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Rencontre

Rencontre

Mute était essoufflé. Sa longue traversée dans le désert n’avait fait qu’intensifier sa soif. Il peinait à marcher droit et le soleil l’agaçait vraiment. Une fois, il avait même essayé de le faire partir en lui tirant dessus pour lui faire peur. Mais rien à faire. La boule jaune était restée de marbre.

Il commençait à faiblir. Il voulait de l’eau. Juste de l’eau. Ça lui aurait vraiment fait plaisir. Mais de l’eau, il n’en voyait pas. Il n’y avait rien d’autre que du sable, des cailloux, du sable, d’autres cailloux, et encore du sable, une étendue rouge entourant une énorme flaque bleue, du sable...

Mute s’arrêta et plissa les yeux. Une flaque bleue ? Heureux, le cow-boy tapa dans ses mains. Il avait trouvé de l’eau ! Haletant, il courut et se jeta la tête la première dans le petit lac. Il s’abreuva jusqu’à s’en faire mal au ventre. Il plongea sa gourde dans le bassin et la remplit à ras bord. Qu’il était bon de se rafraîchir ! Mute sortit de l’eau et secoua la tête, tel un petit chien mouillé.

Sa soif étanchée, il observa alors les alentours. Ce qu’il avait pris tout d’abord pour une étendue rouge se révélait être une multitude de petites plantes vermeilles poussant autour du bassin. Mute trouvait ça plutôt joli. Il décida alors d’en cueillir quelques-unes. Il en ramassa une vingtaine et les fourra délicatement dans sa poche en jean. Puis, le sourire aux lèvres, il se dirigea vers... Vers où déjà ?

Mute se gratta la tête. Vers nulle part. Il haussa les épaules. Une douleur cuisante attira son attention sur sa main mutilée. Il regarda l’inscription et soupira. Il ne comprenait absolument rien à ce qui était gravé sur sa peau. Pour lui, ce n’était que deux mots sans aucun sens. Tant pis. Mute haussa à nouveau les épaules. Il se retourna une dernière fois, histoire de saluer le sympathique bassin qui l’avait bien aidé.

Mais le cow-boy n’eut jamais cette opportunité. Ses yeux se posèrent sur quelque chose de bien plus intéressant, bien plus grand, et bien plus beau qu’un simple lac. Il était étonnant qu’il ne l’ait pas vu plus tôt. Devant lui se trouvait une cité, vaste et imposante où se dressaient des bâtiments gris de toutes sortes. Toute l’architecture de la ville se construisait autour d’une structure centrale d’un bleu uni. Celle-ci se trouvait sur une surface un peu plus surélevée et une haute tour s’échappait de son toit. À son sommet, LV était inscrit en lettres d’or.

Mute jeta un rapide coup d’œil à sa main droite. Lycée Vile. Il sourit.

***

C’était l’heure de la pause. Quinze minuscules minutes de répit. Assise sur le petit muret qui entourait la cour d’entrée, Josie dessinait. Elle avait réussi à faire une caricature disgracieuse d’Antoine où ce dernier se retrouvait mis en pièce par une grande variété d’objets tranchants. Elle gribouilla sauvagement son dessin, arracha la page de son cahier de croquis, en fit une boulette et le jeta au loin. Un sourire malveillant illumina son visage.

Mais bien vite son sourire disparut. Elle avait initialement décidé de voir Marianne pendant la pause. Elle avait tellement eu envie de lui parler. Mais l’autre imbécile avait tout gâché. En réalité, le simple fait de penser à son amie la déprimait. Elle se demanda si elle arriverait un jour à la regarder une nouvelle fois en face. Josie laissa tomber sa tête entre ses jambes.

Elle n’entendit pas la sonnerie annonçant la fin de la pause ni les élèves repartir en cours. Elle resta simplement là. Toute seule.

***

Seul. Il était seul. Mute observa les alentours et se gratta la tête. Oui, il était vraiment seul. Les rues de la cité étaient pourtant assez vastes et il était passé plusieurs fois devant de nombreuses habitations. Mais il n’y avait personne. Pas âme qui vive dans la ville. Cela ne changeait pas beaucoup du désert.

Mute n’en était pas réellement embêté. Il s’en moquait même éperdument. Non, ce qui l’embêtait réellement tenait en trois mots : il était perdu. En réalité, il avait une nouvelle fois oublié où il devait se rendre. Le cow-boy s’assit par terre pour réfléchir. Mais à quoi ? Perplexe, il resta quelques minutes au sol, sans rien faire. Il ne s’était jamais senti aussi perdu de sa vie. Mais ça, bien sûr, il ne s’en souvenait pas.

— Il est chiant, l’autre ! Y a que dalle ici. On devrait rentrer !

— T’es sûr ? Il va être déçu...

— M’en fous qu’il soit déçu !

Mute ne rêvait pas, il entendait bel et bien des voix. Des gens venaient par ici !

Il se leva et marcha dans leur direction. Il était toujours heureux de croiser de nouvelles personnes.

— … rouges ? Où est-ce qu’il veut qu’on trouve ça ?

— Il doit sûrement y en avoir dans le coin.

Mute contourna un bâtiment en sautillant joyeusement. Puis, il les vit.

Deux jeunes hommes discutaient au milieu d’une grande place. Un petit adolescent brun à lunettes semblait boire les paroles d’un autre garçon plutôt grand dont les boucles d’un châtain clair formaient un casque autour de sa tête. Ils avaient l’air vraiment pris par leur discussion et n’avaient pas encore aperçu le cow-boy.

— Ouais, mais j’aimerais quand même dire qu’il est relativement chiant, dit le grand, agacé.

— Mais Yvan… lui répondit le petit.

— Tu déconnes ? Y en a que pour sa gueule : « Il me faut de l’eau, va là, fais ci, fais ça... »

Il se racla la gorge et prit une autre voix.

— « Yvan, tu pourrais aller en ville s’il te plaît ? J’aurais justement besoin que tu me trouves un échantillon de plante. Mais pas n’importe quelle plante hein ! Ce qu’il me faut ce sont des plantes rouges. Totalement rouges ! Et emmène Jérémy avec toi, il pourra t’aider. »

— Tu l’imites trop bien, gloussa Jérémy.

Yvan parut flatté.

— Ouais je sais. Je suis un bon imitateur, dit-il avant de bâiller bruyamment. Bon, j’ai un coup de barre. On devrait rentrer.

Il sourit et ajouta :

— J’ai envie de pioncer. Et même plus !

— Arrête Yvan, pouffa Jérémy. T’es trop con.

— Ouais, j’ai même envie de baiser !

Jérémy ne put se retenir davantage. La fine plaisanterie de son ami le fit éclater de rire. Soudain, il s’arrêta et ouvrit des yeux ronds. Yvan haussa les sourcils.

— Il t’arrive quoi mec ? T’as envie de pisser ?

Il le vit alors à son tour. Le cow-boy leur fit signe et leur montra sa cicatrice en haussant les sourcils. Mais les deux jeunes hommes n’y firent pas attention. Ils étaient bien trop occupés à fixer les plantes rouges qui dépassaient de sa poche.

***

— Une équipe pédagogique incroyable, des élèves charmants, et je ne vous parle pas de l’infrastructure !

Yvan fit un clin d’œil à Mute. Le cow-boy opina du chef, bien qu’il n’eût pas compris un traître mot de ce que le jeune homme aux cheveux bouclés lui avait dit.

— Yvan, demanda le petit adolescent à lunettes, qu’est-ce que tu fais ?

— T’inquiète, lui chuchota Yvan dans le creux de l’oreille. Je gagne sa confiance.

— Mais je crois qu’il nous fait déjà confiance.

Les deux jeunes hommes dévisagèrent le cow-boy. Il les regardait, affichant son sourire le plus niais. Yvan se retourna vers Jérémy.

— Tu les veux ces plantes ou pas ?

— Mais, il a déjà promis de nous les donner.

— T’as vu comment il est fringué ? En plus il ne sait pas parler. Il a l’air un peu... Enfin tu vois.

Yvan tapota son index contre le coin de sa tête. Son ami lui jeta un regard plein d’incompréhension.

— Cintré, quoi, ajouta-t-il.

— Arrête Yvan, c’est pas gentil, lui dit Jérémy tout en pouffant discrètement.

— Non, mais sérieux ! Un type fringué comme ça, qui ne sait pas parler et qui veut absolument aller au lycée, à tel point qu’il se l’est fait tatouer sur la main, il faut l’enfermer ! Direct à l’asile !

Jérémy éclata de rire. Mute haussa les sourcils. Yvan lui passa son bras autour des épaules.

— Ne faites pas attention, c’est un grand gamin ! Où j’en étais déjà ? Ah oui ! Tout le monde aime le Lycée Vile ! Il est réputé pour être le meilleur de la ville !

— Et le seul, renchérit Jérémy.

— Tais-toi abruti, grommela le grand garçon.

Mute aimait beaucoup ses deux nouveaux amis. Il n’arrivait pas à comprendre ce qu’ils racontaient, mais ils semblaient vraiment gentils.

— Eh bien, voilà. On est arrivés !

Mute leva les yeux. Devant lui se trouvait un grand bâtiment bleu assez moderne. De nombreux petits drapeaux, arborant l’inscription LV en lettres d’or, ornaient les murs. À l’avant du bâtiment se trouvait une petite cour en bitume entourée par un petit muret. Mute était impressionné. Yvan lui tapota l’épaule.

— Bon mec, on est relativement en retard en fait...

— Oui. On est un peu pressés, précisa Jérémy. En plus on n’est pas censés être dehors. Si on se fait choper par les profs on risque de...

Yvan marcha sur le pied du garçon qui ne put retenir un petit cri de douleur.

— Enfin, on va devoir vous laisser quoi.

Mute acquiesça d’un signe de tête, et leur fit au revoir de la main.

— Heu oui, dit Yvan, un peu étonné. Au revoir. Mais... Vous voulez toujours bien nous donner les plantes rouges ?

Le cow-boy fronça les sourcils et se gratta le front. Du doigt, Jérémy désigna sa poche.

— Euh... Ces trucs-là.

Mute sortit les végétaux. Il les observa, comme si c’était la première fois qu’il les voyait, puis les tendit aux deux garçons en haussant les sourcils.

— Oui, c’est exactement ça, lança Yvan. Génial, mec ! C’est parfait !

Mute leur sourit et leur donna les plantes.

— Eh bien, c’est l’heure de se séparer. Bonne chance à vous, dit Yvan en lui serrant la main.

— Oui, à bientôt, Monsieur, ajouta Jérémy.

Les deux garçons partirent, laissant le cow-boy muet à nouveau seul. Mute les regarda s’en aller puis décida de se rendre dans la cour du lycée. La cour était petite et apparemment vide. Mute n’était pas tellement avancé. Seul, il avait du mal à prendre des décisions. Il vit alors quelqu’un assis sur le muret, la tête baissée. Ses cheveux courts et noirs l’empêchaient de distinguer s’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon, mais peu lui importait. Il se dirigea vers Josie en souriant.

***

Recroquevillée, Josie entendit des bruits de pas. Vraisemblablement, quelqu’un s’approchait d’elle. Sûrement un surveillant qui venait la rappeler à l’ordre. Elle soupira et leva la tête.

Mais ce n’était pas un surveillant. Ni un élève, ni même un professeur. Il se tenait devant elle. Le grand cow-boy aux cheveux rouges. Le personnage de son dessin. En chair et en os.

Le cow-boy fit un signe amical de la main et lui sourit gentiment. Comme dans un rêve, Josie se leva et s’approcha de lui. Elle contempla son visage et lui toucha doucement la main. Ils restèrent quelques instants à se regarder sans bruit.

— Je t’attendais, souffla Josie avant d’éclater en sanglots et de se laisser tomber dans ses bras.

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