LOGINLa première lumière filtra à travers les rideaux, fine et froide comme une lame effilée.
Léa ouvrit les yeux lentement, sans savoir si elle avait dormi ou simplement somnolé dans cet état étrange où l’on se sent à la fois présent et absent, flottant à la surface de sa propre conscience. Elle resta immobile, les draps remontés jusqu’au menton, comme pour se protéger d’un danger invisible.Le manoir était silencieux. Mais c’était ce genre de silence qui n’est jamais pur : un silence chargé, où chaque craquement du bois, chaque soupir des murs vous rappelle que vous êtes observé. Elle écouta un moment. Pas de pas dans le couloir, pas de voix. Seulement ce tic-tac régulier de l’horloge murale, lointain, presque étouffé.
Son corps portait encore la tension de la veille. Cette nuit-là, Aiden avait effleuré ses cheveux un geste minuscule, mais qui, étrangement, brûlait encore dans sa mémoire comme une marque invisible. Ce contact furtif lui avait laissé un sentiment contradictoire : un mélange de crainte et de trouble, comme si cet homme était à la fois la cage et la clé.
Elle se redressa. Les draps glissèrent lentement, et l’air du matin vint mordre sa peau.
Elle posa les pieds sur le tapis moelleux, mais ne se leva pas tout de suite. Elle resta assise, fixant ses mains. Ses doigts tremblaient légèrement. Elle ne savait pas si c’était à cause du froid ou à cause de ce qui l’attendait.Elle se leva enfin et marcha jusqu’à la fenêtre. Les jardins s’étendaient devant elle, d’un vert humide et presque noir dans la lumière grise. La rosée scintillait comme un voile de diamants. Au loin, elle aperçut les grands portails en fer forgé, fermés. Même d’ici, ils semblaient pesants, inaccessibles.
Un bruit derrière elle la fit sursauter. Elle se retourna.
Clara, la gouvernante, venait d’entrer, silencieuse comme un chat. Elle portait un plateau où reposait une tasse de porcelaine fumante et un petit bol de fruits coupés. — Bonjour, madame Knight. Léa tressaillit à l’entente de ce nom. Il sonnait faux, comme un costume trop grand pour elle. — Bonjour, répondit-elle dans un souffle.Clara posa le plateau sur la table basse. Ses gestes étaient précis, presque mécaniques, mais ses yeux, eux, observaient avec attention.
— Monsieur est déjà parti, dit-elle comme on annoncerait la météo. Léa sentit une pointe de soulagement, vite noyée par un autre sentiment qu’elle n’osa pas nommer. — Parti ? Où ça ? Clara haussa légèrement les épaules. — Les affaires.Un silence tomba entre elles. Léa prit la tasse, juste pour occuper ses mains.
Le café était amer, brûlant. Elle but une gorgée, les yeux baissés.
— Vous… vous travaillez ici depuis longtemps? demanda-t-elle, cherchant un terrain neutre. — Assez longtemps pour savoir que, dans cette maison, il vaut mieux ne pas poser de questions.Les mots de Clara restèrent suspendus dans l’air, comme un avertissement. Léa hocha la tête, incapable de répondre. Elle regarda par la fenêtre, observant les arbres qui se balançaient doucement dans le vent. Dans cette maison, chaque vérité pouvait être une arme.
Clara finit par s’éclipser. Le silence revint, mais il était encore plus lourd qu’avant.
Léa s’habilla lentement. Elle choisit une robe simple, fluide, qui ne marquait pas trop ses formes. Elle se regarda dans le grand miroir de la coiffeuse. Ses yeux avaient cette ombre qui ne disparaît pas après une seule nuit. Elle passa un doigt sur le rebord du miroir, comme pour en effacer le flou ou peut-être pour se rappeler qu’elle était encore là.
Elle descendit dans le hall. Le marbre sous ses pas renvoyait un écho froid. Chaque pièce du manoir semblait immense, trop vaste pour une seule personne, trop vide malgré le luxe. Les lustres scintillaient comme s’ils savaient quelque chose que leur éclat ne révélait pas.
Dans la cuisine, elle retrouva Clara, en train de ranger quelques provisions.
— Vous voulez que je vous prépare quelque chose ? demanda la gouvernante. — Non, merci. Je vais sortir un peu. Clara leva les yeux, surprise. — Sortir ? Vous savez que… monsieur préfère que vous l’attendiez ici. Léa sentit la colère monter, mais elle l’étouffa. — Je ne vais pas loin, juste… prendre l’air.Clara la fixa encore une seconde, puis reprit son activité, comme si elle n’avait rien entendu.
Léa enfila un manteau et sortit dans les jardins. L’air était frais, presque coupant. Elle inspira profondément. Les massifs de fleurs, parfaitement taillés, semblaient trop parfaits pour être vivants. Les statues de pierre la regardaient passer, impassibles.
En longeant l’allée principale, elle sentit la tension dans ses épaules se relâcher un peu. Ici, au moins, elle pouvait marcher sans sentir le regard d’Aiden peser sur elle. Mais le manoir restait là, massif, derrière elle, comme un témoin muet.
Elle arriva près de la grille. Ses mains effleurèrent le métal froid. Elle jeta un coup d’œil autour : personne. Les lourds verrous brillaient au soleil timide. Aucun moyen de les ouvrir de l’intérieur sans la clé. Elle serra les dents. Ce n’était pas une grille, c’était une frontière.
Un bruit de moteur la fit se retourner. Une voiture noire avançait lentement sur l’allée. Le cœur de Léa se mit à battre plus vite. Aiden.
Il sortit du véhicule avec cette même prestance, ce mélange de contrôle et d’ombre qui semblait le suivre partout. Sa chemise sombre contrastait avec la lumière pâle du matin. Il la vit près de la grille, et son regard se durcit imperceptiblement.
— Vous essayez déjà de fuir ? demanda-t-il, la voix basse mais tranchante.
Léa recula d’un pas. — Non. Je… je voulais juste respirer.Il s’approcha, chaque pas résonnant sur le gravier.
— Ici, Léa, l’air est le même qu’à l’intérieur. Ce qui change, c’est ce que vous croyez pouvoir faire.Elle resta muette. Il était si proche qu’elle pouvait sentir son parfum, ce mélange subtil et froid qui, étrangement, la troublait autant qu’il l’inquiétait.
Il inclina légèrement la tête, comme pour l’examiner.
— Vous devriez faire attention. Les murs parlent. Et parfois… ils me répètent tout.Léa sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.
Aiden ne dit rien. Il fit un bref signe au chauffeur, puis lui tendit son bras sans un mot.
— Rentrez.Elle hésita, puis glissa sa main sous la sienne. Le contact était froid, presque mécanique. Ils traversèrent le jardin dans un silence pesant, les graviers crissant sous leurs pas comme des murmures étouffés.
À l’intérieur, il s’éloigna vers son bureau, sans même se retourner.
Léa resta seule dans le hall. Le silence du manoir semblait l’observer, respirer autour d’elle. Elle leva les yeux vers le grand escalier, puis vers les portraits suspendus aux murs. Tous semblaient la juger.
Elle inspira lentement, comme pour se convaincre qu’elle avait encore le choix.
Mais elle savait que ce n’était plus vrai.
Elle monta les marches, une à une, sans se retourner.
Derrière elle, la porte du bureau se referma dans un claquement sec.
Comme un couperet.Peut-on vraiment faire confiance à quelqu’un qui ne vous regarde jamais dans les yeux? Nicemz
Le matin du dernier jour du procès s’annonçait avec une lourdeur presque palpable. Manhattan, d’habitude vibrante, bruissait à peine sous un ciel chargé d’un gris uniforme. Un brouillard dense remontait de l’Hudson, se faufilant entre les gratte-ciel comme un voile inquiétant, et la pluie, fine mais persistante, martelait les trottoirs avec une régularité insupportable. Tout semblait conspirer pour donner à cette journée une aura sombre, dramatique, presque théâtrale, comme si même la ville savait que quelque chose de décisif allait tomber aujourd’hui.Pour Aiden Knight, pour Léa, Serena et toute l’équipe juridique qui les soutenait depuis deux semaines, ce dernier jour n’était pas une simple formalité juridique. C’était le point culminant d’un combat titanesque. Deux semaines d’épreuves, de révélations, d’attaques, de nuits sans sommeil. Deux semaines à revivre chaque erreur, chaque coup monté par les Ford. Deux semaines à défendre non seulement une réputation, mais une vérité, un ho
Le lendemain matin, la pluie tombait sur Manhattan comme un voile gris. Dans les rues autour du tribunal fédéral, les caméras s’étaient déjà alignées, prêtes à capturer la moindre expression, le plus petit frémissement. Le procès Knight contre Ford Industries était devenu un spectacle national et chacun voulait en voir la chute ou la rédemption.Aiden Knight arriva accompagné de son avocat, Jonathan Sawyer, le visage fermé, le pas mesuré. À ses côtés, Léa et Serena marchaient sans un mot. Leurs silhouettes se perdaient dans le tumulte des flashs, des micros tendus, des voix criant son nom. Mais lui n’entendait rien. Tout ce vacarme se dissolvait dans un bourdonnement sourd. La seule chose qu’il sentait, c’était la main de Léa serrant la sienne, et ce regard qu’elle lui lança avant d’entrer : Tiens bon.La salle d’audience était pleine à craquer. Les bancs du fond étaient occupés par des journalistes, des investisseurs, des anciens employés de Knight Industries. Certains avaient travai
Stev Cela faisait un peu plus d’un an que Léa avait décidé de retourner vers Aiden. Et même après tout ce temps, j’en avais encore le souffle coupé. Je ne m’étais pas attendu à ça. Pas après tout ce qu’elle avait enduré, pas après toutes les nuits où elle m’avait juré, les larmes pleines de rancune, qu’elle ne voulait plus jamais entendre son nom. Mais je l’avais toujours su, au fond. Léa ne respirait qu’à travers lui. Même séparée de lui pendant cinq longues années, elle murmurait encore son prénom dans son sommeil. J’ai entendu ses rêves, ses silences, ses colères étouffées. J’ai compris que tout ce qu’elle essayait d’enterrer l’amour, la douleur, la trahison tout ça continuait de battre sous sa peau. Et quand j’ai appris ce qui était arrivé à Aiden, sa blessure, sa chute, son corps brisé, j’ai voulu me réjouir. Vraiment. Je me suis dit : “Bien fait. Le karma a enfin frappé.” Mais on ne se
La route qui descendait des collines du manoir de Stev jusqu’à l’aéroport semblait interminable. La pluie avait cessé, mais le ciel restait bas, lourd de nuages sombres qui s’étiraient sur la vallée comme un drap de pierre. Léa appuyait sa tête contre la vitre, observant les oliviers disparaître un à un, les collines se fondre dans le gris. Le moteur ronronnait, monotone, comme un cœur qui bat en sourdine. Aiden conduisait, silencieux, la mâchoire serrée, les yeux fixés sur la route sinueuse. Serena, à l’arrière, consultait son téléphone, ses doigts tapotant nerveusement sur l’écran, envoyant des messages cryptés à une poignée de contacts. Des hommes de Stev les suivaient de loin. Et Léa, elle, essayait de respirer, de contenir l’angoisse qui lui remontait de la poitrine. — Tu crois qu’on pourra… tout régler cette fois ci à New York ? murmura-t-elle enfin. Aiden ne répondit pas immédiatement. Ses mains étaient tendues sur le volant, son regard un mélange de concentration et de f
Stev Cela faisait un peu plus d’un an que Léa avait décidé de retourner vers Aiden. Et même après tout ce temps, j’en avais encore le souffle coupé. Je ne m’étais pas attendu à ça. Pas après tout ce qu’elle avait enduré, pas après toutes les nuits où elle m’avait juré, les larmes pleines de rancune, qu’elle ne voulait plus jamais entendre son nom. Mais je l’avais toujours su, au fond. Léa ne respirait qu’à travers lui. Même séparée de lui pendant cinq longues années, elle murmurait encore son prénom dans son sommeil. J’ai entendu ses rêves, ses silences, ses colères étouffées. J’ai compris que tout ce qu’elle essayait d’enterrer l’amour, la douleur, la trahison tout ça continuait de battre sous sa peau. Et quand j’ai appris ce qui était arrivé à Aiden, sa blessure, sa chute, son corps brisé, j’ai voulu me réjouir. Vraiment. Je me suis dit : “Bien fait. Le karma a enfin frappé.” Mais on ne se réjouit jamais vraiment du malheur d’un homme qu’on a appris à comprendre. Et surtout pa
Les jours suivants eurent une lourdeur étrange, comme si l’air lui-même retenait son souffle. La mer n’était plus bleue, mais d’un vert profond, presque opaque. Le vent avait tourné, charriant depuis le port une odeur de métal et d’orage. Léa le remarqua la première. — Tu entends ? demanda-t-elle un matin, la tasse de café encore fumante entre les doigts. — Quoi donc ? — Le silence. Il n’y a plus de mouettes. Aiden fronça les sourcils. Elle avait raison. Même les bruits de la ville semblaient étouffés, comme avalés par la brume qui stagnait au-dessus de la mer. Leur routine continua malgré tout. Les volets s’ouvraient toujours au même moment, la lumière entrait, la terrasse s’emplissait du parfum du café et du sel. Mais quelque chose avait changé, un détail invisible, une tension minuscule qui glissait entre eux comme un fil tendu. Les pêcheurs du port avaient commencé à partir plus tôt, rentrant avant le soir. Certains chuchotaient qu’un navire inconnu croisait trop près des côt







