LOGINDès qu’elle posa le pied hors de la voiture, Léa sut qu’elle n’avait rien à faire ici.
Le siège de Knight Corporation dominait le quartier financier comme une forteresse de verre et d’acier. Des façades miroitantes, des gardes à chaque entrée, et ce logo gravé en lettres d’argent qui brillait sous le soleil du matin : KNIGHT un nom qui faisait frissonner banquiers, concurrents et même ministres.
Aiden sortit le premier. Costume sombre, cravate parfaitement nouée, silhouette droite. Son ombre semblait encore plus grande que lui.
Il lui tendit une main pour l’aider à descendre. Un geste qui, devant les caméras, paraissait galant mais dont la poigne ferme lui rappela qu’il ne la laissait jamais choisir.
— Souris, souffla-t-il sans même la regarder.
Elle obéit, baissant la tête sous le crépitement discret des flashs. À cette heure, quelques journalistes traînaient encore devant l’entrée. Tous espéraient une image : le PDG et sa jeune épouse. Un conte de fées pour les magazines de luxe.
À l’intérieur, l’air était glacé, saturé de marbre et de verre poli. Des ascenseurs silencieux montaient et descendaient sans fin. Des employés en tailleurs noirs la saluaient d’un simple signe de tête avant de disparaître derrière des portes vitrées. Tout était silencieux, millimétré, contrôlé.
Elle n’était qu’une tache de couleur au milieu de cette fourmilière monochrome.
Aiden la guida vers le dernier étage. Sa main dans son dos, encore. Toujours ce contact, léger en apparence, mais aussi tranchant qu’un cadenas.
— Pourquoi je dois venir ? demanda-t-elle à mi-voix dans l’ascenseur.
Il tourna à peine la tête, ses yeux froids se posant sur elle dans le reflet des parois d’acier.
— Parce que je le veux.
Pas d’explication. Pas de justification. Seulement une évidence : il décidait.
Le bureau d’Aiden occupait tout le dernier étage. Une baie vitrée gigantesque offrait une vue à couper le souffle sur la ville. La table en verre, le fauteuil de cuir noir, la bibliothèque murale : tout respirait l’ordre, la puissance.
Une jeune assistante, tailleur sombre et lunettes fines, vint à leur rencontre.
— Monsieur Knight, vos invités vous attendent en salle de conférence.
Aiden hocha la tête, déjà ailleurs. Il se tourna vers Léa :
— Attends ici.
Un ordre sec, comme s’il parlait à un chien bien dressé.
Quand la porte se referma derrière lui, Léa se sentit soudain minuscule. Elle avança jusqu’à la baie vitrée, posa une main sur le verre froid. Là-bas, tout en bas, la ville vivait sans elle. Des taxis filaient, des passants se pressaient, libres de leurs pas. Elle, elle était prisonnière derrière ces murs de verre.
Elle inspira profondément. Ses doigts se posèrent sur le rebord de la fenêtre, sentant la froideur du verre sous sa peau.
Elle murmura presque sans voix:
— Plus que neuf mois… et je serai libre.Les mots flottaient dans l’air comme une promesse, ou une menace. Elle ne savait pas encore laquelle des deux serait vraie.
Elle se retourna, laissant son regard glisser sur le bureau. Tout était aligné : dossiers classés, stylos parfaitement parallèles, écrans allumés mais verrouillés. Sur un coin, un cadre photo attira son œil. Elle s’approcha : une image d’Aiden, adolescent, aux côtés d’un homme plus âgé. Son père, devina-t-elle. Même regard, même posture raide. Mais le père souriait à peine, la main crispée sur l’épaule de l’enfant.
Elle frissonna. Un écho, peut-être, de ce qu’Aiden refusait toujours de montrer.
Elle fit un pas de trop. Un bip soudain résonna : un écran venait de s’allumer tout seul. Un fichier ouvert par erreur, ou peut-être pas : une série de rapports internes, des chiffres, des noms. Elle recula aussitôt. Elle n’y comprenait rien sauf un mot, répété plusieurs fois : acquisition.
Des entreprises, des rachats. Des familles brisées comme la sienne.
— Madame Knight ?
Elle sursauta. L’assistante était revenue, un sourire poli mais froid aux lèvres.
— Monsieur Knight vous attend en salle de conférence.
Elle la guida à travers un couloir trop long, où chaque porte semblait cacher des secrets. Devant une double porte vitrée, l’assistante s’effaça :
— Entrez, s’il vous plaît.
Léa franchit le seuil. La salle était grande, circulaire. Une table en acajou massif, des fauteuils de cuir. Une dizaine d’hommes en costume se tournèrent vers elle. Tous la détaillèrent : la robe sage, le maquillage discret, la nervosité qu’elle essayait de dissimuler.
Au bout de la table, Aiden. Impeccable. Son regard se posa sur elle comme une lame.
— Voici ma femme, Léa Knight.
Un murmure courut autour de la table : saluts, sourires feints. Léa hocha la tête, les joues brûlantes.
Aiden tapota le dossier du fauteuil à sa droite.
— Assieds-toi.
Elle s’exécuta. Il posa sa main sur l’accoudoir, frôlant ses doigts du bout des siens. Une caresse imperceptible qui, aux yeux de tous, ressemblait à un geste tendre. Mais sous la table, sa main se referma sur la sienne avec une force tranquille. Un avertissement silencieux.
La réunion commença. Des chiffres. Des acquisitions. Des milliards évoqués comme des gouttes d’eau. Léa comprit vite qu’elle n’était là que pour jouer le décor : la preuve vivante que Knight Corporation avait une « famille » impeccable, une image respectable.
Mais elle entendait malgré elle des noms qu’elle connaissait. Des fournisseurs. Des sous-traitants de l’entreprise familiale. Des rachats. Des fusions. Des menaces déguisées.
Son père était peut-être sauvé, mais à quel prix ? Combien d’autres familles allaient s’effondrer pour maintenir debout l’empire d’Aiden ?
À un moment, elle sentit sa gorge se serrer. Un haut-le-cœur. L'odeur du café, trop forte, lui monta à la tête. Elle s'appuya légèrement contre le dossier de sa chaise, cherchant à stabiliser sa respiration sans attirer l’attention.
Aiden remarqua son mouvement. Ses yeux, un instant, se plissèrent.
— Ça va? murmura-t-il sans quitter la salle du regard.
Elle hocha la tête, mentant sans hésiter.
— Oui, un peu fatiguée.
Il hocha à peine la tête et serra plus fort ses doigts sous la table.
À la pause, il se leva, salua ses associés d’un signe bref, puis se pencha vers elle.
— Viens.
Il l’entraîna hors de la salle, sa main toujours crispée sur la sienne. Elle trottina derrière lui dans le couloir trop vaste. Il poussa une porte, referma derrière eux.
C’était son bureau privé, encore. Il se posta devant elle, bras croisés.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Sa voix était plus dure qu’elle ne l’avait imaginé. Presque inquiète, mais cachée sous une couche de contrôle.
Elle secoua la tête.
— Rien. Je t’assure.
Il la fixa si intensément qu’elle crut qu’il voyait tout : le mensonge, la peur, en elle.
Un seul mot. Prononcé à voix basse, mais chargé d’une autorité glaciale.
— Léa.Elle releva les yeux. Il n’avait pas crié, ni haussé le ton. Mais dans sa voix, il y avait cette chose qu’elle connaissait trop bien: le contrôle. Le pouvoir. La menace dissimulée derrière une façade de calme.
Elle soutint son regard, rassemblant tout ce qui lui restait de courage.
— Je vais bien, Aiden. Laisse-moi respirer.Il ne répondit pas tout de suite. Son regard la scrutait, comme s’il cherchait à percer un mur invisible. Puis, contre toute attente, il leva la main et effleura sa joue. Une caresse du pouce, lente, presque tendre. Presque.
— Si tu me mens, je le saurai.
Ses mots résonnèrent comme une lame posée sur la table. Pas encore utilisée, mais prête à trancher. Elle frissonna. Baissa les yeux. Pas par soumission, mais pour se protéger. Il la contourna, déjà redevenu ce qu’il était toujours: le PDG implacable, le stratège, le maître des apparences.
Ils quittèrent le bureau sans un mot de plus. Le couloir semblait plus long que d’habitude, plus silencieux. Léa marchait à ses côtés, mais elle se sentait à des kilomètres de lui.
Elle glissa une main dans son sac, non pas pour y chercher quoi que ce soit, mais par réflexe, comme si ce simple geste pouvait l’ancrer dans une réalité qu’elle maîtrisait encore. Son cœur battait plus vite qu’elle ne l’aurait voulu. L’air semblait plus dense ici, chargé d’un parfum discret trop discret de désinfectant et de bois verni.
Les murs étaient d’un beige impersonnel, ponctués de cadres abstraits qui n’évoquaient rien. Aiden, lui marchait devant elle avec l’assurance de quelqu’un qui connaît chaque recoin, chaque secret.
Elle ralentit légèrement, observant les détails: une caméra discrète dans l’angle du plafond, une lumière rouge au-dessus d’une porte verrouillée, un badge oublié sur un meuble d’appoint. Rien n’était là par hasard, et pourtant tout semblait vouloir dissimuler quelque chose.
Encore quelques mois. Et tout changerait.
— Plus que neuf mois… et je serai libre. Elle savait que c’était une illusion. Mais elle s’y accrochait comme à une bouée dans une mer trop calme pour être honnête.Bientôt. Très bientôt. Que quelques mois.....................................................................
Salut
Il y avait dans la lumière de Palerme quelque chose d’injustement apaisant. Une douceur trompeuse, presque cruelle, tant elle contrastait avec les nuits qu’ils avaient traversées. Le ciel, d’un bleu dense, semblait vouloir tout effacer, tout recouvrir comme si le passé n’avait jamais existé. Et pourtant, à chaque souffle de vent, à chaque parfum de citron qui flottait sur les collines, Léa se souvenait que la paix, chez eux, n’était qu’une illusion fragile. Aiden ne s’y habituait pas encore. Il marchait dans cette maison italienne comme un homme qui ne savait pas s’il méritait encore le calme. Après tant de mois à se battre contre la douleur, à apprendre de nouveau à marcher, à respirer sans que son corps ne le trahisse, il se sentait presque coupable d’être là, vivant, debout, dans ce lieu où tout respirait la paix. Il se souvenait du jour où il s’était effondré dans les bras de Léa, le visage vidé, les mains couvertes de sang, et ces mots brisés : « Scott Ford est mort… Léa,
Le soleil se levait sur Palerme d’une façon qui n’avait rien de brutal. Il se glissait dans les ruelles et sur les toits ocre, caressant la mer d’un éclat argenté. Léa s’était réveillée tôt, comme elle le faisait depuis des mois, habituée à l’angoisse et à la veille constante. Mais ici, dans cette villa aux murs ocre et aux volets turquoise, la lumière semblait plus douce, presque innocente. Le vent chaud de la Méditerranée apportait avec lui l’odeur du jasmin et du citron, et chaque respiration lui donnait l’impression d’exister à nouveau, loin de l’hiver, loin de la neige et de la fuite. Elle resta un instant immobile, assise sur le rebord de la fenêtre, observant la mer qui s’étendait à perte de vue. Aiden dormait encore, allongé dans le lit aux draps clairs. Sa respiration, lente et régulière, contrastait avec la violence des dernières semaines. Léa le regarda presque avec incrédulité. Il était là, vivant, presque entier. La rééducation semblait lui avoir rendu quelque chose de pr
La nouvelle s’était abattue sur eux comme une lame glaciale. Deux jours. Peut-être moins. La neige, dehors, s’était remise à tomber, silencieuse et lourde, ensevelissant tout. Le monde semblait vouloir effacer leurs traces, comme si la montagne elle-même cherchait à les protéger ou à les ensevelir avec leurs secrets. Serena, droite dans son manteau de laine sombre, s’était installée devant la grande carte accrochée au mur du bureau. On y voyait les routes, les cols, les lignes frontières qu’ils avaient franchies en fuyant. Elle traçait des traits rapides au crayon rouge, ses gestes précis, presque militaires. — Ils viennent du sud, murmura-t-elle. Par la vallée. S’ils franchissent le tunnel avant l’aube, ils seront ici demain soir. — Et les communications ? demanda Aiden. — Brouillées. Le satellite n’est plus sûr. On a peut-être vingt-quatre heures avant qu’ils coupent tout. Léa resta un instant immobile, observant Serena. Ses yeux, d’un gris métallique, brillaient d’une intensi
Le vent d’hiver soufflait avec une lenteur presque humaine, comme s’il hésitait à troubler la paix fragile qui régnait autour du manoir. La bâtisse se dressait à flanc de montagne, solitaire, entourée d’arbres chargés de neige. Le monde semblait s’être figé. Tout n’était plus que blanc, silence et respiration suspendue. C’était ici qu’ils avaient trouvé refuge chez une connaissance de Serena, un homme discret, diplomate à la retraite, qui leur avait prêté ce lieu à condition que son nom ne soit jamais mentionné. Une faveur offerte dans l’ombre. À l’intérieur, le feu crépitait dans l’immense cheminée du salon. Les flammes dansaient lentement sur les murs chargés de portraits anciens, projetant des ombres mouvantes sur les visages peints d’un autre siècle. Léa, assise sur un fauteuil bas, observait les braises. Ses doigts jouaient distraitement avec la bague qu’Aiden lui avait offerte quelques semaines plus tôt, un anneau d’argent simple, mais qui avait le poids du souvenir. Derrière el
Le matin s’étirait avec lenteur sur la nouvelle planque isolé des Knight, comme si la Suisse elle-même cherchait à retenir le souffle du monde. Les montagnes s’élevaient autour d’eux, silhouettes blanches et immobiles, gardiennes silencieuses de leurs secrets. La lumière filtrait à travers les rideaux de lin, douce et pâle, effleurant le parquet ciré et la pierre encore tiède près de la cheminée. Dans cet écrin de silence, on n’entendait que le craquement régulier du feu et le bruissement lointain du vent dans les sapins. Aiden était assis près de la cheminée, torse penché en avant, ses doigts crispés sur les accoudoirs du fauteuil. Chaque mouvement restait mesuré, chaque respiration lente. Son corps, encore marqué par les semaines de rééducation, portait les traces des fractures et des brûlures issu de leur dernier mésenvature. Pourtant, son regard ce bleu acier qu’aucune douleur n’avait jamais pu ternir brillait d’une flamme calme, presque dangereuse. La volonté pure, nue, inaltérab
La pluie tombait en nappes fines sur Londres, et le manoir Ford, perché sur sa colline isolée, semblait à moitié avalé par le brouillard matinal. Le domaine respirait encore le deuil et la colère. Dans les couloirs vastes et silencieux, les portraits de Laurena Ford regardaient l’extérieur, figés dans des sourires qu’aucune photo n’aurait pu restituer correctement. Ses yeux, peints sur la toile, suivaient Scott Ford partout où il allait, le hantant plus que la mémoire elle-même.Scott se tenait dans le grand salon, les mains posées sur le rebord de marbre noir de la cheminée, le regard fixé sur les flammes mourantes. Il ne pensait pas à elles comme à un feu qui réchauffait : pour lui, elles étaient le symbole de tout ce qui avait été consumé, de tout ce qu’il avait perdu, de tout ce qu’il devait maintenant reprendre par la force. Laurena. Son nom roulait sur ses lèvres comme une douleur qu’il n’avait jamais réussi à transformer en colère… jusqu’à présent.— Ils paieront.Il murmura ces







