MasukAURÉLIAL’ascenseur monte dans un silence feutré. Le miroir me renvoie l’image d’une étrangère. Les yeux cernés, la peau trop pâle, et cette lueur vacillante, presque éteinte, au fond de la pupille. Le bracelet pèse une tonne. La rose et l’os se touchent, une intimité macabre scellée à mon poignet.Je sors dans le couloir tapissé de bois sombre. La maison de Matteo respire le calme et l’ordre. Tout est à sa place, rien ne dépasse. Sauf moi. Je suis l’élément discordant, l’expérience en cours qui salit la perfection de son monde aseptisé.Je devrais aller dans ma chambre. M’effondrer. Essayer d’oublier le clignotement mécanique des yeux vitreux sous mes doigts. Mais mes pieds me portent vers le salon, attirés par la large baie vitrée qui donne sur le jardin d’hiver. J’ai besoin d’espace, de verdure, même sous verre. Même prisonnière.Il est là.Matteo est debout devant les fougères et les orchidées, une main dans la poche de son pantalon sombre, l’autre tenant un verre à cognac qu’il n
AURÉLIAJe le regarde, incrédule.— Doser ? On ne dose pas la vie. On ne dose pas la mort !— Vous le faites pourtant déjà. L’étincelle est plus ou moins forte selon les fois, non ? Selon votre état, selon le… cadavre. Je veux que vous preniez conscience de ces variables. Que vous les maîtrisiez.Il se place de l’autre côté de la table, face à moi. Ses mains sont posées à plat sur l’acier.— Première leçon : le contact. Vous touchez toujours la peau nue. Et si vous tentiez à travers un tissu ? Une fine barrière. Pour amortir le choc, pour vous.— Ça ne marchera pas.— Vous n’en savez rien. Vous n’avez jamais essayé. Vous avez toujours cédé à la panique, à l’urgence. Ici, il n’y a pas d’urgence. Il n’y a que vous, elle, et moi.Son calme est plus effrayant que toute colère. Il a tout prévu, tout rationalisé. Il a transformé mon cauchemar en exercice pratique.Je regarde la vieille femme. Elle a l’air si paisible. Je ne veux pas troubler ce repos. Mais la pression de son regard sur moi
AURÉLIAJe le regarde, incrédule.— Doser ? On ne dose pas la vie. On ne dose pas la mort !— Vous le faites pourtant déjà. L’étincelle est plus ou moins forte selon les fois, non ? Selon votre état, selon le… cadavre. Je veux que vous preniez conscience de ces variables. Que vous les maîtrisiez.Il se place de l’autre côté de la table, face à moi. Ses mains sont posées à plat sur l’acier.— Première leçon : le contact. Vous touchez toujours la peau nue. Et si vous tentiez à travers un tissu ? Une fine barrière. Pour amortir le choc, pour vous.— Ça ne marchera pas.— Vous n’en savez rien. Vous n’avez jamais essayé. Vous avez toujours cédé à la panique, à l’urgence. Ici, il n’y a pas d’urgence. Il n’y a que vous, elle, et moi.Son calme est plus effrayant que toute colère. Il a tout prévu, tout rationalisé. Il a transformé mon cauchemar en exercice pratique.Je regarde la vieille femme. Elle a l’air si paisible. Je ne veux pas troubler ce repos. Mais la pression de son regard sur moi
AURÉLIALe bracelet ne quitte plus mon poignet. Le cuir, avec le temps, a épousé la forme de mon os. La plaque d’argent, froide au réveil, se réchauffe contre ma peau, jusqu’à devenir une présence presque vivante. Une marque. La preuve visible du pacte.Les jours qui suivent sont étrangement calmes. Je ne sors pas de la maison. Matteo est souvent absent, affairé, je le suppose, à consolider les avantages tirés de l’information volée à la mort. Je prends mes repas dans ma chambre ou dans le petit salon d’hiver, sous le regard discret mais constant d’Enzo ou d’une domestique. Je ne suis pas enfermée à clé, mais chaque corridor, chaque fenêtre donnant sur le jardin hivernal, semble me rappeler que la liberté est une illusion soigneusement entretenue.Je m’ennuie. Et l’ennui, dans une cage dorée, est un acide qui ronge les résolutions. Je pense à Élodie. Matteo me permet de l’appeler, une fois par semaine, sur une ligne surveillée. Elle va bien. Elle parle de ses études, de ses amis, de s
AURÉLIALa nuit ne finit pas avec le retour. Elle s’incruste sous ma peau, dans la froideur des os que plus aucun feu ne semble pouvoir réchauffer. L’odeur de la terre humide et de la décomposition colle à mes narines, persiste malgré le bain brûlant que je prends en rentrant, où je frotte ma peau jusqu’au rouge. L’eau tourne grisâtre. Elle ne peut laver la souillure.Je reste assise au bord de la baignoire, enveloppée dans un peignoir, à regarder mes mains. La droite, celle qui a touché. Elle ne présente aucune marque, mais je sens encore la texture de cette peau morte, la décharge glacée du pouvoir qui est passé par moi, volé à je ne sais où, pour servir les desseins d’un autre.Les gants gris perle sont posés sur le tabouret de velours, délicats et pervers. Un trophée. Une entrave.Je ne me couche pas. Le sommeil serait une trahison envers l’homme de la fosse, dont je ne connais même pas le nom, dont j’ai violé le repos pour en extraire un fragment de vérité utile à Matteo Rinaldi.
AURÉLIAIl tend la main. Pas vers moi. Vers un livre sur son bureau. Mais le geste est proche, intrusif.— Et les gants que je vous ai offerts… portez-les ce soir. Pour moi. Considérez cela comme un premier geste de… bonne volonté.Son regard plonge dans le mien. Il n’y a pas de menace explicite. Juste une attente immuable. Et cette fascination trouble, qui est pire qu’une menace. Parce qu’elle me regarde, moi, pas seulement le pouvoir. Elle me voit trembler. Elle voit la répulsion. Et elle voit autre chose, que je refuse de nommer.Je me lève, brusquement, pour briser la proximité.— À quelle heure ?— 23 heures. Enzo viendra vous chercher. Habillez-vous chaudement. Et sombrement.Je hoche la tête et me dirige vers la porte.— Aurélia.Je me fige.— La musique, cette nuit… vous a plu ?Je me retourne, surprise. Il a un petit sourire en coin.— Je… je l’ai à peine entendue.— C’était du Satie. Gnossienne n°1. C’est une musique qui attend quelque chose qui ne vient jamais. Je trouvais







