03h33 — Lisière Sud, Base satellite des ArchivesLe feu crépite doucement, cerclé de pierres. Il respire plus qu’il ne brûle. Et moi, je regarde les flammes comme on regarde une amante perdue. Avec gratitude. Avec deuil.Je sens encore la poussière sous mes ongles, les rouages démontés, les structures effondrées. Ce qu’on a dû casser pour que quelque chose puisse enfin commencer. Je suis Eden. Mais ce soir, je ne commande rien. Je suis juste là. Une femme fatiguée au bord d’un feu.Nova ne parle pas. Elle a le regard tourné vers les étoiles, comme si elles lui répondaient enfin. Ses doigts frôlent la terre. Elle cherche peut-être un souvenir. Ou une preuve qu’elle n’a pas rêvé ce qu’on a vécu.Saph fume en silence. Le crâne rasé, les cicatrices visibles et invisibles. Elle tire sur sa cigarette comme si elle s’offrait une respiration à la nuit. Elle parle la première.— C’est drôle… Je pensais qu’on finirait toutes seules. Et nous voilà, trois veilleuses, encore en train de surveiller
04h27 – Avant l’aube, Campement autour de la SourceLes braises ne dorment jamais tout à fait.Autour des foyers mourants, les silhouettes veillent. Ou rêvent, les yeux ouverts. Le silence n’est plus une absence. C’est un fil tendu entre les âmes. Les murmures ont cessé ; maintenant, on écoute.Éléa s’est éloignée du cercle. Elle marche entre les tentes légères, les nappes de brume, les restes de la peur. Elle sent dans ses tempes battre une mémoire qui n’est pas la sienne.À chaque pas, les images s’invitent : un garçon tombé à genoux dans la poussière. Une main qu’on n’a pas saisie. Une promesse tuée avant d’être dite.Elle entend son prénom, mais personne ne l’a appelé.Elle s’arrête.Et le voit.Un homme. Debout, seul, à l’orée du bois. Ses yeux brûlent. Pas de haine. Pas d’amour. Juste… la trace.Éléa :— Père.Il ne répond pas. Il la regarde. Comme s’il ne savait pas qui elle était. Ou peut-être qu’il savait trop bien.Alors elle s’avance. Chaque pas est une chute contenue. Elle
15h12 – Station d’Équilibre, périphérie du NexusIls arrivent par vagues.D’abord des silhouettes hésitantes. Des mères portant leurs enfants, des vieillards courbés, des jeunes aux regards fuyants. Tous convergent vers les anciennes zones interdites. Là où jadis se dressaient les piliers du Système.Ils n’ont pas de bannières. Pas d’armes.Ils ont leurs souvenirs.Des lambeaux épars, des émotions viscérales. Des noms gravés dans le ventre. Des visages qu’ils croyaient rêvés. Des sensations coupées nettes, revenues comme des éclairs dans les tempes.Et dans leurs pas : une détermination.Certains avancent pieds nus. D’autres trébuchent. Mais aucun ne recule.Un vieil homme murmure à l’enfant qui le soutient :— Tu ne sais pas encore ce que tu portes. Mais tu le portes déjà mieux que nous tous.Dans le ciel, les drones d’observation clignotent rouge, puis s’éteignent un à un.Plus personne pour surveiller.Le regard s’est retourné vers l’intérieur.16h00 – Siège effondré de la Préserva
07h00 – Noyau Est effondréLe vent s’insinue à travers les vitres éclatées, glisse entre les câbles arrachés, soulève les cendres froides. L’air a changé. Il n’est plus contrôlé, plus stérile. Il sent la poussière ancienne, le métal fondu, et… autre chose. Quelque chose de vivant.Les systèmes centraux sont morts. Les générateurs de sécurité en panne. Les hologrammes s’étaient tus dans un dernier grésillement bleu, comme des esprits qu’on aurait exorcisés trop tard. La Tour de Contrôle, flèche blanche autrefois immaculée, n’est plus qu’un monolithe fendu, un cœur technologique sans battement.Mais dans ce silence, quelque chose naît. Quelque chose qu’ils n’avaient pas prévu.Pas une explosion.Pas un cri.Une idée.Une rumeur sourde.Un souvenir commun.Un battement invisible.Éléa l'entend.Elle ferme les yeux, et l’onde la traverse.Un frisson dans sa colonne.Un souffle ancien dans sa nuque.Une langue oubliée qui se réveille dans sa gorge.Les souvenirs ne sont plus cloîtrés.Ils
Secteur interdit – Salle Aegis 0302h34Le caisson tremble.La pulsation bleue s’accélère, chaque battement semblable à un souffle retenu depuis trop longtemps. Éléa ne détourne pas les yeux. Nova non plus. Deux témoins. Deux survivantes. Deux traîtresses, selon le système qu’elles viennent de fracturer.Éléa (pensée)Je sens sa présence. Plus forte que la douleur, plus ancienne que la peur.Elle me reconnaît.Le cylindre s’ouvre dans un souffle de vapeur glacée, comme un cercueil inversé. À l’intérieur, une silhouette recroquevillée. Petite. Nue. Vivante. Mais vacillante. Comme si elle hésitait entre exister et disparaître.Nova (voix basse)— C’est impossible… Elle ne devrait pas…Éléa— Elle n’est pas une erreur. Elle est ce qu’ils ont voulu effacer. Mais le feu ne s’oublie pas. Il couve.La silhouette lève lentement la tête. Ses yeux s’ouvrent, d’un blanc lunaire strié de fils rouges. Et dans ce regard, Éléa se voit. Littéralement. Une fracture de sa mémoire. Un éclat de ce qu’ell
Zone souterraine – Secteur interdit02h19Éléa (pensée)Ils pensent que je dors. Que je suis encore cette pièce docile sur l’échiquier. Mais les ombres ont des oreilles. Et moi, j’écoute.Le silence est lourd, ponctué uniquement par les respirations lentes de ceux qui rêvent encore, inconscients du gouffre sous leurs pieds. Je glisse hors de la couchette sans bruit, chaque geste lent, précis, contenu. La sueur perle déjà dans le creux de mon dos. Pas de peur. De tension. D’impatience.Les couloirs sont baignés dans une obscurité trouble, à peine interrompue par les balises d’urgence. Les caméras du couloir principal sont en veille partielle une faille que j’ai repérée depuis des semaines, notée, testée, exploitée. Je me fonds dans les ténèbres, chaque pas avalé par le sol comme si la nuit elle-même me protégeait.Éléa (pensée)Eden n’est pas la seule à se souvenir. Le feu en elle est ancien, mais le mien est plus jeune. Plus instable. Et tout aussi brûlant.Je sais ce qu’elle cherche.