Dix-sept ans plus tard…
Tenant avec précaution un plateau sur lequel reposait un copieux repas, Arielle se dirigea vers la chambre de sa fille. À chacun de ses pas, ses longs cheveux bruns, relâchés, bougeaient sur ses épaules.
Dans ses yeux noisette se lisait de l'inquiétude. Cela faisait quatre jours qu'une fièvre étrange abattait son enfant. Le plus préoccupant était la manière dont elle s'était déclenchée. Assise toutes les deux dans la salle à manger, Lidya s'était brusquement saisie la tête et mise à hurler. Elle était devenue toute brûlante et il avait fallu la mettre au lit. Dès lors, elle y était restée. Les examens à l'hôpital n'avaient rien donné. D'après les bouts de papiers, tout était normal. Malgré les médicaments prescrits, le mal persistait.
Troublée, Arielle s'était confiée à l'un de ses collègues. Ali, un homme doux, frôlant la quarantaine, toujours à l'écoute de ses petits patients, joviale, et très serviable avec qui elle s'entendait très bien. Le Togolais lui avait proposé une visite au pasteur de son église. Selon lui, le problème de Lidya serait d'origine mystique. Une idée qu'Arielle ne partageait pas, puisqu’elle était athée. Originaire d’une famille athées, elle avait grandi en ne croyant pas à l’existence d’un Dieu. Sa certitude était uniquement en la science, quoique ces derniers jours elle commençait à envisager cette perspective.
Après avoir frappé à la porte, elle entra dans la pièce. Sur le lit était allongée une adolescente couverte d'un drap.
Elle posa le plateau sur la table de chevet et s'assit à côté de celle à qui elle avait consacré la moitié de sa vie. Avec douceur et un sourire aux lèvres, elle replaça derrière l'oreille de la belle endormie quelques mèches rebelles de ses cheveux noirs.
- Debout, ma chérie, lui murmura-t-elle tendrement.
Lentement, la jeune fille ouvrit les yeux, révélant leur magnifique couleur. Celle des plus beaux lagons au monde. Elle s'étira et le drap s'abaissa, exposant une peau blanche et parfaite différente de celle de sa mère plutôt bronzée. Malgré le soleil, malgré les saisons, elle gardait cette blancheur immaculée que beaucoup lui enviaient. Elle avait un visage ovale aux traits fins, des sourcils bien dessinés, et un joli petit nez retroussé qui se plissait lorsqu’elle riait.
Elle offrit un pâle sourire, qui fit apparaître une fossette sur chacune de ses joues, à sa mère.
- Coucou, ma princesse. Comment vas-tu ?
- Mieux, maman, répondit l'adolescente d'un ton qui se voulait rassurant.
- Tu en es sûre ? insista-t-elle.
- Oui, tu peux partir le cœur léger.
Âgée d'une quarantaine d'années, Arielle travaillait en tant qu'infirmière au CHU de Lomé. Avec sa fille, elles étaient arrivées au Togo il y avait de cela deux ans. Depuis son enfance, lorsqu'elle habitait en France avec ses parents, son rêve avait toujours été de découvrir le continent Africain, et il s'était réalisé. Elle s'occupait des enfants en pédiatrie. Les voir sourire faisait son plus grand bonheur. Elle commençait à sept heures, prenait une pause à midi, puis y retournait à quatorze heures trente.
La praticienne poussa un soupir vaincu, car elle devait y aller. Elle habitait à trois kilomètres de l'hôpital, dans l'une des villas réservées aux résidents étrangers située au niveau de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS).
- Voici ton repas. Promets-moi de tout manger, chérie.
- Promis, jura la jouvencelle en s'efforçant de sourire.
La femme hocha la tête, l'embrassa sur le front, se leva et s'en alla. Une fois dehors, elle démarra sa petite Peugeot bleu nuit et sortit du garage. Laisser toute seule Lidya dans cet état la désolait, mais elle ne pouvait se permettre d'être absente.
Perdue dans ses pensées, l'infirmière ne vit pas le temps passer. Elle ne s'en rendit compte que lorsqu'elle atteignit le grand parking de l'hôpital. Elle enfila sa blouse blanche sur laquelle le nom d'Arielle Leclerc était étiqueté, et s'orienta vers la pédiatrie. Elle passa en premier lieu dans les locaux réservés aux nourrissons. Dès qu'elle entra, un grand sourire illumina son visage. À chaque fois qu'elle voyait des bébés, elle ne pouvait s'empêcher de repenser à ce jour-là. Seize ans déjà !
Ce jour-là, elle avait ressenti une indescriptible allégresse. Son cœur avait battu comme jamais, elle était tombée amoureuse de sa fille, dès le premier instant où leurs yeux s’étaient croisés. Lidya était son cadeau du Ciel, un pansement à ses blessures et la réalisation de son rêve, celui de devenir mère. Elle l'avait élevé seule, chéri, et était fière de la jeune femme que Lidya était devenue.
Arielle enferma dans un coin de son esprit ses beaux et mauvais souvenirs, quitta la salle des nourrissons et se mit à faire la tournée des autres pièces.
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Dans la villa où résidaient les Leclerc, Lidya, après quelques efforts, réussit à sortir du lit. Elle avala difficilement son repas et sortit s'asseoir sur l'une des chaises de la terrasse. Une ballade aurait été la bienvenue, mais elle manquait de force. Sans compter la désagréable sensation de recevoir des coups de marteau sur son crâne, et les vertiges qu'elle ressentait.
Un vent doux se mit à souffler, et la brise lui caressa la peau. Elle eut l'impression d'être en harmonie avec la nature, comme si elle ne faisait qu'un avec celle-ci. Un bien être immense l'envahit tellement qu'elle en ferma les yeux.
- Lidya... Lidya, chuchota une voix douce.
La jeune fille ouvrit brusquement les yeux et jeta un œil à la ronde. Personne. Haussant les épaules, elle s'adossa à la chaise sur laquelle elle était assise et se laissa bercer à nouveau par le vent.
- Lidya... Lidya, reprit la voix de façon mélodieuse.
Cette fois-ci, prise de crainte, l'adolescente sursauta et entra précipitamment dans la maison. Voilà qu'elle se mettait à entendre quelqu'un ou quelque chose l'appeler dans sa tête maintenant. Comme si cette atroce migraine ne suffisait pas. Pour se calmer, elle décida d'aller prendre une douche.
Elle se déshabilla, révélant une petite tache noire en forme d'étoile sur son épaule droite. Elle l'avait depuis son plus jeune âge et n'y avait jamais prêté attention. Lorsque l'eau entra en contact avec sa peau, elle ressentit une vive démangeaison à ce niveau. Elle se gratta et cela l'apaisa.
Une fois sa douche terminée, aussi bizarrement qu'elles étaient venues, sa migraine et sa fièvre disparurent. Soulagée, elle enfila un jogging et un débardeur, releva ses beaux cheveux noirs en un chignon négligé, et au lieu de la promenade qu'elle prévoyait, préféra se vautrer sur l'un des fauteuils rembourrés du salon pour suivre la saison deux de La Casa de Papel. Elle adorait suivre les séries, une de ses multiples passions, et passait ses vacances dessus puisqu'elle n'avait pas d'amis. Elle avait tenté pourtant, mais au lycée comme à la résidence, les jeunes de son âge l'ignoraient et l'évitaient comme la peste. Parfois, elle avait même l'impression d'être invisible. Comme si un sort magique agissait dans sa vie.
La soirée passa entre alternance de séries, de films d'horreur et d'animés. Sa mère la trouva devant l'écran lorsqu'elle rentra du boulot aux environs de vingt heures.
- Salut, ma puce, lança cette dernière heureuse de voir sa fille hors du lit.
- Bonne arrivée, maman.
Arielle enleva sa blouse et la jeta avec son sac sur le fauteuil. Elle s'approcha ensuite de Lidya et lui tâta le front. Elle poussa un soupir de soulagement en remarquant que la fièvre avait baissé.
- Enfin ! Tu vas mieux, ma chérie. Je commençais à mourir d'inquiétude.
Elle la serra très fort dans ses bras.
- Arrête, maman, tu m'étouffes. Je ne suis plus un bébé, j'aurai bientôt dix-huit ans, tu sais ? se plaignit Lidya en essayant de se dégager.
Arielle éclata de rire et la libéra. Elle s'assit à côté de sa fille et toutes les deux se mirent à discuter.
- En rentrant, j'ai croisé Jeanne.
Jeanne Dicaprio, leur voisine, était une vieille femme proche de la soixantaine, rondelette et au visage aimable. Cheveux grisonnant, yeux vert clair, joufflue et toujours souriante, celle-ci habitait avec son vieux et retraité mari, Norbert. Ensemble, ils passaient la journée dans leur jardin à papoter. Le vieux couple mexicain invitait souvent les Leclerc à dîner chez eux, et tous ensembles, ils passaient d'agréables soirées.
- Elle m'a annoncé l'arrivée de leur petite-fille très prochainement. Elle a le même âge que toi. Tu en penses quoi ?
- Super, avec un peu de chance j'aurais de la compagnie, répondit Lidya en doutant de ses propres mots.
Cette nouvelle la remplissait d'une immense joie, mais vu son passif en amitié ces dernières années, elle n'y croyait pas trop.
- C'est exactement ce que j'ai pensé. Et devine quoi ? fit énigmatiquement la jeune femme.
- Tu sais bien que je suis nulle en devinettes, maman.
Arielle se mit de nouveau à rire. Décidément, sa fille était son rayon de soleil.
- Oui, tu as raison, tu es nulle, confirma-t-elle. Eh bien, nous sommes invitées à dîner le jour suivant son arrivée !
- J'ai hâte de la rencontrer.
Qui sait ? Peut-être qu’elle y arriverait cette fois !
Des coulis de baves glacées atterirent sur son visage, lui coupant le souffle. - Couche-toi, hurla Léa.Comme par automatisme, Lidya s'applatit au sol. Au même moment, la queue de la créature passa à l'endroit où se trouvait quelques minutes plus tôt sa tête.> intima Laurine par la pensée à, Bartok.> répondit le félidé.Il se transforma et s'élança vers le monstre. Ayant deviné la menace, ce dernier attendit le bon moment et lui asséna un coup d'aile, qui envoya le Lynx rouler plus loin. - Bartok, cria la blonde en se précipitant vers son anima. > la rassura-t-il.Le cri du monstre avait attiré les deux rebelles. En moins de cinq minutes, ils étaient auprès des filles.- Un serpoccocus, lâcha Gaël, restez loin de sa queue, une seule piqûre et vous êtes paralysé.Carlos et lui se ruèrent sur la créature. Mais étant plus rapide, cette dernière fonça sur la blonde accroupie auprès de s
- Debout, grosse marmotte, cria Laurine en chatouillant Lidya.-Ha ha ha ! Arrête, s'il te plaît, c'est bon, je me lève, rit l'adolescente en se mettant en boule.À deux mètres, Léa les observait, un sourire discret aux lèvres. Un coup de coude venant de Carlos la fit sursauter, et détourna son attention. - Quoi ? fit-elle.- Je me disais juste que tu pourrais commencer par parler un peu plus avec elles. Ça te fera du bien, proposa-t-il d'un air coquin.La jeune Brandon ne répondit pas, mais haussa les épaules. Carlos s'éloigna et rejoignit Gaël à qui il fit une accolade. Tous deux se mirent à se taquiner, s'ébouriffant les cheveux l'un et l'autre en riant. Voir ces scènes d'amitié entre ses compagnons, lui donna envie. Elle se dit intérieurement, pourquoi pas ? et se promit de faire des efforts.Ayant rassemblé leurs maigres affaires, les cinq voyageurs reprirent leur chemin, dans une ambiance légère, où, rires et plaisanteries animaient la chevauchée. Bartok gambadait joyeusement
La nuit n'allait pas tarder à s'installer. Le ciel était orangé, sous les derniers rayons de soleil. Cela faisait deux jours que les cinq voyageurs longeaient les sous-bois de Rhatra, se nourrissant de produits de chasse, de fruits, et buvant l'eau de source ou de rivière. Physiquement, Lidya n'en pouvait plus. Elle ressentait des courbatures et avait mal aux fesses. La seule chose qui la consolait était qu'elle n'était pas la seule à souffrir. Laurine, depuis la matinée, n'avait cessé de pousser des jurons étouffés par le bruit des sabots de son cheval, et de masser discrètement son derrière. Galopant au même niveau que la jolie blonde, cela ne lui était pas passé inaperçu. Voulant se dégourdir les pattes, Bartok gambadait joyeusement derrière eux. Léa, quant à elle, ne montrait aucun signe de fatigue. À croire qu'elle avait fait de la chevauchée toute sa vie. - Nous allons camper ici, annonça Gaël, scrutant le ciel qui était à présent étoilé.La nouvelle fut accueillie avec joie
En ouvrant les yeux le lendemain, Lidya ne put s'empêcher de sourire au spectacle qui s'offrait à elle. Couché sur le côté droit et lui faisant face, Gaël dormait profondément. Son visage était paisible et un léger sourire ornait ses lèvres fines. Quelques mèches de ses cheveux bruns lui tombaient sur l'oeil gauche, le rendant plus attendrissant. Il avait une profonde et régulière respiration, qui faisait monter et descendre sa poitrine fortement musclée, dévoilée par deux boutons de sa chemise ouverte. À peine un mètre les séparait. Jamais Lidya n'avait observé un garçon d'aussi proche et de cette manière. Les yeux de l'adolescente brillaient d'une lueur étrange. Son souffle était court, ses joues teintées de rose, et un sourire béat flottait sur ses lèvres. Aussi étrange que cela pouvait paraître, elle avait envie de passer ses mains dans les cheveux du jeune homme, et de promener ses doigts sur son visage. Cette envie fit redoubler le battement de son cœur. Elle essaya de réfré
Une fois seule dans ses appartements, elle pouvait être enfin elle même. La reine froide au visage de glace faisait place à une femme dont la face transpirait la souffrance et la colère. Elle restait assise ou allongée, le regard lointain, plongée dans les méandres de ses pensées. À ressasser des souvenirs dans lesquels elle puisait sa force. Des souvenirs auxquels elle s'accrochait pour ne pas s'effondrer.Depuis son retour à Persillia, elle ressentait une grande nostalgie. Elle avait vécu sur ces terres pendant des années. Son enfance, son adolescence, toutes ces étapes de sa vie avaient été bercées de douceur et d'amour. Du moins jusqu'à ce jour fatidique. Ne voulant pas revivre cet enfer, elle se leva de son lit, qui pouvait contenir quatre personnes, attacha sa robe de chambre violette, et se dirigea vers les fenêtres. Celles-ci donnaient directement sur les jardins. Á cette vue, un sourire naquit sur ses lèvres pulpeuses. Ses yeux noirs se mirent à briller d'une douce chaleur.
- Je l'ai tué, couina Lidya agrippée au cou de sa gardienne. Je l'ai tué ! Je...je suis un monstre.- Ne dit pas ça, ma puce, il le méritait, répliqua la blonde. Igor est mort par sa faute ne l'oublie pas. Sa voix se brisa et trembla à cause de l'émotion.- Tu lui as rendu justice, essaya-t-elle de la convaincre.Les pleurs de l'héritière au trône redoublèrent en entendant le nom du jeune homme. Elle se laissa aller et versa toutes les larmes de son corps jusqu'à ce que celles-ci se tarissent. Pendant ce temps, Gaël essayait également de réconforter Carlos. Ce dernier pleurait dans les bras de son ami.Adossée à un arbre, Léa avait le regard perdu au loin. La mort d'Igor lui rappelait celle de sa mère. Elle la revoyait couchée dans son lit, toute mince et vidée de toute forces. Ce qui ranima sa douleur. Même si elle ne s'était pas attaché au jeune homme, sa mort l'attristait. Elle poussa un profond soupir et reporta son regard sur le cadavre du jeune homme allongé sur le sable meuble