Le jour suivant, aux environs de seize heures, dans la foule venu accueillir les passagers se trouvaient les Dicaprio. Quand ils aperçurent leur petite-fille, ils allèrent à sa rencontre.
- Ma petite Laurine, fit Jeanne, toute émue.
Elle serra très fort la jeune fille dans ses bras et lui donna un baiser sur chacune de ses joues.
- Mamie, fit mine de se plaindre la blonde en riant.
Intérieurement elle était très heureuse de revoir ses grands-parents.
Ce fut au tour de Norbert d'enlacer sa petite-fille.
- Ma crevette !
Il ouvrit grand ses bras et cette dernière s'y précipita sans se faire prier. Elle savoura la chaleur de ce câlin et aspira l'éternelle odeur de tabac de son grand-père. Jeanne les rejoignit et tous les trois s’étreignirent.
- Vous m'avez beaucoup manqué, leur avoua Laurine, les larmes aux yeux.
- Toi aussi, répondirent à l'unisson ses grands-parents.
Ils se dirigèrent ensuite vers la sortie, Norbert tirait la valise de Laurine. Une fois à l'extérieur, le vieil homme démarra sa Toyota blanche et ils prirent la direction de la cité OUA.
En chemin, assise sur le siège arrière, Laurine regardait par les vitres le paysage défiler. Des panneaux publicitaires et des boutiques bordaient la route. Des femmes et des hommes à la peau noire, habillés de pagne, passaient sur les trottoirs. Leurs marchandises sur la tête, dans des charrettes, ou dans des sacs. D'autres avaient étalé les leurs sur des tables. Elle vit des femmes porter leur bébé au dos, et des taxi-motos remorquant doublement des passagers. Ils croisèrent dans le sens inverse, des véhicules pleins à craquer de passagers. Elle aperçut au loin des enfants courir tout nu, s'amuser en criant, des femmes revenir du forage, des bassines d'eau sur la tête. Laurine baissa les vitres et aussitôt un vent sec et poussiéreux s'engouffra dans l'habitacle.
Elle était émerveillée par toutes ces nouvelles découvertes et l'animation qui régnait. Un nouveau monde complètement différent de celui qu'elle connaissait, le Togo dans toute sa splendeur ! Excitée, elle ne cessait de regarder des deux côtés de la voie.
Le véhicule passa devant un grand bâtiment peint en jaune. C'était l'une des sociétés de communication au Togo, le Togocom. Ils prirent ensuite la voie passant près du campus de Lomé. Une fois au feu rouge, Norbert tourna à gauche et ils arrivèrent à destination après quelques mètres.
Consultant sa montre, Laurine remarqua que le trajet avait duré une trentaine de minutes.
En voyant la villa, son cœur se serra. Tant de fois elle l'avait vue en photo avec ses parents et attendue avec impatience sa première visite. Ils prévoyaient de venir y passer tous ensemble les vacances d'été, mais la vie en avait décidé autrement. Ceux-ci étaient décédés avant d'avoir pu réaliser leurs projets. La jeune fille ne venait pas pour quelques jours, mais pour vivre définitivement avec ses grands-parents.
Ces souvenirs ravivèrent sa douleur, et elle passa de l'état d'excitation à celui de tristesse. Ses yeux marron se gorgèrent de larme, elle se mordit la lèvre inférieure pour refouler ses sanglots et se terra dans le mutisme. Ses grands-parents remarquèrent son changement d'humeur et tentèrent de l'y faire sortir... sans succès. Après plusieurs échecs, Norbert monta les affaires de Laurine dans sa chambre, l'adolescente à sa suite.
- Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à me le demander, ma crevette.
Laurine approuva de la tête. Une fois seule dans sa chambre, elle se dirigea vers la fenêtre et coulissa la vitre. La vue donnait sur le jardin. Du gazon à perte de vue. Des fleurs, un manguier, un oranger, puis un cocotier y étaient, le tout formant un environnement paisible. Deux rouge-gorge volèrent et approchèrent la jeune fille. Ils vinrent frotter leur petit bec contre ses joues comme pour la consoler. Cela avait toujours été ainsi. Les animaux l'adoraient et c'était réciproque.
Elle leur rendit leurs caresses et un sourire éclatant naquit sur son visage aux traits délicats et chaleureux. Peu importe comment elle se sentait, la vue d'un animal et un contact avec ce dernier la ressourçait.
Plus détendue, elle décida de prendre un bain. Elle enleva son haut, dévoilant une petite tache noire en forme de cœur sur son épaule gauche. Après elle s'allongea pour se remettre de son voyage.
♠
Dans la villa des Leclerc, Lidya avait assisté à l'arrivée de la nouvelle voisine. Elle suivait l'une de ses multiples séries lorsqu'elle avait entendu le bruit de la Toyota des Dicaprio. Curieuse et attirée comme un aimant, elle avait mis le lecteur en pause et accouru derrière la fenêtre.
Lidya était impatiente de rencontrer la petite-fille des Butter. Sans la connaître elle était attirée par sa nouvelle voisine, irrésistiblement.
Le nez collé à la vitre, elle vit sortir du véhicule une blonde de son âge qui portait un jean, un débardeur et un pull qu'elle avait noué à la hanche. Sa démarche était toute simple et gracieuse. À sa vue, une grosse nostalgie l’envahit. Ses yeux bleu-vert s'étaient teintés de tristesse et elle en avait perdu sa bonne humeur. Elle eut l’impression d’avoir un vide à la place du cœur, un manque. Lidya ne comprit pas ce qui lui arrivait ni cette attraction pour sa voisine. Elle resta là à observer le trio jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champ de vision.
Quelques minutes après, elle retrouva subitement sa bonne humeur. Elle flottait à present dans un état de bien-être intense qu'elle ne s'expliquait pas. Elle était complètement perdue. Le reste de la soirée, elle la passa à se demander ce qui lui arrivait.
Lorsqu’Arielle rentra de sa garde aux environs de vingt-deux heures, elle eut juste le temps de franchir la porte d'entrée que le téléphone fixe se mit à sonner.
- Allô, chanta une voix fluette au bout du fil.
- Bonsoir, Jeanne, lui répondit aimablement Arielle.
- J'espère ne pas vous réveiller ? s'inquiéta la vieille dame.
En effet il était tard, mais cela ne la dérangeait nullement.
- Non, rassura-t-elle. D'ailleurs, je viens juste de rentrer.
- J'en suis soulagée. Je voulais confirmer votre invitation à dîner. La petite est arrivée aujourd'hui.
- Oh ! s'exclama Arielle. Avec plaisir. Lidya sera très contente. Elle a tellement hâte de la rencontrer !
En parlant du loup, elle dormait sur l'un des fauteuils rembourrés du salon. Malgré le bruit du lecteur et la conversation téléphonique, elle continuait à roupiller. Son visage paisible élargit le sourire de sa mère.
- Dans ce cas, à demain alors, reprit Jeanne.
- Bonne nuit, lui souhaita Arielle.
L'infirmière reposa le combiné et se dirigea vers sa belle au bois dormant. Elle essaya de la réveiller et reçu des grognements en retour. Un sourire attendrit aux lèvres, elle alla chercher un drap et la couvrit. Ensuite, elle éteignit le lecteur les lumières, puis regagna sa chambre.
♠
Lidya se réveilla à dix heures le lendemain. Sa mère l'avait laissée faire la grasse matinée, vu que c'était les vacances.
Aussitôt sur pieds, elle fit un petit brin de toilette et sortit rejoindre sa génitrice à la cuisine.
- Bonjour, maman, lança-t-elle d'une voix ensommeillée en lui faisant une bise.
Cette dernière préparait des petits gâteaux. Elle lui en proposa quelques-uns.
- Bien dormi, ma puce ?
- Ouais, en piochant un morceau.
- Toujours de mauvaise humeur le matin, toi. Quand changeras-tu ?
Lidya préféra ignorer sa question. Elle se servit un verre de lait qu'elle vida d'une traite.
- Garde un peu de place pour le dîner. Nous sommes invitées chez les Dicaprio, lui annonça Arielle d'une voix enjouée tout en guettant sa réaction.
L'infirmière crut lire dans les yeux de son enfant de l'impatience, et cela la ravit. Secrètement, elle s'inquiétait de la voir toujours cloîtrée au salon à suivre des séries et à lire des mangas, au lieu de sortir, se faire des amis, et s'amuser comme les jeunes de son âge. Avec l'arrivée de la petite fille des Butter, elle espérait que cela allait changer.
- Soyez les bienvenus, leur souhaita Jeanne, d'une voix guillerette, un sourire aimable aux lèvres.
La vielle dame portait une longue robe à pois noir sur fond blanc. Des lunettes de vue, de forme sphérique, recouvraient ses beaux yeux bleus. Ses cheveux gris étaient relâchés et flottaient au gré du vent.
Elle s’écarta et laissa entrer ses invitées.
Ensemble, ils s'installèrent autour d'une longue table en ébène dans la salle à manger. Différents mets y étaient posés. Il flottait dans l'air une délicieuse odeur de friture, d'épice et de fruit. Sur le mur vert pâle de la pièce étaient accrochés des cadres représentant chaque saison de l'année. Il régnait dans la salle une ambiance chaleureuse et bon enfant.
- Te voilà, ma crevette. Allez approche.
Laurine se joignit à eux. Elle portait un jean noir, un top rose et ses cheveux étaient retenus par un serre-tête rouge fabriqué à base de fausses perles. Elle savait que les Leclerc se joindraient à eux, mais n'avait fourni aucun effort pour être à l’heure. Elle s'assit sur la chaise en face de Lidya après avoir lancé un ‹‹ salut ›› à l'assemblée.
- Coucou, Laurine. Bienvenue au Togo. J'espère que tu as fait un bon voyage ! Tu te plais ici ? lui demanda Arielle.
- Ouais, répondit cette dernière de manière nonchalante en se concentrant sur son plat.
- Quelles sont ces manières, jeune fille ? lui reprocha mamie Jeanne.
- Ne vous en faites pas, la calma l'infirmière. J'en ai l'habitude. Je suis heureuse de te rencontrer, Laurine.
Pour toute réponse, l'adolescente lui sourit poliment. Lorsque la discussion reprit entre les adultes, Lidya essaya de l'aborder à son tour.
- Salut. Je m'appelle Lidya. Enchantée, Laurine, débita la jeune fille d'une voix mal assurée.
En face d'elle, la concernée ne daigna même pas lui répondre. Elle continua à manger tranquillement son riz cantonais comme si de rien n'était. Cela réussit presque à décourager Lidya, mais elle remit sa tentative d'approche à la fin du dîner.
Le reste du repas se déroula dans la bonne humeur du côté des parents, et dans une ambiance glaciale entre les deux jeunes femmes. Lorsque la table fut débarrassée, Laurine sortit s'assoir sur la terrasse. Lidya la rejoignit quelques minutes plus tard.
- Je peux m'asseoir ? demanda-t-elle gentiment en désignant la chaise à ses côtés.
Elle n'obtint aucune réponse, mais s'assit tout de même.
- J’espère ne pas déranger ?
Silence.
- Il fait un peu plus chaud au Togo mais crois-moi tu vas adorer.
Silence.
Ne pas obtenir de réponses ni de réactions malgré ses efforts commençait à l'attrister et l'énerver.
Apparemment son karma repoussant était encore à l’œuvre.
En dépit de tout elle tenta encore de lancer la discussion.
- Ça te dirait de découvrir un peu le coin ? Je serai ton guide.
Pour une personne qui mettait à peine le nez hors de sa chambre elle se demandait quel genre de guide elle ferait.
Aucune réponse ! Laurine était toujours assise, mais n'accordait aucun regard à sa voisine.
- Ben, je suis contente que tu sois là, reprit-elle d'une toute petite voix.
Elle qui pensait qu'elles seraient amies, eh bien c'était mal parti. Froissant sa jupe de nervosité, Lidya ne savait plus quoi dire. Pourquoi ne voulait-elle pas lui parler ? Avait-elle une tête qui repoussait les gens ? Au lycée c'était à chaque fois le même scenario. Pire, puisque personne ne la remarquait. Était-elle destinée à ne jamais avoir d'amis ? À avoir pour seule compagnon la solitude ? Son cœur se serra à cette idée. Elle raffermit la prise de ses mains sur la jupe plissée qu'elle portait pour l'occasion et se mordit la lèvre inférieure pour ne pas laisser ses larmes, qui lui picotaient les yeux, couler. Elle se maudit d'être si sensible, mais il était hors de question qu'elle montre à sa nouvelle voisine sa faiblesse. Elle se leva doucement et dignement, se dirigea vers la porte.
Le ton qu'avait utilisé Lidya toucha Laurine. Elle se sentit subitement envahi d'une énorme vague de tristesse et de désespoir, qu'elle ne s'expliquait pas, et regretta son comportement vis-à-vis de Lidya. Après tout, celle-ci ne lui avait rien fait. La faute était à ses grands-parents qui pensaient lui remonter le moral avec ce dîner, or elle ne souhaitait qu’un peu de solitude.
- Attends !
L'adolescente attendit, sa main sur la poignée de la porte.
- Oui. J'aimerais bien visiter le coin.
Le visage de Lidya s'illumina et ses joues rosirent de plaisir. Finalement, il y avait de l'espoir.
Refrénant sa joie, elle fit demi-tour et lui tendit la main, comme pour faire la paix.
Laurine fut surprise par ce geste et demeura interdite quelques secondes. Elle trouva Lidya étrange et vraiment entêtée. Finalement, elle lui prit la main, un faible sourire étirant à son tour ses lèvres.
Lorsqu’elles se touchèrent, elles eurent toutes les deux le souffle coupé. Elles furent comme électrocutées, à la différence que la douleur de la décharge fut remplacée par une douceur et une immense fraîcheur qui se propagea lentement dans leurs veines. Elles eurent la sensation de flotter dans un autre monde, où leurs émotions ne faisaient qu'un. Un grand vent se leva et un violent coup de tonnerre déchira le ciel qui se couvrit, à une vitesse phénoménale, de gros nuages noirs. Vaincues par les sensations qu'elles ressentaient, les deux jeunes filles avaient fini par fermer les yeux. Elles restèrent ainsi pendant quelques minutes, complètement sous l'emprise de cette sensation grisante.
Petit à petit, le vent se calma, puis cessa de souffler lorsque les filles séparèrent leurs mains. Elles respirèrent à fond pour retrouver le souffle. Leurs regards reflétaient de la surprise, de l'incompréhension, de la méfiance, et de la peur.
- Tu l'as ressenti aussi ? s'inquiéta Laurine, haletante.
- Ou... Oui, affirma avec peine Lidya.
La porte d'entrée s'ouvrit sur les Dicaprio et Arielle. Ils avaient l'air inquiet. Ayant entendu le bruit du tonnerre et du vent, ils s'étaient précipités pour voir si les filles étaient à l'abri.
- Vous allez bien ? s'enquit Jeanne.
Laurine et Lidya hochèrent la tête d'assentiment en essayant de garder leur visage paisible et leur souffle normal.
- Mais la météo n'a pas annoncé d'orage aujourd'hui, releva Arielle en scrutant le ciel.
- Vous avez raison, concéda Norbert. C'est étrange !
- Nous sommes obligés de rentrer, fit avec regret la praticienne. Merci pour ce merveilleux repas.
- Oh ! Je vous en prie, répondit aimablement Jeanne.
Arielle se tourna vers sa fille et lui fit un signe de tête. Cette dernière se leva, murmura à Laurine un ‹‹ à demain ›› que lui rendit la blonde, salua poliment le vieux couple, puis elles prirent congé.
Une fois dans sa chambre, Lidya s'allongea sur son lit. Elle se mit à réfléchir à ce qui leur était arrivées à Laurine et elle. Cela l'inquiétait énormément, mais elle décida ne pas en parler à sa mère. La connaissant, celle-ci lui poserait de multiples questions auxquelles elle ne pourrait répondre.
Sa tâche noire en forme d'étoile recommença à la démanger. Comme dans la douche, elle se gratta en grognant et les picotements s'apaisèrent. La jeune fille ressentit subitement une immense fatigue. Ses paupières s'alourdirent progressivement, et elle sombra dans un profond sommeil.
Un peu plus loin, dans la villa, Arielle rangeait le salon. Dehors il pleuvait des cordes. Elle arrêta un instant son activité et regarda les gouttes couler sur les vitres. Elle n'était pas superstitieuse comme son collègue Ali, mais un tel orage en pleine saison sèche ne présageait rien de bon. D'autant plus qu'il continua à pleuvoir tout le reste de la soirée.
Sur Mirabel… Vautrée sur un fauteuil dans l'une des salles du manoir, une jeune fille aux cheveux châtain clair lisait un livre de sortilèges. Elle portait une mini-jupe en cuir noir et un top de la même couleur. Du haut de ses un mètre soixante-cinq, elle avait des formes voluptueuses et paraissait avoir au moins dix-huit ans. Les murs de la pièce étaient bleu ciel, le sol recouvert de carreaux blancs, et le plafond en marbre de même couleur incrusté de pierres lumineuses. Dans un angle se trouvait une table en verre entourée de chaises en argent. Sourcils froncés, nez pincé, et une moue aux lèvres, elle paraissait agacée et jetait chaque minute un coup d'oeil vers la porte. Elle se demanda ce qu’elle pouvait bien foutre. Un éclair de colère passa dans ses yeux et elle se leva, à bout de patience. D'une marche rageuse, elle sortit de la salle et se retrouva dans le salon. De là, elle emprunta les escaliers qui menaient à l'étage supérieur où se trouvaient les chambres à couche
La porte d'entrée de la petite villa claqua, montrant que la propriétaire était de retour. Une jeune brune au teint parfaitement bronzé entra dans le salon. Elle retira les écouteurs de ses oreilles et enleva son débardeur mouillé par l'effort du footing qu'elle venait d'effectuer. Ce fut ensuite au tour de la culotte de sport qu'elle portait d'être ôtée et de rejoindre une pile de vêtements sur le fauteuil. Un peu partout sur le carrelage, des habits traînaient dans la pièce. ‹‹ Il faut vraiment que je range tout ce bazar ›› se promit-elle intérieurement. Elle se demanda ce qu'aurait fait sa mère si cette dernière était là, et un sourire éclaira son visage. Sortant de ses pensées, elle prit la direction de la douche pour un bain. La jeune fille y était toujours lorsque dehors le vent se mit à souffler. Elle s'enroula rapidement dans une serviette et sortit fermer les fenêtres. Dehors, le ciel s'était obscurci. Debout derrière l'une d'elles, elle observait les éléments se décha
— Mais qu'est-ce qui la fait rire ? s'étonna l'une des voix.Le rire de Laurine resta coincé dans sa gorge. Elle commençait à se rendre compte qu'elle était bel et bien éveillée et que les deux petites voix étaient celles des rouges-gorges.— V...vous parlez vraiment ? s'exclama-t-elle en pointant du doigt les deux oiseaux.— Oui, oui, répondit celui sur son épaule gauche. Mais... tu nous entends ? s'écria-t-il ensuite.— Euh... Apparemment, oui, lâcha avec hésitation la jeune fille. Euh... ex... Excusez excusez-moi, mais je dois y aller.Sans plus tarder, elle referma la fenêtre et resta plantée au beau milieu de la chambre. Les yeux agrandis par la surprise, le cœur tambourinant de peur dans sa poitrine, elle se mit à tourner en rond.— Ce n'est pas vrai ! Je viens de parler à des oiseaux. Je suis folle, oui, c'est ça. Surement un début de folie.Elle se tirait les cheveux tout en marchant. ‹‹ Comment est-ce possible ? Qu'est-ce qui m'arrive ? Je suis en train de perdre la tête ou
Un portail lumineux de forme circulaire se matérialisa petit à petit sur la plage de Lomé. Il était plus de minuit, et les lieux étaient déserts. Trois jeunes femmes, dont une blonde, une rousse et une autre aux cheveux châtains, sortirent du passage qui se referma derrière elles.- Aïe, tu m'as écrasé le pied, Betty, se plaignit la blonde.- Je n'en ai rien à foutre, Nora, répondit la rousse en lissant sa jupe et en remettant de l'ordre dans ses cheveux.- Tu pourrais au moins t'excuser, attaqua de nouveau la jeune sœur en se mettant face à son aînée.Elles se défièrent du regard. Alexa, qui avait les mains croisées sur sa poitrine et les yeux fermés, avança, puis se plaça entre les deux jeunes femmes.- Nous sommes en mission, ne l'oubliez pas. Alors mettez vos disputes de côté et concentrez-vous, bon sang, ordonna-t-elle.Nora et Betty se dévisagèrent encore quelques secondes, puis mirent fin à leur duel visuel pour observer les alentours.Il y avait des cocotiers et des bancs publ
Un blanc passa, durant lequel Laurine et Lidya regardèrent la brune avec de gros yeux. Elles ne virent aucune trace d’amusement sur son visage. Toutes les deux se lancèrent un coup d’œil complice, puis pouffèrent de rire.- T'es vraiment sérieuse ? souffla Laurine. Ha ha ha... Alors selon toi, nous sommes des extraterrestres ! Ah ! Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas autant marrée.Léa s'attendait à ce genre de réaction. Malgré les moqueries de Laurine et Lidya, elle restait calme, avec un sourire en coin scotché sur ses lèvres pulpeuses. Son attitude chassa petit à petit l'hilarité des deux filles.- Vous appartenez à un autre monde, répéta-t-elle en essayant d'être plus douce et convaincante. Tout ce qui vous entoure n'est qu'éphémère. La famille à laquelle vous pensez appartenir n'est pas la vôtre. Tout a été mis en œuvre pour vous protéger...- Cela suffit, la coupa Lidya en colère. Tu te rends compte de ce que tu racontes ? Tu sais ce que cela implique ?Ses joues avaient
Cela faisait une heure déjà qu'elle était réveillée. Pourtant, Laurine ne quittait pas son lit. Allongée, elle réfléchissait à sa courte vie. D'abord élevée dans un orphelinat par des sœurs, elle avait eu la chance à quatre ans d'être adoptée par les Butter. Son bonheur familial n'avait duré que treize années. La jeune fille poussa un triste soupir et une larme roula sur sa joue. Ils étaient morts dans un accident, la laissant seule. Bien sûr, il lui restait ses grands-parents adoptifs, mais de temps à autre, le vide se faisait sentir.Une bonne partie de la nuit, elle avait ressassé dans sa tête les révélations de Léa, cette jeune fille au teint bronzé et trop sûre d'elle. Elle avait parlé aux rouges-gorges et possédait une tache sur son épaule, qui attestait ses dires. En fouillant dans ses souvenirs d'enfance, elle avait eu un flash. C'était à l'époque de l'orphelinat. Petite, elle aimait s'éclipser dans les bois au bord d'un petit lac. Un jour où elle y était, elle avait cru aperc
La jeune fille mit du temps à assimiler les mots de sa mère. Elle avait toujours été stérile ? Cela voudrait donc dire qu'elle n'avait jamais eu d'enfant ! Alors, elle n'était... Non, ce n'était pas possible.— Non ! Ce n'est pas vrai ! Dis-moi que ce n'est pas ce que je pense, maman, bredouilla Lidya en suppliant Arielle du regard.Celle-ci avait toujours la tête baissée et son visage était baigné de larmes.Les yeux de Lidya se mirent à rougir petit à petit et son cœur se serra douloureusement dans sa poitrine. — Tu m'as adoptée ? articula difficilement la jeune fille. Elle faisait tout l'effort du monde pour retenir ses larmes et espérait au plus profond de son cœur que la réponse d'Arielle fut négative. Au lieu de ça, la mère de famille opina de la tête, approuvant ainsi silencieusement sa question.Le regard de Lidya se brisa en même temps que son cœur. La lueur d'espoir qui brillait dans ses yeux s'éteignit et elle sentit le goût salé d'un liquide sur ses lèvres. Elle était c
Toute chamboulée et inquiète, Laurine sonna chez les Johnson. Arielle vint lui ouvrir. La jeune blonde fut étonnée de la mine qu'avait la mère de son amie. Elle sut immédiatement que quelque chose n'allait pas, ce qui augmenta son anxiété.— Laurine ? s'étonna la femme. — Excusez-moi, madame, j'aimerais voir, Lidya, expliqua-t-elle.Arielle hésita un instant. Vu l'état dans lequel se trouvait la petite, elle ne savait pas s'il fallait laisser Laurine la rejoindre ou lui demander de repasser plus tard. Et si c'était sa fille qui l'avait appelée ? — S'il vous plaît, madame Johnson, elle a besoin de moi, essaya de la convaincre la jeune blonde.La mère de famille poussa un triste soupir et laissa la jeune Butter entrer.Celle-ci se débarrassa de son imperméable et la suivit dans les couloirs de la villa. Une minute plus tard, elles étaient devant la porte de Lidya.— Il vaut mieux que ce soit toi qui frappes. Elle refusera d'ouvrir si c'est moi, fit-elle d'une petite voix où pointait
- Quoi encore ? marmonna Léa en essayant de rester droite sur ses pieds. Autour, les arbres bougeaient sous impacte des tremblements.- Restez sur vos gardes, avertit Gaël aux aguets.Les secousses s'amplifiaient de plus en plus et se rapprochaient dangereusement. Brusquement, tout devint calme. Plus rien ne se fit sentir, laissant les six compagnons de voyage pantois. Ceux-ci se lancèrent des regards interrogateurs teintés d'angoisse. Puis, sans qu'ils ne s'y attendent, un vers géant sortit du sol creusant à son passage un gros trou de la forme d'un cratère. Il avait la peau aussi noir que celle de la furie. De sa bouche remplis de dents affûtées coulait une bave de couleur verte. Une goutte du liquide tomba sur une touffe d'herbe et celle-ci se fana instantanément. Ses trois yeux jaunes et sauvages fixaient chacun des jeunes gens comme s'il avait l'embarras du choix. - Ne bougez surtout pas, restez calme ordonna en murmurant le chef rebelle. Carlos, reste... Non, tu restes où tu
Deux heures plus tôt, ils avaient quitté le Camp. Accompagné de Carlos qui leur servait de guide, le petit groupe avançait dans la forêt de Syrte en direction de la frontière de Valladium, territoire des Medox, situé au Nord-Ouest d'El-Dorado. Autour d'eux, un silence apaisant régnait, troublé par les chants d'oiseaux, le bruit d'une rivière un peu plus loin, et par les pas des chevaux. Il faisait mi-sombre malgré l'heure avancé de la journée. Ils empruntaient une piste sablonneuse qui serpentait à travers les bois, tracée au fil du temps, à force d'y marcher et galoper.Encore novice, Laurine essayait tant bien que mal de rester droite sur sa monture. Carlos trottait à ses côtés lui donnant quelques conseils de temps à autre. Lidya, elle, galopait sur le même alignement que Gaël. Léa et Igor venaient après. - Dans deux jours au plus, si tout va bien, nous serons à Valladium, annonça gaiement Carlos. - J'ai hâte d'y être, s'enthousiasma Lidya. Il paraît que la ville n'est pas enco
Le noir total. Autour d'elle, tout n'était qu'obscurité et silence. Lidya était apeurée. De petites gouttes salées perlaient sur son front, sa peau était couverte de chair de poule à cause du froid, et ses doigts tremblaient révélant son agitation intérieur. Elle jetait des regards inquiets aux alentours. Où était-elle ? Comment avait-elle atterri dans ce tunnel sombre et humide ? Était-ce de la réalité ou un rêve ?Soudain, au loin, elle aperçut une lumière violette et se dirigea vers la source avec appréhension. Lorsqu'elle y arriva, elle se retrouva devant une cellule. À l'intérieur, sur un lit de pierre, était allongée une femme. Cette dernière portait une longue robe noire qui couvrait son corps menu et fragile. Malgré cela, elle tremblait de froid. Lidya reconnut sa mère et en eut le cœur brisé. Faisant fi de toute vigilance, elle se précipita vers les barreaux et tenta d'ouvrir la serrure, en vain. Alertée par le raffut, Arielle se retourna avec difficulté. Les joues creuses,
Un léger vent souffla, soulevant et emportant avec lui des feuilles mortes. Juste après, sous le regard ahurie des trois filles, le paysage devant leurs yeux se transforma. Lorsque la mélodie prit fin, ce n'était plus une clairière qu'elles avaient en face, mais un camp.Des centaines de baraques construites proche les unes des autres servaient d'habitation aux rebelles. Lidya, qui s'attendait à un camp composé uniquement d'hommes, fut étonnée d'y trouver des femmes ainsi que des enfants. Ces derniers, insouciants, couraient et s'amusaient en groupe. L'agitation était semblable à celle d'un petit village paisible. N'eut pas été la présence de quelques gardes armés jusqu'aux dents, la jeune fille n'y aurait pas cru. Trop occupée à découvrir, le petit coin de paradis de leur hôte, elle ne remarqua pas deux hommes de la même carrure qu'Albierik se rapprocher d'eux. Ce ne fut qu'une fois la discussion entamée entre les trois Mirabelliens qu'elle se rendit enfin compte de leur présence.
La chute dura environ deux minutes. Léa, qui adorait tout ce qui provoquait une poussée d'adrénaline, jubilait. Gaël, lui, essayait de garder un air sérieux et ses sens en alerte. Après tout, il ne savait pas encore ce qui les attendait de l'autre côté.Petit à petit, ils perdirent en vitesse, signe qu'ils arriveraient bientôt. Soudain, suivant son instinct de félin qui lui avertissait la fin de la chute, Bartok s'échappa des mains de sa maîtresse pour retomber sur ses pattes. En se retournant pour voir si tout le monde était parvenu à destination, Gaël ne put retenir un fou rire.La blonde était allongée au sol, face contre terre, Lidya assise sur ses fesses. Elles mirent un peu de temps à reprendre leurs esprits. Quand elles y parvinrent, la Johnson saisit la main que lui tendait Gaël pour l'aider à se relever.- Ça va aller ? demanda-t-elle avec une pointe d'inquiétude dans la voix en voyant sa camarade allongée.- T'inquiète pas, heureusement ce tas de feuilles a amorti la chute
Vêtue d'une longue robe de couleur or qui épousait parfaitement ses formes, ses cheveux rouges relâchés atteignant le bas du dos, la reine attendait patiemment l'arrivée des trois sœurs. Assise sur le trône Royal, un verre en cristal contenant un liquide jaune dans sa main droite, et l'autre soutenant son menton, elle avait le regard perdu au loin. Une expression de tristesse et de lutte intérieure planait sur son visage sans défaut.Chaque fois qu'elle se retrouvait seule, c'était toujours pareil. Elle ne pouvait s'empêcher de revivre ses malheureux souvenirs. De sentir sa poitrine se comprimer douloureusement, ses yeux se voiler de larmes, sa gorge devenir sèche et l'air commencer à lui manquer, comme ce jour fatidique. Sa main, tenant le verre de cristal, se mit à trembler et elle s'empressa de vider le contenu pour se calmer. Qu'elle les haïssait ! Tout était de leur faute. Rien que de penser à eux, la douleur qu'elle ressentait fit place à de la rage. Cette même rage qui lui av
Lorsque Lidya ouvrit les yeux, et se trouva allongée dans son lit. Elle se leva en massant ses tempes, sa tête étant un peu douloureuse.En la voyant bouger, Laurine, qui était assise sur une chaise à ses côtés, se précipita de la prendre dans ses bras.- Ne me refais plus une telle frayeur jeune fille, j'ai cru que... Ses mots moururent au bout de ses lèvres, échangeant leur place à un croissant de lune, lorsque Laurine vit son amie grimacer.- Heureusement tu t'es enfin réveillée. Tu es restée inconsciente durant une heure, annonça-t-elle avec soulagement.Sonnée par la nouvelle, Lidya ouvrit grand les yeux. Son regard dévia vers une montre accrochée au mur. Elle indiquait vingt-un heures. L'enlèvement de sa mère lui revint en tête, avec son lot d'inquiétudes. - Où est Léa ? demanda-t-elle en remarquant l'absence de la brunette dans la pièce.Au même moment, cette dernière entra dans la chambre, suivie de Gaël. En le voyant, le cœur de la jeune fille rata un battement. Elle eut u
Deux minutes plus tard, Lidya rejoignait Laurine au lieu de rendez-vous. De loin, elle vit son amie adossée contre l'un des arbres qui bordaient la route bitumée. Les magasins commençaient à fermer et les lampadaires à s'allumer. Dès qu'elle fut un peu plus proche, elle remarqua que cette dernière tenait une boule de poils dans ses bras.— Salut, lança-t-elle en arrivant auprès d'elle. Trop curieuse de savoir ce que tenait la blonde, elle enchaîna :— Quel est donc cet animal, Laurine ? On dirait un lynx, mais sa couleur...— Tu le vois ? s'étonna la jeune Butter.La surprise de Laurine était grande. Lorsqu'elle avait quitté la maison avec Bartok, ses grands-parents ne l'avaient pas remarqué.— Bien sûr que oui ! Quelle question ! Il est trop mignon ! s'extasia Lidya. Ah, je vois ! C'était ça, ta surprise, hein ? fit-elle en souriant. Par contre, il est bleu, c'est étrange. Où l'as-tu trouvé ?Le fait que Lidya puisse voir Bartok alors que ses grands-parents non, rendit Laurine per
Une nouvelle journée venait de débuter. Allongée sur son lit, un livre sur sa poitrine, les bras le long du corps et le regard perdu dans la contemplation du plafond, Lidya était plongée dans ses pensées. Elle se remémorait les révélations de Léa. Selon cette dernière, sa mère biologique serait peut-être vivante, ou morte. Un mystère qu'elle voulait résoudre. Mais pour le moment, sa sécurité était la plus importante. Raison pour laquelle il fallait qu'elle soit présente au rendez-vous de ce soir. Comment allait-elle s'y prendre ? Voilà ce qu'était le problème.Depuis la veille, elle n'avait pas adressé la parole à sa ‹‹ mère adoptive ››. Rien que l'énonciation de ce mot lui nouait la gorge. Celle-ci avait déjà frappé plus de deux fois à sa porte pour lui parler, mais elle l'avait ignorée. Voir Arielle souffrir autant lui faisait mal, néanmoins elle n'arrivait pas à lui pardonner ; pas pour le moment.Son ventre gargouilla, trahissant sa faim. Cela faisait un moment qu'elle ressentait