sondent, pleins d’espoir :

— Au fait… vous pensez qu’on aura nos copies quand ? Vous… enfin, j’ai fait de mon mieux. J’aimerais bien savoir si j’ai eu une bonne note.

Il ajoute avec une moue mi-enfantine, mi-arrogante :

— Même si je suis sûr que ça frôle la perfection, évidemment.

Il se penche, ses yeux bleus la sondant avec une intensité presque déplacée pour un simple bureau d’université. Ses mains croisées s’agitent, ses pouces se frottent nerveusement.

— D’ailleurs… ça vous dirait un verre, un de ces soirs ? Sans copies, sans mythes sanglants, juste vous et moi, et peut-être un mauvais groupe qui joue trop fort ?

Elle arque un sourcil, garde un silence prolongé. Son stylo tapote la couverture de son carnet, son regard se perd brièvement sur ses propres notes. Adam, en face, retient son souffle ; elle le voit au léger creux qui se forme dans sa gorge, à la façon dont ses épaules se contractent.

— Adam… je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Elle le dit doucement, sans sécheresse, mais assez fermement pour qu’il comprenne. Adam baisse aussitôt les yeux, se mord la lèvre, comme s’il encaissait un petit coup qu’il aurait pourtant dû anticiper.

— Oui, bien sûr… pardon. J’ai dû mal interpréter, c’est… c’est rien.

Il se redresse, déjà prêt à partir, ses mouvements un peu trop vifs, comme pour masquer la gêne.

— Mais, ajoute-t-il dans un petit rire forcé, est-ce que je peux au moins espérer qu’on ait bientôt nos copies ? Vous savez, histoire de savoir si mon petit chef-d’œuvre a encore frappé…

Moira esquisse un sourire, qui meurt vite.

— Peut-être la semaine prochaine. Je prends mon temps pour savourer.

— Cruelle… murmure-t-il, une lueur amusée malgré tout dans les yeux.

Puis il s’éloigne enfin, laissant dans l’air de son bureau un parfum fugace de shampoing bon marché et quelque chose d’un peu électrique qu’elle n’aime pas trop sentir là.

Quand elle referme la porte derrière lui, son cœur bat plus fort qu’elle ne l’admettrait. Ses doigts pianotent nerveusement sur le bois, comme s’ils cherchaient encore la chaleur qu’il avait laissée.

Elle sort du campus, l’air est frais, chargé de l’odeur humide du bitume encore tiède — il a plu un peu plus tôt.

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